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II. LE GROUPE EN ATELIER

Non classé

1°/ Construction de l’unité du groupe :

Le terme ”atelier” dérive de l’ancien mot français astelle, qui désigne les éclats de bois, que
nous pouvons comprendre dans le sens d’une utilisation de différents matériaux morcelés en vue
d’une unification (DAHMOUNE-LE JEANNIC, in MARCILHACY & al., 2011(1)). Il est bien sûr
question des représentations, affects, souvenirs, sensations et mots que l’on va réunir dans une
même production d’écriture mais il est aussi question ici de l’unification des différents membres du
groupe en une même entité.

– L’expérience positive du groupe

Dès la première séance, le groupe est, alors qu’il vient tout juste de se constituer, dans une
attitude respectueuse pour chacun de ses membres. Effectivement, à la séance 1, Mr X désire lire
son texte, cependant, très rapidement, il se met à pleurer rendant sa lecture lente et difficile. Malgré
tout, le groupe attend et écoute, silencieux et respectueux. Cette expérience, dès la mise en groupe,
a permis à chacun de se sentir en confiance quant à sa propre défaillance éventuelle. L’expérience
de groupe se place alors dans une écoute réciproque bienveillante (LAFONT, 1999)(2). Dans de
nombreuses séances, dont la séance 1, le temps se décompose en une phase de création commune
avant la phase de création individuelle. Rapidement, les moments de création commune sont
émulateurs. Les patients, dans le jeu groupal, participent activement, avec sourires et entrain. A la
séance 1, nous avions demandé au groupe de donner des mots composés que nous notions sur un
tableau ; dans un second temps, ils devaient recomposer les mots deux à deux de cette manière :

Une bague de fiançailles + Une couche culotte
===> Une bague culotte et une couche de fiançailles

Ce jeu se place donc dans une expérience positive, voire même réparatrice, du groupe dans lequel le
jeu induit ni gagnants ni perdants, ni même de bonnes et de mauvaises réponses (FRENKIEL,
2005)(3) ; il est seulement question du plaisir d’être ensemble dans l’écoute des créations respectives.

Et c’est ce qui va donner la base du plaisir d’être en groupe lors des séances suivantes.
L’émulation groupale fait que les animatrices n’ont, après la première séance, pas eu besoin
d’aider les écrivants durant cette phase commune. A la séance 2, l’expérience de soutien mutuel de
l’un sur l’autre, induite par la rédaction d’un dialogue à deux, anime Mr DT vers le désir de
continuer le jeu jusqu’à la fin de la séance. Cette demande vient témoigner d’un effet réparateur plus
rapide pour Mr DT dans l’écriture groupale plutôt que dans l’écriture personnelle.

Le groupe est de plus en plus attentif aux intentions des autres. Par exemple, durant les
premières lectures, chacun lisait quand il en avait envie. Or, progressivement, Mme Zen et Mme
MV semblent scruter, parfois même demander directement, si les autres membres du groupe
désirent lire avant elles. De la même manière, à la séance 8 des associations d’idées en feuilles
tournantes, Mme Y attend que Mme MV ait terminé d’écrire pour lui donner sa feuille comme si elle
souhaitait ne pas la presser dans sa production.

Assez rapidement, les patients se témoignent mutuellement leurs sentiments d’empathie et de
sollicitude. Nous retrouvons par exemple, à la séance 2, dans le texte de Mme Zen, un mouvement
d’empathie envers Mr X :

La personne avec qui j’ai dialogué est un Jeun homme qui souffre d’une maladie
neurologique depuis sa naissance. Je me sens triste de lui voir comme ça.

Sollicitude que nous retrouvons aussi de la part de Mme Y envers Mr X ; notamment quand elle lui
évite de se relever pour prendre des papiers pour écrire à la séance 5. De la même manière, dans
cette séance, Mme MV qui a tendance à beaucoup parler et prendre de la place, réinscrit activement
Mr X et Mme Y davantage en retrait, en leur proposant de lire aussi des papiers non-utilisés dans le
jeu. Mr DT, qui a tendance à s’absenter des discussions quand elles ne le concernent pas
directement, témoigne sa sollicitude à Mme Y en lui conseillant d’écouter de la musique comme lui
quand elle ne parvient pas à dormir et semble touché par la détresse de Mme Zen en lui écrivant :

Il doit avoir une solution il faut se Patienter vivre Jour au Jour. Aide moi mon Dieu
(Mme Zen)
La patience est la meilleure solution, Dieu aime les patients (Mr DT)
(…)
J’aimerai. Je vais arriver. Reste Calme.(…) Pourquoi stresser ? Pourquoi s’en sortir ?
(Mme Zen)
Si Dieu le veut bien, tu vas arriver reste positif (Mr DT)

L’expérience du groupe est clairement énoncée comme positive plusieurs fois par Mme Zen
qui parle d’un moment ”sympa parce qu’il n’y a pas de contrariété”. La mise en groupe est vécue sur
le mode du plaisir même si elle est quelquefois très difficile.

– La régression à l’illusion

Afin de comprendre ce que la mise en groupe va provoquer pour chacun de ses membres, il
est intéressant de s’attarder sur les premières séances.

A la première séance, une fois les présentations et les règles de l’atelier énoncées, nous
proposons l’écoute d’une chanson qui a la particularité de mélanger les mots composés, fait déclaré
clairement au début de la chanson par la voix d’une enfant. A la fin de la chanson, nous demandons
au groupe s’il a relevé sa particularité. Mr DT évoque sa difficulté à se concentrer sur les paroles ; il
est resté attaché à la musique. De la même manière, Mme MV n’évoque que la mise en rime donc la
musicalité des mots. Dès le début, nous observons dans le groupe une perte des repères objectifs de
la langue qui semble n’avoir plus de sens, comme dans un retour à un état d’infans. Immédiatement,
Mme Y sort de la salle pendant de nombreuses minutes. Durant la phase d’écriture individuelle,
Mme O-R semble recroquevillée sur sa feuille comme isolée du reste du groupe, continuant d’écrire
quelques minutes après l’annonce de la fin du temps d’écriture. Les deux femmes semblent ici se
défendre contre la mise en groupe, Mme Y en sortant physiquement de la salle et Mme O-R en
s’isolant dans son monde interne.

A la lecture des textes, comme nous l’avons déjà évoqué, Mr X se met à pleurer. Il nous
explique que même si cela lui fait du bien d’exprimer son émotion, écrire sur son expérience passée
de la compétition le ramène au début de sa maladie qu’il pense présente depuis sa naissance. De
manière décousue, il évoque son père qui était militaire. Nous voyons bien ici chez Mr X une
véritable régression chronologique. Nous pouvons supposer que l’expérience de la mise en groupe
et l’expérience de l’écriture combinées ont pu être la base de cette régression. Dans la première
phase du processus d’écriture, le ”saisissement créateur” (ANZIEU, 1981)(4) implique une régression
à la fois topique, avec un investissement non plus de la réalité mais de l’imaginaire et du monde
interne (que nous avons observé chez Mme O-R au moment de l’écriture), une régression formelle
avec un abandon des idées rationnelles et verbales pour un retour à un mode de communication plus
primaire (que nous avons noté chez Mr DT et Mme MV pendant l’écoute de la musique et non plus
des mots), et une régression chronologique avec un retour sur le passé particulièrement prégnant
chez Mr X. René Kaës repère cette même régression dans la première rencontre d’un groupe
(KAES, 1999). La régression est aussi observée dans les textes de Mme O-R et Mme Y. Mme O-R
exprime son sentiment de revenir en enfance (”Retomber en enfance, c’est l’impression que ça me
donne”). Mme Y subit une régression plutôt formelle dans son poème :

une journée de papier et une feuille ensoleillée
sur lesquels on écrit des mots
des mots qui s’assemble
des mots qui se ressemble

