La planification urbaine au Cameroun remonte à la période coloniale allemande, avec la création des toutes premières villes coloniales à savoir : Douala, Buea, Yaoundé, Edéa, Ebolawa, Lolodorf pour ne citer que celles- là. Après l’indépendance survenue le 1er Janvier 1960, le jeune Etat camerounais a pris conscience de la nécessité de la planification pour construire des villes viables et attrayantes. On est alors passé d’une planification urbaine centralisée à une planification urbaine décentralisée, les deux entrecoupées par une période de gestion urbaine marquée par un contexte d’ajustement.
1) La planification urbaine au Cameroun pendant la période coloniale
La planification urbaine commence au Cameroun avec la création des premières villes sous la domination allemande entre 1884 et 1916. Face aux drames causés par le phénomène de portage, l’’administration allemande s’est trouvée obligée d’accélérer la mise en valeur économique du pays par la création des voies de communication. « A Lolodorf, quotidiennement, on voyait passer mille porteurs chargés du caoutchouc des forets de Yokadouma » Engelbert MVENG (1). Créer les routes et autres voies de communication devenait une nécessité. En 1912 enfin la route Yaoundé- Kribi est achevée ; suivi de celle d’Ebolawa.
Le projet du chemin de fer camerounais était beaucoup plus impressionnant. Il s’agissait en effet de réaliser ce Douala – Tchad que nous attendons encore ! L’équipement du pays se poursuit dans tous les secteurs : les ports de Douala, Victoria, Tiko, Kribi se modernisent. On construit 110 m de quai à Douala en 1912.
De nombreuses villes modernes sont créées pendant la période allemande : Douala, Yaoundé, Ebolowa. Un officier français débarqué à Douala le 26 février 1916 écrivait dans ses notes « la ville de Douala, que je visite le lendemain …est très belle. Beaucoup plus importante que les villes des colonies françaises de la côte. La ville de Douala occupe au fond de l’estuaire du Wouri une étendue de huit Kilomètres et comprend trois quartiers bien distincts, séparés entre eux par des ravins profonds, au sud se trouve le palais du gouverneur général, les bureaux de l’administration centrale, les habitations des hauts fonctionnaires, le port avec ses embarcadères, les magasins et une bonne partie des maisons de commerce.
Au centre, sur un plateau légèrement ondulé, entre la gare de chemin de fer de l’est et le ravin de l’usine des eaux, s’étend le quartier d’AKOUA ;
Plus au nord, on trouve une grosse agglomération, en majeur partie indigène appelée Deido ».
Après cette description de la ville de Douala pendant la période allemande passons à la présentation de la ville de Yaoundé telle que peinte par le même officier allemand.
« Et voici Yaoundé : la physionomie générale de Yaoundé ne ressemble en rien à celle des grosses agglomérations que nous savons déjà rencontrées ; qu’on se figure un vaste plateau… Sur le plateau s’élèvent de nombreuses constructions européennes, et il est sillonné en tous sens par des routes et des avenues bien tracées et bordées d’arbres. Des écoles sont bâties aux carrefours les plus importants, et au centre des quartiers plus populeux. Des fontaines publiques sont judicieusement espacées des affiches indiquent les noms des rues, des avenues, des parcs, des placards sont dressés bien en vue pour faire connaitre les arrêtés de l’autorité allemande. En somme, l’organisation germanique, minutieuse et tracassière, s’étale partout avec ses défauts, mais aussi il faut bien le reconnaitre, avec ses réelles qualités. » GL. Aymérich, cité par Engelbert Mveng, Histoire du Cameroun, tome II, PP.93 – 94
Ces deux descriptions des villes de Douala et de Yaoundé montrent à suffisance que la planification urbaine occupait une place de choix dans la construction des villes coloniales allemandes. Cet effort de planification et d’aménagement du territoire s’est poursuivi pendant le mandat français. A titre d’illustration soulignons ce qu’écrit le révérend père Mveng, op. Cit, P.139-140 au sujet des villes du Cameroun pendant le mandat français. « Les villes du Cameroun, à leur tour ne cessent de croitre et de se moderniser. On signale la construction de 1916 à 1939, de deux cent cinquante bâtiments publics importants dont le palais du commissariat de la république à Yaoundé, la chambre de commerce et le palais de justice de Douala. Les adductions d’eau, les travaux d’assainissement, l’éclairage électrique demandent des travaux de grande envergure. La compagnie coloniale de distribution d’énergie électrique est à Douala depuis 1929…Telles étaient les grandes lignes de l’équipement du territoire camerounais avant la guerre ».
Tout compte fait, il ressort de ce qui précède que la planification et les principes de l’aménagement du territoire ont prévalu lors de la construction des villes coloniales au Cameroun tant pendant la période allemande que pendant le mandat français. Cependant que s’est-il passé après les indépendances ? Quels sont les grands principes de la planification urbaine et de l’aménagement du territoire au Cameroun depuis 1960 ?
