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II/ Evaluation

ADIAL

La victime a un rôle important à jouer lors de l’expertise médicale. En effet, elle devra
apporter la preuve des conséquences spécifiques du dommage dans sa sphère professionnelle
(A), ce qui influera sur la fixation du montant de l’indemnité correspondante (B).

A) L’expertise médicale

Il appartient au médecin expert de prendre connaissance des difficultés invoquées (1),
puis de se prononcer sur l’imputabilité aux séquelles de celles-ci (2).

1) Indication de difficultés dans la sphère professionnelle

L’expert doit décrire les incidences « extrapatrimoniales » au regard des paramètres
médicaux. Cependant, il ne lui appartient pas de se prononcer sur les aspects patrimoniaux et
financiers relatifs à la dévalorisation sur le marché du travail ni sur les frais de reclassement(68).

La mission d’expertise proposée par la Cour d’appel de Lyon demande au médecin
d’« indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si le déficit fonctionnel permanent
entraîne d’autres répercussions sur son activité professionnelle actuelle ou future (obligation
de formation pour un reclassement professionnel, pénibilité accrue dans son activité,
dévalorisation sur le marché du travail, etc.) »(69).

Pour D. Arcadio, l’avocat de la victime a un rôle important dans l’expertise médicale, compte
tenu de la densification et de la complexification des postes de préjudice depuis la
généralisation de la nomenclature Dintilhac(70). Ainsi, il lui paraît souhaitable que l’avocat
transmette avant l’accedit(71) à l’expert judiciaire, au médecin de recours(72) et au médecin de la
compagnie d’assurance du tiers responsable, les pièces pour apprécier l’incidence
professionnelle de l’accident. Lors de l’expertise, au stade du débat conclusif, l’avocat doit
apporter des arguments humains et sociaux pour convaincre l’expert du bien-fondé des
positions relatives à l’incidence des séquelles sur la vie professionnelle de la victime.

2) Imputabilité du retentissement professionnel aux séquelles

Lorsque la victime allègue que les séquelles de l’accident l’empêchent d’exercer son
activité professionnelle avec le même rendement ou qu’elle a perdu des chances de
promotion, le médecin expert doit se prononcer, en restant sur le terrain strictement médical,
sur la vraisemblance de ces difficultés compte tenu des séquelles présentées(73).

B) L’évaluation monétaire

L’indemnisation de l’incidence professionnelle se caractérise par l’amplitude de la
plage des montants retenus selon les décisions (1) et la complexité du calcul de l’indemnité
(2).

1) La diversité des situations et des montants alloués

L’analyse de la jurisprudence récente sur l’incidence professionnelle(74) montre les
multiples aspects de ce poste de préjudice, ce qui entraine des différences importantes
d’indemnisation. Il convient toutefois de distinguer les décisions qui indemnisent la victime
au titre du « préjudice professionnel » et les décisions qui mettent en évidence l’indemnisation
au titre des pertes de gains professionnels futurs et l’indemnisation de l’incidence
professionnelle. En outre, certaines décisions incluent dans l’IP les pertes de revenus
difficilement chiffrables.

Il apparaît tout d’abord qu’à taux égal de déficit fonctionnel permanent, l’indemnisation peut
être très différente. Ainsi, s’agissant de victimes avec un DFP de 3%, un arrêt du 22 avril
2009 de la Cour d’appel de Paris a alloué 2 000 € au titre de l’incidence professionnelle, alors
que ce poste de préjudice a été chiffré à 45 000 € par un arrêt du 2 juin 2009 de cette
juridiction.

De plus, un taux de DFP faible n’empêche pas l’indemnisation de l’incidence professionnelle,
la somme allouée pouvant d’ailleurs être conséquente. Par exemple, dans un arrêt du 15 mai
2009, la Cour d’appel de Paris a alloué 154 000 € à une victime de 50 ans ayant un DFP de
7% et qui a été licenciée pour inaptitude au travail de son poste d’agent de sécurité(75).
Toutefois, cette indemnisation correspond plus largement à son impossibilité de reprendre son
activité et à ses possibilités limitées de retrouver et d’exercer un emploi.

De faibles aggravations du DFP peuvent entrainer un changement radical de situation
professionnelle. Ainsi, dans un arrêt de la Cour d’appel de Grenoble du 26 mai 2009, suite à
l’aggravation de son DFP de 3% à 3,5%, une victime aide-soignante de 48 ans a obtenu 9 000
€ au titre de l’IP, à savoir la répercussion de l’aggravation de son état sur sa retraite et sur son
plan de carrière(76).

L’indemnisation de la seule incidence professionnelle peut être très importante dans les
hypothèses d’handicap grave. Par exemple, dans un arrêt du 17 avril 2009, la Cour d’appel
d’Agen a alloué à un ouvrier qualifié de 22 ans ayant un DFP de 75%, en plus de 356 484 €
au titre de la perte de gains professionnels futurs, la somme de 150 000 € pour sa perte de
chance certaine d’évolution de carrière et de gains(77).

Par ailleurs, il ressort des décisions des cours d’appel que la perte de chance de retrouver un
emploi peut être indemnisée au titre des PGPF ou au titre de l’IP lorsqu’elle est moins
importante. Dans un arrêt de la Cour d’appel de Rouen du 27 janvier 2009, une victime agent
spécialisé des écoles maternelles de 30 ans avec un DFP de 30%, mise à la retraite, a obtenu
150 000 € au titre des PGPF s’agissant de sa perte de chance de poursuivre une activité
professionnelle, tout en étant déboutée de sa demande d’IP(78). Dans un arrêt du 3 février 2009,
la Cour d’appel de Chambéry retient le caractère aléatoire de la profession de la victime,
mannequin de 24 ans, et indemnise sa perte de chance de poursuivre sa carrière par la somme
de 40 000 €(79).