Poème qui vient témoigner d’une réactualisation des pictogrammes d’union et de fusion dans les
termes d’assemblage et de ressemblance. Les pictogrammes sont des traces originaires laissées sur
le corps durant la phase d’illusionnement où l’infans est fusionné à la mère et au monde qui
l’entoure. Les expériences de rencontre corporelle entre le corps de l’enfant et de la mère, plus
particulièrement la rencontre de la bouche et du sein (bien illustré par le terme ”s’assemble” de Mme
Y), laissent dans l’appareil psychique en devenir des pictogrammes d’union-fusion agréables ou des
pictogrammes de rejet désagréables susceptibles d’être réactualisés (AULAGNIER, 1975)(5),
notamment par l’expérience groupale et la régression qu’elle provoque (KAES, 1999). La mise en
groupe potentiellement traumatique (CADOUX, 2003) vient ici heurter la singularité de chacun des
participants devant l’effondrement de Mr X, réactualisant des impressions effractives et
envahissantes desquelles ils tentent de se défendre : Mme MV dans une tentative de remplissage du
vide de parole avec des éléments hors contextes de manière logorrhéique ou par un retrait sur soimême
physique (baisser la tête et évitement du regard) pour les autres. La psychologue de Mr X
sera d’ailleurs inquiète quant à son repli sur lui-même qui a suivi. A la fin de cette première séance,
Mme O-R nous plaint d’avoir à construire quelque chose qui réponde aux besoins si différents de
chacun. Elle est ici dans une recherche d’unification du groupe que les animatrices devront assurer.

La seconde séance est plutôt marquée par un désir de mise en lien des membres du groupe
entre eux – surtout pour Mr DT et Mme MV – ce qui va donner lieu à un rituel de mise en place de
l’écriture des prénoms sous la forme de mots croisés. Au début de la séance, les participants créent
deux personnages ensemble, puis ces personnages vont se parler dans un dialogue écrit deux à deux.

Cette expérience semble pour le groupe répondre à un désir de mise en lien. Mr DT souhaite
continuer ce dialogue à deux plutôt que d’écrire un texte seul. Dans la discussion post-écriture, Mme
MV exprime son souhait de relation amoureuse entre les deux personnages. Malgré une syntaxe peu
liée, caractéristique du mode de pensée de Mme MV, son texte personnel témoigne d’une prise de
plaisir dans le lien à l’autre et dans le partage :

Je trouve l’exercice de dialoguer avec l’autre personne, d’échanger des idées, de sa
façon de voir les choses, d’apprendre à connaître l’autre_
d’être dans les personnages que l’on a créer _ d’avoir des buts dans la vie _
de vivre des instants privilegiés avec l’autre, de partager des sentiments _d’avoir de
l’espoir _
_ que les deux personnages peuvent créer un couple amoureux dans la vie actuelle _
qu’ils ont chacun leur vécu et qu’ensemble ils se projettent dans l’avenir _
_ qu’ils peuvent l’un et l’autre partager des choses _

La séance 3 est davantage paradoxale. Mme MV, qui prônait le partage et le lien à l’autre est
absente ; mais Mme Zen la rendra présente à plusieurs reprises en racontant à Mme O-R la séance
précédente. Celle-ci est d’ailleurs dans une demande de se resituer dans le groupe en questionnant
sur ce qui s’est produit pendant son absence. La lecture démarre avec Mr DT, qui écrit et lit de
manière tout aussi incompréhensible. A chaque séance, il a ce désir de partager son texte (sauf
quelques exceptions) mais lit si rapidement, en articulant si peu, qu’il est difficile de saisir
immédiatement le sens de son texte. Il semble être dans une position d’omnipotence et de fusion
avec le groupe caractérisée par une abolition des limites entre Moi et non-Moi ; plus que cela, il
semble être dans le registre originaire des pictogrammes et du fantasme d’auto-engendrement de luimême
et du groupe. Ils ne peuvent que se combler et se comprendre. Mme O-R, pour qui le regard
de l’autre au quotidien est un véritable obstacle, est dans l’atelier dans une ambivalence, jonglant
sans cesse entre une position d’union et de rejet, ce qui passe d’abord par un jeu de présencesabsences
particulièrement prégnant. Mme O-R est venue aux séances 1, 3, 4 puis a suivi une longue
absence pour un retour dans le groupe aux séance 10, et 15.

Sur le modèle du diapason qui permet aux musiciens d’être en harmonie. il refit le tour du
monde et captura chaque langage dans une tige en métal, ensuite il les réunit ensemble dans
un seul objet. Lorsqu’il fit tinter ce multidiapason les gens de pays différents se
comprenaient enfin et se rendaient compte qu’ils n’étaient pas en colère les uns contre les
autres mais qu’ils avaient peur de ce qu’ils ne comprenaient pas.

Ce texte de Mme O-R est intéressant parce qu’il symbolise parfaitement la régression du groupe à
un état de fusion, avec une abolition des différences nécessaire à la paix. C’est d’ailleurs ce que
relève Didier Anzieu (ANZIEU, 1975)(6) quand il parle ”d’illusion groupale”. Celle-ci est une étape
de régression nécessaire à la constitution des groupes car elle permet à chacun de ses membres de
croire que cet espace intermédiaire, dans une continuité interne-externe, va combler toutes leurs
attentes individuelles. Nous avions déjà relevé chez Mme O-R cette injonction faite aux
animatrices, d’assurer cette fonction du groupe, symbolisée dans son texte par le voyageur. Ainsi,
les écrivants peuvent avoir l’illusion de faire partie d’un même corps total tout-puissant constitué par
chacun des membres du groupe, que Mme O-R représente sous la forme d’un objet unique
rassemblant et fusionnant les subjectivités. Cette image me reviendra à l’esprit à la séance 6
d’écriture musicale. Le groupe doit marcher dans la pièce et dès que la musique s’arrête, chacun doit
écrire sur la feuille la plus proche de lui. Alors, le mouvement du groupe illustre parfaitement cette
idée d’un corps unique qui tourne dans le même sens à une même allure, sans croisement. Durant la
discussion qui suit la lecture des textes de la séance 3, il est question de la peur de la différence qui
est à la base de la pathologie de Mme O-R qui se sent jugée parce qu’elle est différente. Elle-même
se dit attirée par ce qui ne lui ressemble pas, idée que Mr DT partage. Alors, Mme O-R insiste à
plusieurs reprises sur cette similitude comme si, malgré sa curiosité envers la différence qu’elle
prône, cela la rassure de trouver dans le groupe un repère identificatoire spéculaire, une image du
même.

Mme Y joue aussi sur une période d’absence. Elle se présente à la séance 1 mais reste en
retrait ; elle ne nous rejoindra ensuite qu’à la séance 5 suite à un appel de ma part afin de la
resolliciter. Les séances 6 et 7, à groupe restreint, sont intéressantes quant à l’appréhension de son
positionnement dans l’illusion groupale. Durant la séance 6, seules Mme Zen et Mme Y sont
présentes. Leurs réponses ”moyen” à mon questionnement sur leur état sont dès le départ
synchronisées ; fait que nous retrouvons à la séance suivante où Mme Y et Mme MV ont les mêmes
associations de mots comme dans ”une contagion des expériences sensorielles sur un mode
hallucinatoire commun” (KAES, 1999). Mme Y pourra plus tard dans la séance expliquer que le
groupe dans l’atelier est pour elle rassurant car elle y rencontre des gens qui vont mal, comme elle.

Le rêve est l’illusion individuelle par excellence nous dit Didier Anzieu (ANZIEU, 1975) et la
condensation en est le mécanisme prépondérant. Dans l’atelier, la confiance dans le groupe semble
aussi passer par la condensation, à savoir une accentuation des traits communs et une diminution
des différences entre plusieurs personnes, qui induit dans le groupe une multiplication du
semblable. Mme Y se place aussi dans une position omnipotente infantile en dépendance à l’adulte.