2) LA PLANIFICATION URBAINE AU CAMEROUN APRES L’INDEPENDANCE
On distingue schématiquement trois politiques de planification urbaine au Cameroun depuis 1960. La première qui va de 1960 à 1990 est qualifiée de planification centralisée. La deuxième qui va de 1990 à 2004 est considérée comme une gestion urbaine d’ajustement. Enfin la troisième, qui est mise sur pied depuis 2004 avec la promulgation de la loi 2004/ 003/ du 21 Avril 2004 régissant L’urbanisme au Cameroun. Cette dernière est marquée par une planification urbaine décentralisée.
a) La planification urbaine centralisée : de 1960 à 1990
Au lendemain de l’accession à l’indépendance, le jeune Etat du Cameroun pour des raisons multiples, a opté pour une politique de planification urbaine centralisée. Toutes les grandes décisions en matière d’aménagement et d’habitat étaient prises au niveau de l’Etat central. De nombreux documents de planification étaient élaborés par l’Etat central au niveau des différents ministères sans consulter les populations à la base. Les services centraux des ministères des travaux publics et de l’urbanisme ont exercé la responsabilité de l’équipement des villes en utilisant les ressources du budget de l’Etat et en faisant appel à des crédits extérieurs pour financer la réalisation des réseaux principaux de voirie et de drainage, des eaux pluviales ainsi que l’aménagement des zones à la construction des logements « économiques ». Bien plus, l’Etat camerounais a perpétué la politique de l’époque coloniale, fondée sur la gestion administrative du marché foncier et une subvention partielle du marché du logement par l’intermédiaire de sociétés immobilières d’Etat et de banques publiques de crédit immobilier.
Cette politique de planification urbaine centralisée n’a pas tardé de montrer ses limites. La conséquence première d’une telle politique est sans doute la non adhésion, des populations aux projets de développement urbain, l’incivisme, la destruction des infrastructures… Car les citadins considéraient ces différentes infrastructures comme celles de l’Etat et non les leurs.
Cette politique de planification urbaine centralisée soutenue par l’ordonnance présidentielle n°73/20/du 29 mai 1973 règlementant l’urbanisme en République unie du Cameroun a laissé libre cours aux dysfonctionnements urbains multiples parmi lesquels :
– Un développement incontrôlé résultant de l’insuffisance, voire de l’absence de documents de planification urbaine opposables, ou encore des difficultés pour ceux élaborés mais dont une majorité n’a jamais été approuvé.
– Une occupation anarchique de l’espace, en particulier des zones non aedificandi, avec pour corollaire, l’augmentation des risques, des catastrophes naturelles et la recrudescence des maladies hydriques.
– Une dégradation progressive de l’environnement urbain.
– Une coordination insuffisante des interventions des acteurs urbains, générant des dysfonctionnements et des conflits de compétences de toutes sortes entre lesdits acteurs.
Toutes ces raisons et bien d’autres notamment la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 consacrant le Cameroun comme un Etat unitaire décentralisé ont permis d’adopter une nouvelle politique de planification urbaine.
b) la gestion urbaine pendant la période d’ajustement
La crise économique qui frappe de plein fouet l’Etat du Cameroun au milieu des années 1980 l’amène à réduire de manière drastique les investissements et les subventions dans le secteur urbain. Parvenant de moins en moins à satisfaire les besoins croissants en matière de services et d’équipement engendrés par l’urbanisation, le Cameroun comme bon nombre de pays africains a été obligé, à la demande des bailleurs de fonds , d’infléchir sensiblement sa politique de gestion urbaine . En matière d’habitat, la gestion administrative du marché foncier et une subvention partielle du marché du logement par l’intermédiaire des sociétés immobilières d’Etat et des banques de crédit immobilier ont pris fin.
Dans le cadre du programme d’ajustement structurel, le Cameroun s’est engagé, à cesser d’imposer des tarifs subventionnés, à supprimer les déficits et les dettes, à améliorer les performances des sociétés d’Etat concessionnaires des services publiques. Ces mesures ont conduit de plus en plus à dégager les sociétés de la tutelle de l’Etat, et pour ce faire à passer des conventions avec des partenaires privés, nationaux ou étrangers.
c) La planification urbaine décentralisée de 2004 à nos jours
La loi 2004/003/ du 21 Avril 2004 régissant l’urbanisme au Cameroun et ses décrets d’application qui l’accompagnent sont les fondements juridiques de la planification urbaine décentralisée au Cameroun. Cette loi, d’après le ministre du développement urbain et de l’habitat CLOBERT TCHATAT, « vient ainsi combler un vide juridique qui pendant plus de trente ans, a permis aux acteurs urbains et aux citadins d’agir d’une certaine manière ». Selon le ministre cette loi a pour ambition de réintroduire la ville dans la « régularité » et traduit bien par (ses modalités de mise en œuvre), le processus de décentralisation engagé au niveau national.
Bien que cette nouvelle loi constitue une avancée significative en raison du caractère novateur du dispositif réglementaire, sa mise en œuvre sur le terrain se heurte encore à des réelles difficultés à savoir :
– Une profonde méconnaissance des textes par la majorité des acteurs impliqués dans la gestion urbaine
– Un déficit avéré de capacité des services techniques communaux à initier ou conduire l’élaboration des documents de planification urbaine.
– Une trop grande diversité des contenus et des procédures de délivrance des actes d’urbanisme ainsi que l’absence de l’harmonisation au niveau national des formulaire- types de demande d’actes d’urbanisme.
1- Engelbert MVENG ; (1985).-Histoire du Cameroun Tome II, page 93-94
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