Les demandes formulées par les avocats jouent un rôle essentiel dans le montant alloué par les
juges et expliquent les différences d’indemnisation. Ainsi, dans les conclusions de l’avocat de
la victime, l’indemnité demandée au titre de l’incidence professionnelle doit être identifiée,
justifiée et distinguée de l’indemnisation des pertes de revenus et du préjudice fonctionnel. Le
Mémento des bonnes pratiques de la Cour d’appel de Lyon et du Barreau de Lyon propose un
modèle de conclusions basé sur la nomenclature Dintilhac et recommande pour chacun des
postes de préjudice de détailler les demandes en fonction des éléments importants du rapport
et de les justifier(80).

Enfin, la situation des traumatisés crâniens est particulière au regard de l’incidence
professionnelle du fait de son ampleur potentielle, ces victimes montrant plus de difficultés à
conserver un emploi qu’à le trouver en raison de troubles cognitifs spécifiques et d’une
grande fatigabilité(81).

2) La complexité du chiffrage de l’incidence professionnelle

L’évaluation de l’incidence professionnelle par les juridictions semble s’effectuer de
façon aléatoire. Les décisions, comme les demandes probablement, manquent de transparence
sur le mode de calcul du montant alloué au titre de l’IP. Aucune méthode consensuelle ne peut
être discernée, d’autant plus que le contenu indemnisé sous l’IP correspond à la fois à des
éléments calculés mathématiquement, telle que la perte sur la retraite, et à des éléments
forfaitisés.

Cette absence de cohésion dans le chiffrage peut s’expliquer par la relative nouveauté de l’IP
en tant que poste de préjudice autonome. En outre, ce chef de préjudice présente un caractère
hétérogène avec une dimension personnelle de certains aspects. Le risque est donc celui de la
forfaitisation de l’indemnisation de l’IP par rapport au taux de déficit fonctionnel permanent
retenu. C. Bernfeld et J.G. Moore considèrent que la multifactorialité de l’IP ne peut conduire
qu’à une individualisation de ce poste. L’instauration d’une méthodologie rigoureuse est ainsi
nécessaire.

D’après B. Guillon et M.C. Gras, l’évaluation chiffrée de l’incidence professionnelle doit
prendre notamment en compte l’âge, la nature de l’incidence, c’est-à-dire une pénibilité, une
précarisation ou un préjudice de carrière, et son ampleur(82). Néanmoins, pour F. Bibal, lorsque
la victime salariée peut reprendre une activité professionnelle, l’incidence professionnelle doit
être chiffrée d’après le salaire(83). En effet, dans le contrat de travail, les éléments non
salariaux, tels que la valorisation sur le marché du travail, les perspectives d’avenir
professionnel, la pénibilité ou l’exercice de la profession souhaitée, seraient valorisés par le
salaire. Ainsi, si l’un de ces éléments est altéré suite au dommage corporel, en augmentation
pour la pénibilité, ou en diminution pour la valorisation dans l’entreprise ou dans l’emploi,
seule une indemnisation sous forme d’équivalent de salaire permettrait de rétablir l’équilibre.

Après analyse de la relation de travail de la victime et de l’altération des éléments non
salariaux, un « coefficient d’incidence professionnelle » devrait être déterminé et appliqué au
salaire antérieur, afin de chiffrer le complément mensuel de ressources attribué à la victime.

68 J.-L. Mairesse, Le rapport Dintilhac et l’indemnisation en expertise, in L’expertise médicale et l’indemnisation
des préjudices corporels, VIIIe Colloque d’Aix-en-Provence, 2008, Collection du Centre de droit de la santé
d’Aix-Marseille.
69 Recommandations de bonnes pratiques en matière de réparation des dommages corporels, op. cit., p.4.
70 D. Arcadio, L’expert médical, l’avocat et le « syndrome du sac plastique », Gaz. Pal., 30-31 janvier 2009.
71 L’accedit est la réunion contradictoire d’information organisée par un expert judiciaire avec les parties à
l’instance avant de finaliser et de déposer au greffe de la juridiction le rapport d’expertise qui a été ordonnée par
le juge. A l’issue de cette réunion, les parties peuvent formuler auprès de l’expert des observations écrites.
72 Le médecin de recours ou médecin conseil de victime assiste la victime lors des opérations d’expertise
médicale.
73 Point 18-1 Répercussions des séquelles sur les activités professionnelles constitutives de pertes de gains
professionnels futurs, de l’incidence professionnelle, d’un préjudice scolaire universitaire et de formation,
AREDOC, op. cit.
74 C. Bernfeld, J.G. Moore, Panorama de jurisprudence sur l’incidence professionnelle, Gaz. Pal., 10 août 2010.
75 CA Paris, 15 mai 2009, n°06/17242.
76 CA Grenoble, 26 mai 2009, n°05/03162.
77 CA Agen, 17 avril 2009, n°06/1020.
78 CA Rouen, 27 janvier 2009, n°08/00227.
79 CA Chambéry, 3 février 2009, n°08/00042.
80 Recommandations de bonnes pratiques en matière de réparation des dommages corporels, op. cit., p.7.
81 S. Bercovici, B. Morin, Réinsertion professionnelle et incidence professionnelle, op. cit.
82 B. Guillon, M.C. Gras, Fiche pratique X : Incidence professionnelle, op. cit.
83 F. Bibal, L’incidence professionnelle en cas de reprise du travail : pourquoi ce poste doit être chiffré d’après le
salaire, Gaz. Pal., 10 août 2010.

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