Winnicott parle de ”préoccupation maternelle primaire” qui permet à la mère, dans la phase
d’illusionnement de l’enfant, de répondre à tous ces besoins, de satisfaire immédiatement toutes ses
tensions (WINNICOTT, 1956/1969)(7). Mme Y, quand elle souhaite parler ou lire, attend que
l’animatrice vienne combler son attente en la sollicitant. Alors, la verbalisation n’est plus
nécessaire ; nous sommes au niveau de l’infans. Malgré les différentes absences des uns et des
autres, le groupe, lorsqu’il est au complet, retrouve une dynamique particulièrement riche (séance
10).

Ces illustrations nous montrent que pour se constituer, le groupe doit à la fois trouver du
plaisir dans la rencontre avec l’autre mais aussi s’y confondre ce qui peut entraîner des mouvements
de retrait plus ou moins longs. Ceux-ci peuvent être considérés comme des moyens de se défendre
contre un vécu archaïque de non-séparation, de réassurance de sa propre individualité pour
supporter la régression ; de la même manière qu’un auteur se doit de supporter la régression
dépersonnalisante du saisissement créateur pour ne pas s’y perdre et rester conscient de sa création
(ANZIEU, 1981).

– L’enveloppe psychique groupale

Didier Anzieu (ANZIEU, 1985/1995)(8) travaille sur le concept de Moi-peau sur la base du
modèle de la peau biologique qui limite le corps, à la fois dans une réception-modulation des
stimulations extérieures et dans une fonction de protection. Le Moi-peau serait une structure
psychique sur laquelle le Moi s’appuie pour se développer à partir du corps et de ses relations avec
l’environnement (sensations). Il a un rôle de contenance des contenus psychiques, de pareexcitation,
et d’individuation qui passe par le sentiment d’être un sujet unifié et total. Le Moi-peau
se construit au cours du développement de l’enfant à travers ses contacts plus ou moins heureux
avec l’environnement. A partir des pictogrammes (ou ”signifiants formels” dans la pensée de Didier
Anzieu) laissés par l’expérience, vont se constituer des enveloppes psychiques (enveloppe tactile,
enveloppe sonore, enveloppe visuelle…) formant ainsi le Moi-peau. Didier Anzieu élargit ce
concept au fonctionnement groupal en parlant d’enveloppe psychique groupale (ANZIEU, 1975) qui
assure les mêmes fonctions que le Moi-peau au niveau individuel. Autrement dit, cette enveloppe
psychique groupale forme une membrane plus ou moins souple et perméable qui sépare et module
les échanges entre l’espace interne et l’espace externe. Elle permet ainsi de contenir les éléments
produits dans le groupe et d’avoir l’illusion que le groupe dont le sujet fait partie, constitue une
entité unique avec une identité propre, ce qui correspond à l’illusion groupale que nous avons
préalablement évoquée.

Dès la séance 2, Mr DT, Mme Zen et Mme MV qui ont immédiatement investi
libidinalement le groupe, évoquent la construction d’une enveloppe que nous pourrions nommer
l’enveloppe de l’écriture qui vient contenir leurs productions et donc leurs représentations. Mme Zen
nous remercie de l’avoir inscrite dans cet atelier où l’écriture permet d’exprimer des choses qui ne
peuvent pas se dire, plus précisément, des choses qui ne peuvent pas prendre une forme orale pour
Mme MV. Mr DT illustre ces propos par l’image de se libérer d’un poids, donc de déposer ses
contenus, là où cela peut être reçu de manière stable et non destructrice ; autrement dit, sur la
feuille, dans le groupe. Dans la même idée, mais en allant plus loin, une partie d’un texte de Mr DT
à la séance 8, vient témoigner de cette enveloppe psychique groupale rassurante :

il y a le soleil et de la bonne musique, je suis heureux Comme un enfant qui joue au
ballon dans la cour de sa maison

En partant des sensations agréables sur le corps, de la chaleur du soleil, et de l’enveloppement
musical présent dans cette séance, Mr DT se sent heureux comme un enfant ; on pourrait ajouter
heureux comme un enfant bercé des soins maternels desquels découlent la formation des
pictogrammes et du Moi-peau.

La séance 9 est riche en témoignages de cette enveloppe psychique groupale. Durant cette
séance, nous proposons au groupe de dessiner des lieux à plusieurs ; chacun a une feuille et démarre
le dessin puis les feuilles tournent permettant à chacun de rajouter des éléments, ce qui donne au
bout de 30 minutes, un lieu pour chacun. Marine relève assez rapidement que dans tous les dessins
se trouve une habitation, un endroit où se protéger du monde extérieur. Les textes de Mr DT et Mme
MV sont également assez révélateurs de cet aspect :

c’est une Belle vie à côté de l’enfer_ (Mme MV)
Chaque été le sportif part en vacances au village à la campagne, histoire de s’éloigner de la
ville pour respirer un peu d’air pur et de bien s’amuser avec les amis en jouant au tennis, en
faisant de balancoire, tout ça c’est pour oublier un peu la ville (Mr DT)

De même que le texte de Mme O-R à la séance suivante :

(…) mais sur une station on se sent plus libre entoure d’espace, avec la lune accrocher
dans notre ciel.
Un jour je partirais plus loin que Mars je sortirais de notre système solaire j’irai
decouvrir un nouveau système solaire d’autre planétes et alors là je m’installerais
promis.

Dans ces textes, nous voyons bien que le lieu de l’atelier est un endroit reposant, où l’on joue à côté
d’un extérieur dangereux pour Mme MV ou à oublier pour Mr DT. Cela reflète d’un clivage net
entre un espace interne idéalisé et un espace externe persécuteur. Selon Kurt Lewin (cité par
MIGNOLET, 2011)(9), pour assurer sa cohésion interne, le groupe doit construire une frontière avec
l’extérieur. Les participants investissent alors l’ici et maintenant du groupe, en désinvestissant
(illustré par l’oubli de la ville de Mr DT) leurs activités habituelles, leurs autres groupes
d’appartenances et la réalité extérieure. Le lieu interne du groupe est un espace limité qui protège
mais qui est aussi à protéger. Malgré la proposition d’emporter une photocopie de leurs textes, les
membres de l’atelier n’ont jamais souhaité laisser un contenu interne propre au groupe, en sortir.

Cependant, Mme O-R est toujours dans un aller-retour entre le dedans et le dehors avec son texte
pré-cité, qui la situe à la fois dans un lieu rassurant séparé du reste de l’univers et à la fois dans un
désir de découverte de cet extérieur, que nous pouvons rattacher à un désir d’autonomisation face à
l’entité du groupe, imago maternelle à la fois protectrice et omnipotente.

Comme nous l’avons vu, sortir du groupe peut permettre à certains patients de se rassurer de
leur individualité afin de ne pas se perdre complètement dans son expérience fusionnante. En
revanche, l’absence de certains membres peut être vécue comme une mutilation, comme un
morcellement. La séance 8, où seulement Mmes MV, Zen et Y sont présentes, est une séance
particulièrement difficile. Immédiatement, Mme MV signale le groupe restreint et durant toute la
séance, nous verrons augmenter sa désorganisation psychique. Durant la discussion, Mme MV est
logorrhéique abordant des thèmes ne se rattachant pas à ce qui a été évoqué au préalable, dans une
réelle confusion spatio-temporelle entre le groupe d’échange (activité du CMP à laquelle elle
participe aussi) et l’atelier d’écriture. Son discours dérive vers une angoisse de mort en démarrant
sur la liste exhaustive des tâches lassantes à accomplir pour terminer sur la guerre et les gens qui
meurent de faim. Nous tentons de la rattacher au groupe mais elle parle à la place des autres comme
si elles aussi avaient disparu. Nous pouvons supposer que Mme MV, comme porte parole de l’entité
groupale, se vit alors dans un corps morcelé dont l’économie psychique est complètement
bouleversée. Une expérience proche de la dépersonnalisation, dans le sens d’un effondrement des
assises narcissiques vers une destructuration de l’identité et l’altération du sentiment d’être
(SALADINI, 2004)(10). Moi-même en séance, essaye de me défendre contre son comportement
envahissant en proposant davantage d’exercices d’écriture qu’à mon habitude dans une tentative
d’endiguement. Durant ma prise de notes post-séance, je me retrouve envahie par la même
confusion spatio-temporelle que Mme MV et dans une obstination à vouloir réunir les éléments
épars de son discours en un objet total intelligible.

