Le produit Mourabaha (équivalent à la vente à crédit) est très utilisé par les banques islamiques. Cependant le produit présente des risques importants pour son exécution. Nous pouvons citer les risques de contrepartie, de change, de taux d’intérêt.
II.2.1 Mourabaha et atténuation contractuelle des risques
La vente différée (Bai Ajil) présente beaucoup de risques pour les institutions financières. C’est ainsi que le Gharar (incertitude du résultat causé par des conditions ambigus d’un contrat à règlement différé) est prohibé par la finance islamique. La BID fournit certaines mesures pratiques pour atténuer ce risque (BID, 2002, p. 138-139) :
• Pour réduire les risques de contrepartie liés au contrat de Mourabaha, le paiement en amont d’une commission importante est devenu une pratique courante.
• Pour éviter le risque de refus de marchandises commandités par le client, on peut faire la proposition que l’exécution du contrat Mourabaha soit obligatoire pour le client et non pour la banque. Cela suppose que la banque, en tant qu’institution, honorera à ces engagements contractuels en finançant l’opération d’achat de marchandises, même si le contrat n’acquière pas un caractère obligatoire envers elle.
Cependant tous les foukaha ne sont pas unanimes sur le caractère obligatoire de la Mourabaha du côté du client. Une proposition alternative serait de créer un marché de compensation de Mourabaha (MCM) pour régler certains cas qui peuvent surgir à cause du caractère non obligatoire du contrat Mourabaha.
• La validité du contrat Mourabaha est conditionnée par la possession par la banque du bien commandé. Cette opération est pratiquement éliminée par les banques islamiques qui désignent le client comme agent de la banque qui s’en charge de l’achat du bien commandé. De cette façon la banque n’aura pas à supporter le risque de stockage (destruction du matériel, vol…)
• Si le bien commandé est à la possession de la banque, cette dernière court un risque particulier. Pour couvrir ce risque il y’a lieu de prévoir des fonds propres à cet égard. Vente différée diversifiée (Diversified Bai Ajil)
Il existe une solution plus générale basée sur le partage des risques entre le prêteur et l’emprunteur dans un contrat à vente différée. Certaines écoles contemporaines proposent une titrisation islamique qui consiste à construire un portefeuille de dette (maximum 49 %) et d’actifs tangibles (51 % minimum).
Exemple : Mourabaha avec un client de maturité 20 ans(61) :
• La valeur réelle (Valeur actuelle) de la dette vaut 49% du montant nominal ;
• Le Markup ou le prix majoré vaut 51% au minimum du nominal ;
Les versements (correspondant au Markup) peuvent être réglés directement en actifs tangibles par exemple actions, parts de fonds de placement, matières premières, etc.
Dans cette vente diversifiée, le préteur en l’occurrence la banque islamique peut choisir les actifs, servant pour le règlement, qui sont libellés dans la devise de la dette. De cette manière la banque pourra se couvrir du risque de change que nous verrons ci-après.
Du côté de l’emprunteur, les actifs peuvent être choisis de manière à réduire ses obligations en égalisant ses sources de revenus.
II.2.2. Mourabaha et la couverture du risque de taux de rendement
Dans un contrat de Mourabaha, la banque et son client sont soumises au risque de taux de rendement car une dette ne peut pas être augmentée après la conclusion de la vente et il n’y a pas de possibilités de vente différée (Bai Ajil) avec des versements variables.
Concernant la gestion du risque de contrepartie, le modèle de titrisation des actifs est encore proposé. Il faut noter que la titrisation n’élimine que partiellement le risque de taux de rendement.
Il n’y a pas encore de solution spécifique pour couvrir le risque de taux de rendement qu’on note dans le contrat à vente différée comme la Mourabaha.
II.2.3. Mourabaha et le risque d’inflation (risque de taux d’intérêt)
Les banques islamiques utilisent de manière fréquente les contrats à deux étapes pour se couvrir du risque de taux d’intérêt ou de référence sur le contrat Mourabaha.
