La théorie des coûts de transaction (TCT) tire son origine des travaux de Coase (17) (1937) qui en a été l’un des précurseurs. Celle-ci (la théorie) constitue d’ailleurs l’un des courants dominants des nouvelles théories économiques de la firme que d’aucuns qualifient de nouvelle économie institutionnelle. L’auteur est parti d’un constat fait quelques années plus tôt par Roberston (1922) selon lequel, la vie économique cache des « îlots de pouvoir conscients dans un océan de coopération inconsciente ».
En effet, alors que dans l’arène économique, la coopération entre agents économiques se fait de façon inconsciente via le système de prix, la coordination à l’intérieur de la firme est faite de manière plutôt consciente par l’autorité de l’entrepreneur. L’essence de la coordination par la firme, dira Coase (1937), se trouve dans la hiérarchie et la suppression du système de prix (18).
Pour l’auteur, le recours au marché entraîne des coûts, qui sont constitués de coûts de découverte de prix adéquats et de coûts de négociation et de conclusion de contrats séparés, pour chaque transaction. Par conséquent, la coordination administrative par la firme s’impose parce qu’elle permet une économie de coûts (qualifiés plus tard par coûts de transactions par Williamson). L’argumentation principale de Coase trouve en fait son origine dans la question posée par l’auteur, qui était celle de savoir quelle était la nature de la firme et pourquoi existe-t-elle ? Selon l’auteur, les firmes existent parce qu’elles permettent de réduire les coûts de transaction, via un système de coordination fondé sur la hiérarchie, et l’auteur l’exprime en ces termes : « […] si un travailleur se déplace du service y vers le service x, ce n’est pas à cause d’un changement de prix relatif, mais parce qu’on lui ordonne de le faire ».(19)
Dans la lignée des travaux entrepris quelques décennies plus tôt par son prédécesseur, Williamson (1985) va entreprendre une relecture des travaux issus de l’ensemble du corpus théorique basé sur les relations contractuelles et les théories de la firme qui en résultent. Si Coase (1937) a fortement influencé Williamson (1985), il faut dire que plusieurs disciplines et auteurs divers, allant du droit à la sociologie, seront mis à contribution pour dégager la synthèse de ce qui sera la TCT.
L’approche de Williamson (1985) est un peu différente de celle de Coase (1937) dans la mesure où, l’auteur présente la théorie de la firme comme une partie de la théorie des institutions du capitalisme et la firme elle-même n’est plus conçue comme une hiérarchie (vision de Coase), mais plutôt comme un nœud de contrats (20). Dans la conclusion de ces contrats, Williamson (1985) distingue les coûts ex ante, qui correspondent aux coûts de recherche et de conclusion du contrat, et des coûts ex post, qui sont relatifs aux coûts engendrés par la structure du déroulement du contrat lui-même, et c’est sur ces derniers coûts que l’auteur focalisera son analyse de la théorie de la firme.
Si l’analyse de Williamson (1985) repose sur l’hypothèse de rationalité limitée, elle évoque aussi celle du comportement opportuniste des agents : l’opportunisme consiste dans un contexte d’information incomplète à rechercher son intérêt personnel en ayant recours à la ruse et diverses formes de tricherie. Selon l’auteur, on peut distinguer deux formes d’opportunisme (21): l’opportunisme ex ante et l’opportunisme ex post. La première est celle qui peut être observée en amont de la passation du contrat. Cette forme d’opportunisme peut conduire à ce qu’Akerlof (1970) a appelé le problème de la sélection adverse (22). Quant à la deuxième, elle a lieu quand il y a tricherie dans la phase d’exécution du contrat. L’incomplétude du contrat et la difficulté de déterminer si les parties ont bien respecté leurs engagements sont à l’origine du risque de ce type d’opportunisme.
Pour en venir aux entreprises publiques et aux privatisations, l’analyse économique des coûts de transactions est évoquée pour justifier un fait : les organisations publiques sont inefficientes (et donc présentent des niveaux de productivité faibles) parce qu’elles ne sont pas capables de minimiser leurs coûts de transaction (c’est-à-dire d’information, de négociation, d’exécution des contrats).
Contrairement aux organisations publiques, les firmes privées (avec des pouvoirs de management, de contrôle et de propriété) disposent de structures adaptées, où un nombre limité d’agents prennent les décisions stratégiques importantes qui engagent l’avenir de l’organisation et contrôlent ses grandes fonctions (financière, comptable, commerciale, marketing, ressources humaines, etc.), ce qui les aide à minimiser leurs coûts de transaction engendrés par des échanges sur le marché et à réaliser ainsi non seulement des économies d’échelles importantes mais aussi des gains de productivité d’où la nécessité irréfutable de laisser libre cours aux privatisations.
L’une des argumentations de la TCT est qu’au sein des organisations publiques, la rigidité des structures, le processus de prise de décision et les cercles vicieux bureaucratiques imposent une délégation des pouvoirs, ce qui engendre, en raison notamment de l’imperfection de l’information et des comportements opportunistes des agents, des structures onéreuses et des mesures coûteuses de surveillance par rapport à celles qu’on trouve dans les entreprises privées.
En outre, l’opportunisme ex ante (dans les processus de recrutement des gestionnaires publics par exemple), l’opportunisme ex post (non-respect des engagements contractuels des agents publics) et les diverses interférences politiques font que les transactions dans la sphère publique se font sur des produits de mauvaise qualité et conduisent à une inefficacité notoire des agents recrutés pendant l’exécution du contrat qui ne constituent pas ainsi des sources de productivité accrue rendant par là même l’entreprise inefficace.
En définitive, nous dirons que la TCT soulève, sans fondamentalement les traiter à fond, des questions majeures relatives au mode de fonctionnement du secteur public et se fonde dans une certaine mesure sur ces questions pour justifier l’intérêt des privatisations. Toutefois, à côté de ces approches théoriques qui illustrent les bienfaits de la privatisation, la présentant comme un processus générateur de gains de productivité, on retrouve celle qui s’inscrit en faux de ces allégations ou du moins qui nuance de telles assertions en prenant en l’occurrence en compte les objectifs poursuivis par les entreprises publiques et les entreprises privées dans la comparaison des performances de ces deux catégories d’organisations. La sous-section suivante mettra donc en exergue cette approche.
17 En fait, les prémisses de ce qui allait devenir plus tard l’économie des coûts de transaction apparaissent pour la toute première fois dans un ouvrage paru en novembre 1937 et intitulé : The Nature of The Firm.
18 COASE (1937) soutient en effet que: « […] the distinguishing mark of the firm is the suppression of the price mechanism ».
19 COASE, R. H. (1937). The Nature of The Firm. Économica.
20 Il faut préciser que Williamson évoque pour la première fois l’expression « nœud de contrats » en 1990 dans un ouvrage intitulé : The Firm as a Nexus of Treaties. Cette conception s’éloigne visiblement de celle de Coase et minimise l’opposition firme-marché évoquée plus tôt par Coase (1937).
21 Une présentation détaillée de l’argumentation de WILLIAMSON est disponible dans son ouvrage intitulé : The Economic Institutions of Capitalism. Free Press, NewYork, 1985, p. 172
22 La théorie de la sélection adverse stipule que des transactions peuvent se réaliser sur des produits de mauvaise qualité.
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