Pour Mr X, l’expérience du groupe n’est pas aussi claire. Nous avons vu que, pour lui, la
mise en groupe a été un moment traumatique, réactualisant une expérience de groupe compétitive
(sur laquelle nous reviendrons plus tard) dangereuse sur le plan narcissique. Dans le groupe, Mr X
est souvent en retrait, le regard vide, peu dirigé même lorsqu’il parle, n’intervenant qu’en cas de
sollicitation et, bien que de plus en plus à propos au fil des séances, souvent peu lié à ce qui a été dit
par les autres participants précédemment. Il s’inscrit peu dans le partage de ses productions avec le
groupe via la lecture et entre dans un lien duel avec moi excluant les autres patients de son champ
de vision et de son espace psychique.

Séance 3 : Un homme des bois â découvert une boule de cristal dans une grotte. Il a agit de
façon mystérieuse cet boule car elle rayonnait l’endroit. L’homme prenna la boule et
l’observea attentivement, soudain un visage sombre surgit et ce visage l’appelea
Séance 9 : Je suis au bord de la mer, il fait 35° degrés à l’ombre. Je vois des palmiers à
l’horizon. Ses palmiers sont très grand, avec des cocotier et des péroquets. Sur la plage, je
vois des personnes en train de se baigner à la mer.
Séance 11 : La joie d’écrire et de partager les emotions provoque un bonheur. (…) J’ai
aperçus quand j’écrivais sur les objets une sensation d’être à l’extérieur comme la mer,
l’océan, la forêt, les émotions, la joie.

Par ces deux premiers textes, Mr X nous illustre sa difficulté face au groupe. Dans le second texte,
les autres du groupe sont pour lui des ”personnes” anonymes et peu différenciées qu’il semble voir
de loin sans désir de les rejoindre, sans désir de partage. Dans le premier texte, l’autre est vu à
travers le contour de la boule de cristal comme lui-même perçoit les visages derrière un voile. Cet
autre l’appelle à rejoindre le groupe mais Mr X semble le considérer comme mystérieux et peut-être
dangereux. Dans le troisième texte, le partage avec autrui est mis en avant par Mr X, ce qui entre en
contradiction avec le fait qu’il ne lit pas ses textes. Nous supposons que Mr X fait alors référence à
un bien-être tourné vers l’extérieur et non pas l’intérieur du groupe.

– L’inconscient groupal

Didier Anzieu (ANZIEU, 1975) et René Kaës (KAES, 1976)(11) ont développé la
conceptualisation d’un ”inconscient groupal”, qui ne peut se résumer à la somme des inconscients
individuels, mais qui ne correspond pas non plus à l’inconscient collectif de Jung. Celui-ci
représente les divers fonctionnements imaginaires humains, communs aux différents lieux et
époques, qui influencent les représentations individuelles. Effectivement, comme nous l’avons vu
précédemment avec les enveloppes psychiques groupales, le groupe évolue à la façon d’un sujet ;
ainsi, on peut observer la création d’un inconscient groupal.

A la séance 8, il est proposé une séquence d’associations libres en groupe. Autrement dit,
chacun note le premier mot qui lui vient à l’esprit et passe sa feuille au voisin qui se retrouve avec
un nouveau mot-inducteur à sa libre association. La libre association utilisée par Sigmund Freud en
cure analytique et auto-analyse puis par C.G. Jung dans un intérêt expérimental, a pour but de
mettre à jour les complexes de représentations inconscientes. La sélection volontaire des mots à
utiliser est éliminée au profit de la prise en compte des émergences inconscientes involontaires
(LAPLANCHE & PONTALIS, 1967/2004)(12). De cette manière, nous révélons les associations
inconscientes groupales. Mme MV et Mm Y commencent avec le même mot ”Soleil” et à plusieurs
reprises, nous relevons les mêmes associations inconscientes vis-à-vis du même terme :

”bleu (Mme Y) => Jaune (Mme MV) => bleu (Mme Zen)”
”la mer => le sable => la mer”
”nuit => Jour => nuit”

Chacun avec une liste d’associations en main doit ensuite rédiger un texte comprenant tous ces
mots. Mme Zen nous dit alors que la répétition des mêmes mots a rendu son écriture difficile. Nous
pouvons supposer que cette ”répétition du semblable” a pu éveiller chez elle un sentiment
d’inquiétante étrangeté, comme un retour du refoulé, un élément familier qui a été refoulé dans
l’inconscient groupal pour revenir non-familier et autre (FREUD, 1919/2008)(13). A la séance 11, alors
que nous proposons au groupe d’écrire sur des surfaces inhabituelles, les mêmes sensations
reviennent, éveillant les mêmes contenus originaires inconscients :

le crayon glisse tout seul sur du verre ou
du papier plastique (Mme Y)

Ecrire sur 1 Bout de plastique, l’ecriture
glisse dessus (Mme MV)

J’ai écrit sur une serviette, j’ai senti que
c’était agréable d’écrire. J’étais fondu
(Mr X)

c’est difficile d’écrire sur un morceau de
tissu car il absorbe l’encre et on ne voit
pas trop ce que l’on a écrit.(Mme Y)

Ainsi, nous observons un inconscient groupal, avec un imaginaire groupal, dans lequel sont inscrits
les contenus partagés du groupe.

L’inconscient groupal a cela de particulier qu’il est composé de différentes ”alliances
inconscientes” qui vont le structurer (KAES, 2010)(14). Les alliances inconscientes sont des contrats
inconscients passés entre les membres d’un groupe en vue de la prospérité et de la continuité du
groupe social via l’intégration de mythes constitutifs. Cette mythologie correspond à l’histoire, voire
à la préhistoire du groupe qui a pu être symbolisée par différents textes de Mr DT sur lesquels nous
reviendrons bientôt. En effet, l’homme est partagé entre deux nécessités, celle ”d’être à lui-même sa
propre fin” et celle d’être inclus dans une transmission transgénérationnelle (FREUD, 1914/1969)(15).

Or, pour être le maillon d’une chaîne culturelle, le sujet se doit de gagner et de conserver sa place
dans la lignée. Ce ”contrat narcissique” est une assignation immuable qui ne peut pas subir de
transformation, en échange d’un investissement narcissique de la part du groupe envers le sujet
(AULAGNIER, 1975). Dans l’atelier, nous pouvons noter qu’immédiatement chacun a pris une
place physique fixe, s’asseyant toujours au même endroit à chaque séance. Seule Mme Zen, qui a
justement rejoint le groupe à la seconde séance, a d’abord pris la place des absents avant de se fixer
à la sienne propre. Sur le plan psychique, ils se sont inscrits, dès leur présentation, dans la continuité
d’une histoire sociétale institutionnelle. Mme MV se présente en indiquant ses autres participations
aux activités du CMP et Mr DT se présente comme hospitalisé ici. Un peu différemment, Mr X et
Mme Y justifient de leur place dans cette société institutionnelle en se définissant par leur maladie.

En sachant que la place assignée ne supporte aucun écart, si le sujet souhaite conserver l’appui du
CMP, il ne peut déroger à cette place de malade, patient et donc passif ; cela pose ici la question de
la possibilité de l’évolution.