• Contrat Mourabaha à deux étapes
Dans un contrat à deux étapes, la banque joue le rôle de garant des fonds octroyés aux différents agents déficitaires. Sachant que dans un contrat à deux étapes l’offre de garantie ne relève pas des activités commerciales, celle-ci peut être offerte par la participation de la banque islamique dans le processus de financement en tant qu’acheteur.
Dans les contrats Mourabaha consacrés actuellement, la banque paie le fournisseur au lieu et place du client. Dans un contrat à deux étapes, la banque aura à signer deux contrats Mourabaha, l’un en tant que fournisseur vis-à-vis du client, et l’autre en tant qu’acheteur visà-vis du fournisseur (voir figure 9). La banque n’aura donc pas à faire de paiement immédiat au fournisseur. Le contrat Mourabaha à deux étapes aura un certain nombre d’implications sur les banques.
L’importance de ces contrats est qu’ils peuvent servir comme source de fonds et renforcent les ressources gérées par les banques. Cela permet aussi de renforcer la solvabilité immédiate des banques islamiques.
Figure 9 : Contrats à deux étapes
Source : BID, 2002.
Le concept de contrats à deux étapes n’est pas limité à la Mourabaha. Il peut être étendu à l’Istisna, au leasing et au Salam.
II.2.3. Mourabaha et les risques de prix de marchandises et des actions
Selon la BID (2002), les fluctuations des prix des marchandises et des actions ne posent pas un problème sérieux aux gestionnaires des banques. . Il y a cependant quelques considérations liées à la conceptualisation de ces risques, particulièrement les risques des prix des marchandises dans les banques islamiques.
Par exemple en ce qui concerne le contrat Mourabaha, il est nécessaire de distinguer le risque de prix lié à ce dernier et celui lié au prix des marchandises. En d’autres termes de séparer le risque de prix lié à la marge de profit et le risque lié au prix de la marchandise. C’est ainsi que la BID estime de traiter le risque de prix de marchandises de la même manière que le risque de taux d’intérêt (ou de référence) sur le produit Mourabaha.
Pour couvrir le risque de prix de marchandises, les contrats parallèles entre Mourabaha et Salam sont proposés. Ces derniers permettent d’atténuer les risques de prix sous-jacents à ces transactions et de réduire les effets pervers de l’inflation.
Exemple de contrat parallèle entre Mourabaha et Salam
Supposons la Banque Islamique du Sénégal ait vendu des actifs valant 100 FCFA selon la formule Mourabaha sur une période de 6 mois. Elle peut se prémunir contre le phénomène de l’inflation en achetant pour une valeur de 100 FCFA selon la formule Salam.
Supposons que l’inflation provoque une dépréciation de 10% des actifs vendus, les biens contractés dans le cadre du Salam sont revalorisés de la même proportion.
Mieux encore, concernant le contrat Salam, la couverture contre les risques de dépréciation peut se faire par la BIS en adoptant un contrat Salam parallèle en tant que fournisseur. La figure suivante explique cette possibilité.
FIGURE 10 : Gestion des créances pour se prémunir contre l’inflation
Observations finales
En définitive, le contrat Mourabaha est plus apte aux techniques de gestion des risques que la Moucharaka. Cependant sa gestion par rapport aux risques serait plus meilleure s’il n’y avait des divergences sur le statut juridique de la Mourabaha par les différents comités de Charia. Donc le produit Mourabaha manque d’uniformité. D’où la nécessité de créer un comité de Charia suprême qui regroupe tous les comités de Charia des banques islamiques et va statuer sur les produits financiers islamiques. C’est un contrat qui est facile a utiliser mais très rigide c’est pourquoi les banques islamiques recourent souvent à la location-vente (le Salam) qui est une autre forme de contrat à règlement différé.
61 Le client bénéficie d’une bonne cote de crédit pour avoir toujours effectué les remboursements dus aux fournisseurs et grâce à la valeur de son patrimoine.