Un enfant, s’il veut être accepté dans la société et par ses parents, doit s’inscrire dans
l’héritage transgénérationnel. Ainsi, il s’identifie aux désirs non réalisés et aux idéaux parentaux
dont il se porte garant. Marine et moi, qui avons créé l’atelier, sommes considérées comme les
parents du groupe. Ainsi, les participants tentent de réaliser un ”Pacte avec le Père” (KAES, 2010).

Chaque inducteur de jeu est compris comme une consigne à respecter méticuleusement, dans un
mouvement de satisfaction parentale proche de la performance scolaire (accentué par l’écriture). De
même, après la séance 7, Marine me fait part de sa difficulté à supporter les mouvements mortifères
présents dans les textes des patients ; à la séance suivante, Mme Zen, porteuse des idéaux de Marine
(propre à son fonctionnement psychique précédant le groupe), s’excuse de lire son texte qui ”n’est
pas très gai”. Des alliances inconscientes défensives, palliant aux défenses subjectives
éventuellement entravées, vont également se mettre en place. Nous l’avons vu, l’effondrement
affectif de Mr X à la première séance a sidéré les processus de pensées du groupe, chacun retranché
dans son propre monde interne. Sous peine de remettre en danger l’unité du groupe, ses membres
ont pu s’accorder, de manière inconsciente, sur un ”pacte dénégatif” de non-expression des affects
massifs.

Effectivement, certains participants ont par la suite adopté des modes de pensées
opératoires pour endiguer les éventuelles angoisses subversives, entretenant ainsi le déni du négatif,
du non-représentable. Ce déni de l’affect est inclus dans un renoncement pulsionnel plus général,
nécessaire à toute vie sociale. Le groupe semble toujours réticent à toucher les objets mis à sa
disposition, évitant ainsi toute sensation érotique sur le corps. Souvent, il est nécessaire que le
participant désigné comme meneur dans la séance s’empare d’un objet pour que la manipulation soit
autorisée. D’autres alliances inconscientes peuvent se révéler plus structurantes que défensives. Par
exemple, ”le pacte avec les frères” implique une entraide, un lien qui unit les différents membres du
groupe ”pour accomplir certaines réalisations psychiques qu’ils ne pourraient pas obtenir seuls”
(KAES, 2010).

Dans la lecture, ils s’unissent pour lire les phrases peu lisibles ; ils communiquent
dans une construction de conseils, d’empathie, et d’oeuvres communes ; ils se répondent dans la
création d’un savoir commun, que je formalise par les résumés verbaux que je peux faire, incluant
les différents points de vue. D’autres alliances organisatrices s’appuient sur la reconnaissance de la
différence des sexes et sur les interdits fondamentaux de meurtre du Père qui en découle. Dans notre
groupe, quand il s’agit d’incarner un personnage, chacun endosse naturellement celui du même
genre sexuel que lui-même. Le meurtre du père peut concrètement passer par le fait de prendre sa
place. Depuis le début des séances, c’est moi qui remplis les listes de fin de séance qui laissent une
trace transmissible de leurs productions. Je me place ainsi dans la position du père géniteur.

A la séance 8, alors que Mme MV est désorganisée par la dissolution du groupe, elle s’empare elle-même
des listes pour les remplir, prenant ainsi la place du père. A la séance suivante, je propose au groupe
de suivre l’exemple de Mme MV dans l’autonomisation des processus groupaux. Mme MV remplit
la première liste et propose la suivante à Mme Zen qui hésite en idéalisant mon écriture, réparant
ainsi la destitution que j’ai subie ; Mr X refuse quant à lui d’endosser ce rôle sous peine peut-être de
perdre l’amour et l’étayage apportés par l’imago paternelle que j’incarne. A partir de la séance
suivante, le groupe me rend ma place d’autorité, instituant ainsi suite au meurtre du père, la Loi du
groupe d’interdit du parricide à l’image du mythe fondateur de la horde primitive de Freud (FREUD,
1913/1965)(16).

2°/ Relance de l’activité mentale :

Historiquement, suite aux travaux de René Descartes sur le Cogito, l’activité mentale
correspond à la cognition ; autrement dit, aux activités psychologiques dont la fonction est la
connaissance (LAROUSSE, s.d)(17). En sciences cognitives, le terme de cognition regroupe entre
autres les fonctions exécutives (résolution de problème, adaptation, apprentissage, attention) et la
mémoire. Plus largement, nous pouvons considérer que l’activité mentale correspond aux fonctions
visant à la mise en représentation opératoire de la réalité en vue d’une adaptation des
comportements (WIKIPEDIA, 2012)(18).

– L’activité du Préconscient

Sur un plan psychanalytique, l’activité mentale serait assurée par le Préconscient.
Effectivement, le Préconscient de la 1ère Topique freudienne est qualifié de ”connaissance
consciente” (FREUD, 1915/1986)(19) car il permet de transformer une perception (processus originaire
ou primaire) en représentation (processus secondaire) ; c’est en cela qu’il se différencie de
l’Inconscient. Il est aussi séparé du Conscient par la ”seconde censure” qui va, plutôt que de
déformer comme la censure primaire avec l’Inconscient, sélectionner les éléments transitant jusqu’à
la conscience afin d’éviter la survenue de toute préoccupation perturbante. En cela, elle ”favorise
l’exercice de l’attention” (LAPLANCHE & PONTALIS, 1967/2004). Parler de connaissance,
implique aussi de parler de mémoire et de langage, autres fonctions assurées par le Préconscient.

Dans une autre approche théorique, les interactionnistes ont mis en évidence que les relations
sociales permettent, via le renforcement de la réciprocité dans la fréquentation de pairs, de
développer les structures cognitives (NICOLE, 2001)(20). René Kaës repère aussi que la mise en
groupe relance l’activité pensante et plus particulièrement l’activité du Préconscient (KAES, 1999).

Les participants de l’atelier sont majoritairement des patients inhibés sur le plan du processus de
représentation et/ou de la verbalisation. Ils sont plus facilement dans une complaisance avec ce qui
est dit plutôt que dans le déploiement de leur propre réflexion. Cependant, à la séance 11, Mr X et
Mme Y parviennent à verbaliser leur incompréhension vis à vis de ce que je peux apporter afin d’y
réagir avec leur propre singularité.

A la séance 3, Mr DT témoigne d’une capacité d’association intéressante. Alors qu’il doivent
tenter d’imaginer la fonction de différents objets insolites et peu connus, Mr DT fait le choix de
nommer les objets en fonction de leurs ressemblances avec des objets connus. Par exemple, face à
un tire-bouchon en plastique, il le rapproche de la forme d’un marteau et écrit ”marteau qui sert à
taper”. Ce mode de pensée illustre bien ce qui se produit dans toute mise en représentation en vue
du langage.

Pour passer d’une perception à une représentation, d’un processus primaire à un
processus secondaire, intervient le Préconscient qui va associer à une représentation de chose
(image d’un objet par exemple, ici la forme de l’objet), une représentation de mot (forme verbale
acoustique, ici le mot ”marteau”). A la séance 9, alors que le groupe trace des paysages à plusieurs,
il leur est demandé à chaque tour de dessiner un élément du décor associé à son appellation, puis
une fois le dessin terminé, de donner un nom au lieu. Les noms donnés ont été repris dans les textes
individuels qui ont suivis, fournissant ainsi à la fois une représentation de chose et une
représentation de mot commune à la base de leur texte. Mme Zen a pu dire que ce jeu remplissait la
tête ; Mme MV que cela l’a aidé à penser. Autrement dit, ce jeu d’association entre représentations
de choses et de représentations de mots fournit de la matière à penser et à fantasmer de manière
individuelle.

L’écriture, tout comme la présence active dans une discussion sociale, nécessite une certaine
concentration. Comme nous l’avons évoqué, pour qu’un individu puisse être attentif, son
Préconscient doit censurer les contenus susceptibles d’envahir la conscience. Cependant, la mise en
groupe peut réactualiser des fantasmes archaïques envahissants. Sur ce point, l’évolution de Mr X
est illustrative. Pendant de nombreuses séances, sa lenteur psychomotrice entravait son travail
d’écriture durant lequel il semblait se bloquer, envahi par divers éléments psychiques. De même,
durant les temps de discussion, Mr X intervenait très peu, uniquement sur sollicitation et souvent
pour dire ”c’est bien”. Dès les premières mises en groupe, il peut dire que venir dans cette pièce lui
permet de mieux se concentrer, ce qui laisse imaginer à quel point il peut être aspiré par son propre
monde interne.

A la séance 9, suite à son absence à plusieurs séances, Mr X peut nous dire qu’il se
sentait en compétition avec les membres mais qu’il a pu se détacher de cette représentation et
réintégrer le groupe. Alors, on observe moins de lenteur psychomotrice et une plus grande présence
dans les discussions. Il sera même initiateur du jeu à la séance suivante. A la séance 11, Mr X n’a
pas besoin de l’aide des animatrices et s’inscrit dans un partage heureux avec les autres.

La mise en groupe dans une activité d’écriture, qui laisse une trace physique de ce qui est
évoqué, permet aux participants de relancer leurs fonctions mnésiques. Dès la première séance, Mr
X nous dit qu’écrire sur son passé lui a permis de mieux se souvenir. Nous l’avons vu, la régression
induite par la mise en groupe réactualise des traces mnésiques inconscientes mais aussi des
souvenirs préconscients, qui sans être inconscients, sont là sans être constamment présents en
conscience. Les jeux d’écriture en groupe ramènent Mme O-R à des ”souvenirs de jeunesse”.

A la séance 10, le groupe doit choisir des âges de leur vie (réelle, imaginaire, rêvée) sur lesquels ils vont
écrire. Ce jeu semble raviver des souvenirs et plus particulièrement pour les âges donnés par les
autres membres du groupe. Mr DT donne son âge, mais dans son texte libre va ensuite s’attacher à
rappeler des souvenirs de ses 18 ans, qu’il qualifie ”d’âge des rêves” et qui va réellement l’animer
pendant la discussion. Le groupe semble être une condition importante quant au repérage spatiotemporel.

Nous l’avons vu, à la séance 8, alors que le groupe est vécu comme disloqué, Mme MV se
perd dans une confusion spatio-temporelle qui altère ses traces mnésiques ; elle ne se souvient plus
du dernier film qu’elle a vu alors qu’il semble que ce soit récent. D’ailleurs, à la séance suivante,
Mme MV et Mme Zen sont incapables, sans indice de notre part, de rappeler ce que nous avions
fait.

– L’appareil psychique groupal

Nous avons fait le constat que le groupe fonctionnait comme un sujet avec des enveloppes
psychiques groupales et un inconscient groupal. René Kaës va plus loin en faisant l’hypothèse d’un
appareillage des psychismes individuels pour construire un appareil psychique groupal (KAES,
1999). Nous avons vu que le groupe relance les activités du Préconscient par la mise en jeu de
processus primaires transformés en processus secondaires dans le cadre des représentations de
choses et de mots mais c’est aussi le cas en ce qui concerne la fantasmatisation. Le groupe, en ce
sens qu’il est le lieu imaginaire de réalisation des désirs infantiles, est proche du rêve (processus
primaire) ; or la secondarisation des rêveries passe par la mise en représentations et donc par la mise
en mots.

Nous pouvons repérer que le groupe, de par la présence de cet appareillage groupal,
permet cette transformation. Dès le début des séances, Mme MV explique qu’elle a de grandes
difficultés à faire le lien entre ses idées, comme envahie par des traces psychiques primaires. En
effet, ses textes individuels sont souvent des listes de phrases ou de mots sans liens, pas toujours
compréhensibles, ou fortement sujettes à l’interprétation. En revanche, quand elle s’inscrit dans un
processus groupal, ces éléments difformes prennent sens. Ceci est assez visible à la séance 2 où le
premier texte est écrit à deux avec Mr DT et où le second est un texte personnel :

TEXTE 1 : A – Que penses-tu de cette vie (Mr DT)
S – Elle est magnifique et stupéfiante. (Mme MV)
A – Pour toi est-ce que l’amour existe
S – oui, tomber amoureux de quelqu’un, de se mariér, d’avoir des enfants c’est
magnifique.
A – Je suis d’accord avec toi mais de nos jours, il est difficile de trouver l’ame soeur,
qu’en penses-tu ?
S – Je pense qu’il faut vivre des expériences dans sa vie et voir le bon côté des choses de
la vie.
A – Ça fait un moment que j’aime pas trop ma femme, que dois-je faire pour l’aimer
comment avent ?
S – Il faut essayer de discuter avec elle, d’exprimer ton amour pour elle, se que tu
ressents des choses.

TEXTE 2 : S : Je trouve l’exercice de dialoguer avec l’autre personne, d’échanger des
idées, de sa façon de voir les choses, d’apprendre à connaître l’autre_
d’être dans les personnages que l’on a créer _ d’avoir des buts dans la vie _
de vivre des instants privilegiés avec l’autre, de partager des sentiments _d’avoir de
l’espoir _
_ que les deux personnages peuvent créer un couple amoureux dans la vie actuelle _
qu’ils ont chacun leur vécu et qu’ensemble ils se projettent dans l’avenir _
_ qu’ils peuvent l’un et l’autre partager des choses _

Nous pouvons relever un mécanisme similaire chez Mme Y. Dans la même séance, Mme Y intégrée
dans l’appareil groupal dont les limites sont renforcées par l’enveloppe musicale, va se laisser aller à
fantasmer à propos des différentes chansons entendues ; un peu plus tard, il est demandé d’écrire de
manière individuelle à propos du sommeil, propice à la rêverie, mais Mme Y aborde le vide.

TEXTE 1 : la musique des cow-boys autour d’un feu un soir de veillée
la musique d’un film d’aventure dans le futur
l’espagne la danse flamenco
un homme et une femme qui tourne et danse sur la musique

TEXTE 2 : Pourquoi j’aime mon oreiller
parce que c’est là que je peux me reposer
même si je ne dors pas très bien
c’est la que j’arrive à faire le vide.

L’appareil psychique groupal permet ainsi de secondariser, de mettre en sens et en
représentation les contenus de l’inconscient groupal. Il peut aussi permettre la mise en place de
processus tertiaires de l’ordre de la mythologisation des représentations (KAES, 1999), en
transformant le récit secondarisé du rêve afin qu’il soit conforme à la culture et notamment la
culture du groupe. A la séance 10, alors que le groupe est au complet, la discussion est quasiautonome
avec l’émergence de contenus archaïques angoissants à propos du sens de la vie. Or, ces
éléments pathogènes sont transformés par le groupe avec la mise en exergue des diverses croyances
religieuses ou des métaphorisations de la part de Mme O-R (qui compare la vie à ”un long fleuve
pas tranquille”) et de Mme Zen (qui fait le lien entre le danger qui permet la survie des crevettes et
le fait que ce sont les obstacles de l’existence qui nous font vivre).

L’appareil psychique groupal permet la mise en mythe de la réalité psychique du groupe
dans un réel processus de symbolisation. Nous avons déjà évoqué le texte de Mme O-R qui
symbolisait, sous la forme d’une légende, l’abolition des différences nécessaires à la mise en groupe.
Mr DT a aussi produit deux écrits significatifs :

Séance 1 : Tout commença au printemps 2008, le jeune étudiant guinéen, (…) tomba
malade dans un pays qui lui et inconnu dans tous les plans, mais grâce à son entourage et
aux soins des médecins il a pu vaincre la maladie, mais hélas il est difficile de vaincre si
facilement une maladie incurable. (…) Etant conscient de sa maladie incurable, il se fixe
un objectif, de ne jamais arrêter le traitement tant qu’il vit, il as peur de devenir un fardot
pour la société.
Séance 3 : Ce fut lors du combat pour l’indépendance que johnny jeune militaire caporal de
grade chercha comment observer à distance, mais il se rappelle quand il était plus jeune
son pote Mahmoud d’origine orientale apportait les jumelles de son papa, ancien
combattant, obtenues à la seconde guerre mondiale, il alla trouver Mahmoud pour que ce
dernier lui prete les jumelles de son papa cet ainsi que les jumelles sont parvenues à rester
dans la famille du Caporal Johnny.

Dans son premier texte, Mr DT, en n’utilisant pas la première personne du singulier, semble se
positionner en tant que porte-parole du groupe dont tous les membres (excepté Mme O-R) se sont
présentés par leur maladie ou leur inscription dans le CMP. De manière davantage symbolisée, Mr
DT exprime à la séance 3 ce que l’atelier apporte au groupe ; plus précisément, ce que l’imago
paternelle (peut-être le CMP ici) va léguer pour aider les patients à gagner en autonomisation
(”guerre de l’indépendance”), à savoir des jumelles, que nous entendons comme représentant les
animatrices pas encore différenciées dans le groupe.

L’écriture est d’abord née d’une nécessité économique (comptabilisation du bétail) mais
rapidement, elle est devenue un outil au service de la mémoire culturelle tertiaire, sans s’affranchir
de la mémoire orale secondarisée. Ainsi, se sont écrits les premiers récits des évènements qu’il
fallait retenir et qui ont laissé une trace durable (MASSON, 2005). Dans l’atelier, nous avons mis en
place un rituel de fin de séance de remplissage de listes. Ces listes gardent une trace de certains
éléments de la séance et notamment les éléments les plus marquants de leurs textes. Les membres
du groupe sont toujours très enthousiastes et, même s’ils n’ont pas lu leur texte, cherchent une
phrase qui leur est signifiante pour la noter dans la liste des incipits possibles. Ces listes avaient au
départ une visée d’aide à l’écriture mais elles n’ont jamais vraiment été utilisées dans ce sens là. Ces
listes permettent de tracer l’histoire du groupe de manière durable, laissant ainsi quelque chose
d’eux-mêmes qui perdurera au-delà de l’arrêt de l’atelier.

3°/ Étayage sur le groupe et les animatrices :

L’étayage cognitif correspond aux différentes interactions entre l’adulte et l’enfant soutenant
le développement psychologique de celui-ci. L’adulte, agissant comme médiateur entre l’enfant et
l’environnement, aide le sujet dans la réalisation d’une tâche difficile en vue de son autonomisation
(Wood et Bruner, cité par FALCO, 2012)(21). Dans l’atelier, les animatrices ont ce rôle de guidance
avec des patients qui, pour la plupart, n’ont jamais écrit. Elles accompagnent le travail de pensée et
de transformation en symboles écrits, notamment par un questionnement, au plus près de la
problématique actuelle du participant, sur lequel il pourra s’appuyer pour continuer ou démarrer son
texte. C’est plus particulièrement le cas pour Mr DT qui a du mal à enclencher l’acte d’écrire, et pour
Mr X qui a tendance à se bloquer au milieu de son texte.

Mme Zen semble verbaliser, à la séance 10, le fait que les contenus psychiques ont besoin de
trouver un contenant solide externe (”si ça ne sort pas, ça nous détruit de l’intérieur”). L’infans est
envahi par des pulsions, des tensions psychiques qu’il envoie à l’extérieur sans délimitation dedansdehors
; c’est à la mère de recevoir et contenir ces contenus psychiques difformes afin que le
nourrisson puisse, via une internalisation, construire son propre appareil psychique contenant. C’est
par le ”holding”, ou l’enveloppement physique de l’enfant, que la mère va à la fois protéger et
délimiter son corps (WINNICOTT, 1965)(22). Si l’on va plus loin, nous pouvons envisager que c’est en
étayage sur les soins maternels que se construit le ”Moi-peau” dont les deux fonctions principales
sont le pare-excitation et la distinction dedans-dehors (ANZIEU, 1985), conditions de base pour se
représenter soi-même comme un individu fermé et contenant ses propres contenus psychiques.

Les symptômes psychotiques, les traumatismes et l’infantilisation sont, entre autres, des manifestations
d’un Moi-peau détérioré, à reconstruire en thérapie (BESSOLES, 2008)(23). L’accordage des rythmes
de la mère et de l’enfant permettent un bercement agréable qui donne du sens aux éprouvés
corporels de l’enfant (JOLY, 2008)(24). Le cadre interne correspond à l’invariant psychotique présent en
chacun de nous qui soutient la personnalité et le cadre thérapeutique doit pouvoir recevoir et
contenir ce cadre interne (KAES, 1994)(25). L’atelier a lieu dans un espace et un temps stable et fermé
dans une rythmicité enveloppante. Cet enveloppement, proche du holding maternel, est matérialisé
par des rituels d’entrée et de sortie de la séance qui sont à la fois des sas de transition entre le dedans
et le dehors (CHIDIAC, 2010), et une protection contenante des contenus qui y ont été déposés.

A l’image de l’infans débordé par ses tensions internes, les patients déposent des éléments archaïques
de leur fonctionnement que les animatrices doivent pouvoir recevoir et contenir ; autrement dit,
elles doivent être capables de supporter les projections archaïques mortifères et destructrices. Ce
n’est qu’à cette condition que les patients peuvent ensuite introjecter en eux le cadre contenant de
l’atelier et supporter leurs propres mouvements psychiques.

Les relations intersubjectives sont à la base du processus de guérison ; c’est ce que les
partisans des thérapies interpersonnelles (SULLIVAN, 1953/1968)(26) et les psychanalystes, avec le
transfert, ont pu mettre en évidence. Or, le transfert peut parfois être massif et intrusif rendant le
travail psychique difficile, le groupe d’écriture fournissant alors un pôle d’identification diffracté et
un médiateur de la relation avec le soignant (CADOUX, 2003). L’écriture à plusieurs est ainsi
intéressante de par la co-construction d’un ”objet de relation” qui s’étaye réciproquement sur des
contenus internes divers dans une résonance affective des différentes appareils psychiques.

4°/ Les transferts dans le groupe :

Le transfert est un déplacement des désirs et fantasmes infantiles inconscients sur un objet
relationnel actuel (LAPLANCHE & PONTALIS, 1967/2004) ; dans l’atelier, le groupe et les
animatrices sont des cibles possibles du transfert.

– Le transfert négatif

Le transfert négatif est une répétition des expériences infantiles de manque et de frustration
desquelles vont découler des sentiments ambivalents (BOKANOWSKI, 2005)(27). Mme O-R se place,
dès l’entretien préliminaire, dans un mode négatif de relation aux animatrices. Elle nous explique
qu’elle n’accepte de participer à l’atelier que parce qu’elle craint de perdre l’attention et l’amour de
son psychiatre investi par un transfert positif (”j’ai peur qu’on ne s’occupe plus de moi”), qui lui a
conseillé cette activité. Elle attaque explicitement le groupe (”cinq personnes, c’est cinq personnes
de trop”) et les compétences des animatrices (”c’est un jeu stupide”, Séance 4 ; ironie sur une
citation faite par Marine, Séance 10) tout en ambivalence (”c’est un moment tolérable, presque
agréable”, Séance 4). Le transfert négatif de Mme O-R se manifeste aussi par une attaque du cadre
et de la faisabilité du processus thérapeutique car elle est absente à de nombreuses séances.

Réactivant une angoisse de castration, les animatrices sont pour Mme O-R des objets défaillants qui
ne peuvent rien lui apporter et desquels elle se défend par une maitrise anale dans son jeu de
présences et d’absences, satisfaisant ou non les imagos parentales que les animatrices incarnent. Ce
transfert négatif peut évoluer vers une ambivalence plus souple en fin d’atelier où elle dira que
malgré son soulagement de ne plus avoir à venir, elle regrette que cela soit déjà terminé aux vues du
peu de séances auxquelles elle a assisté.

– L’idéalisation

Mme Zen place à la fois le CMP dans son ensemble, le groupe, et les animatrices dans une
position idéalisée. Elle complimente souvent les productions des différents membres du groupe,
n’est jamais déçue des productions communes, et ne contredit jamais ce qui a été dit avant elle.

Immédiatement, elle nous remercie de l’avoir inscrite à l’atelier et fait allusion, à plusieurs reprises,
aux soignants ”gentils” qui la soutiennent et l’aident à avancer. Le transfert idéalisé s’observe chez
des patients qui tentent de retrouver une union avec un objet tout-puissant et parfait, source d’une
satisfaction inépuisable. Ainsi, se développe une dépendance avec l’objet (CHANLANT, 1990)(28).

En effet, Mme Zen vient à toutes les séances, même quand un rendez-vous médical l’oblige à partir plus
tôt. Pour Otto Kernberg, l’idéalisation est la projection d’un Soi grandiose sur un objet externe que
le sujet va tenter de maîtriser afin de le pousser à se comporter tel qu’il a besoin qu’il soit
(KERNBERG, 1997)(29). A la séance 6, alors que les membres du groupe viennent d’évoquer leur plus
beau rêve, Mme Zen me demande ce que j’en conclu ; à la séance suivante, elle me questionne aussi
sur les origines de la dépression. J’aurais dans sa représentation un savoir tout-puissant et
notamment un savoir sur sa propre vie psychique, témoignant ainsi de sa projection sur moi. Mes
réponses insatisfaisantes relatives à sa demande auraient pu engendrer une désidéalisation et un
transfert négatif proche de celui de Mme O-R. Or, chez elle, l’angoisse d’abandon prégnante semble
entretenir le clivage en nous préservant, le CMP, le groupe et les animatrices dans une position de
bons objets étayants.

– La relation spéculaire

Mme Y entretient avec le groupe et les animatrices, une relation spéculaire. Vis à vis du
groupe, elle adopte une attitude compliante, toujours en accord avec ce qui est avancé et se place
elle-même en position de porte-parole du groupe dans la certitude de mettre en avant ce qui est
commun à chacun. Cela s’observe dans son discours par l’utilisation fréquente du ”on” : ”on lutte
tous les jours (…), on n’arrive pas à s’en sortir” (Séance 7), ”on est tristes qu’elle – Marine – parte”
(Séance 11). La relation spéculaire que Mme Y entretient avec le groupe est particulièrement visible
quand le groupe est réduit à elle et Mme Zen à la séance 7. Durant la séance, Mme Y et Mme Zen,
assises côtes à côtes, se parlent et se répondent sans se regarder, en passant par mon intermédiaire.

Aussi, Mme Y va répondre à Mme Zen à la symétrie ce qui lui avait été adressé. Pendant le temps
d’écriture, Mme Zen se lève pour prendre une autre feuille et touche l’épaule de Mme Y en la
nommant pour lui proposer de lui en amener une aussi. A la fin de la séance, Mme Y va elle-même
renouveler le contact physique et nommer Mme Zen pour la saluer (ce qui est un évènement
unique).

Nous voyons bien ici que Mme Y est dans une ”identification spéculaire” (AULAGNIER,
citée par CHARRON, 1993)(30). Celle-ci renvoie au stade du miroir (développé par Jacques Lacan)
qui permet à l’enfant, en reconnaissant son image dans le miroir, d’avoir une représentation de lui-
même, unifiée et identifiée. Dans l’identification spéculaire, le sujet est à la recherche d’une
personne en qui il puisse se mirer et se reconnaitre. Ce mouvement, chez Mme Y est
particulièrement visible à la séance 7 car nous ne sommes qu’entre femmes dont les représentations
corporelles se rapprochent de la sienne. Dans ses échanges avec Mme Zen, je constitue pour Mme Y
le regard maternel qui permet d’inclure de l’Autre dans la reconnaissance de soi dans le miroir,
fonction assurée par Mme Zen (CHARRON, 1993). Dans la plupart des autres séances,
l’identification spéculaire de Mme Y s’installe principalement avec les animatrices de par leur
position frontale avec le groupe (KAES, 1994). Mme Y observe le mouvement d’écriture de chacun
et s’installe dans une imitation identificatoire des animatrices inscrites aussi dans l’acte d’écrire
(CHIDIAC, 2010). A la première séance, alors que Marine lit le texte qu’elle a elle-même rédigé,
Mme Y me sollicite dans une fonction-miroir sous-jacent à son un désir de me placer à la symétrie
des participants écrivants. A la séance 11, elle repère que Marine a rédigé un texte et lui demande de
le lire. Marine explique que ce texte m’est adressé afin de me dire au revoir. Alors, Mme Y est
attentive à ma réaction comme si elle cherchait sur mon visage le reflet de ses propres émotions.

– Le complexe fraternel

Le transfert de Mr X, de par son histoire et sa problématique propre, va se diffracter sur le
groupe et moi-même sur le modèle du ”complexe fraternel” (KAES, cité par GUEHRIA, 2008)(31).

Dès la première séance, nous l’avons vu, se rejoue pour Mr X une situation de mise en groupe sous
la forme d’une ”concurrence” (entretien de mi-parcours) qu’il rattache à son expérience de
compétition avec ses camarades du CREPS. Nous pouvons supposer que ces deux situations sont
des réactualisations du complexe fraternel infantile (BEJARANO, cité par KAES, 1993).

Mr X est dépendant de sa famille qui comprend ses parents et une fratrie peu différenciée. Dans l’atelier, nous
pouvons repérer que le groupe est vécu comme un ensemble de ”doublons narcissiques”
(GUEHRIA, 2008) peu différenciés avec lesquels il se vit en concurrence dans la recherche de
l’amour de l’imago maternelle. Jacques Lacan a développé le concept de triangle pré-oedipien
constitué non pas encore de l’enfant, la mère et le rival paternel mais de l’enfant, la mère et le
phallus, objet partiel porteur d’un autre désir maternel qui peut être le père mais aussi les frères et
soeurs (LACAN, 1956)(32). Durant les discussions, Mr X ne s’adresse qu’à moi dans un déni des
”frères”. La projection massive de Mr X sur moi me pousse à adopter vis à vis de lui, une position
maternelle entièrement comblante mais aussi intrusive, l’empêchant de penser ou de s’autonomiser,
à l’image de ce qu’il nous donne à voir de son impossibilité de séparation d’avec sa famille réelle.

Par exemple, à la séance 5, je ne supporte pas qu’il rompe le lien avec le groupe et sort avec lui alors
qu’il a besoin de marcher. Alors, il me parlera beaucoup en me remerciant. C’est aussi ce que je
retrouve dans l’entretien de mi-parcours durant lequel il abordera son sentiment d’être en
concurrence avec les autres membres du groupe et se sentira flatté par ma reconnaissance de son
évolution dans l’atelier. Dans ces deux situations, Mr X retrouve la relation fusionnelle à l’imago
maternelle via l’exclusion et l’anéantissement des rivaux fraternels qui lui donnent le sentiment
d’incarner le phallus.

Nous venons de voir que le transfert des participants se forme essentiellement sur un mode
narcissique, où les autres membres du groupe sont investis comme des objets semblables à soi qui
permettent de se reconnaître ou de s’aimer soi-même dans une relation aux imagos parentales sur un
mode encore fusionnel et indifférencié. Nous avions abordé précédemment le fait que cette
régression était nécessaire à la construction de l’unité du groupe en un contenant stable et protecteur
des contenus collectifs et individuels. A présent, nous allons nous intéresser plus précisément aux
processus propres à l’écriture qui ont pu émerger, en étayage sur le contenant groupal.

1 MARCILHACY, C. & al. (2011). Le dessin et l’écriture dans l’acte clinique. France : Elsevier Masson.
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