Le réel, les étants comportent une diversité frappante. Les objets de notre expérience ont des formes variées et ne sont pas les mêmes. Déjà, dès le début de notre investigation, l’être nous est apparu sous deux aspects : l’essence et l’existence.
Les choses se présentent en effet comme multiples et diverses. « L’une n’est pas l’autre, chacune s’oppose à toutes les autres et selon tout ce qu’elle est. (110)» C’est d’ailleurs parce que l’être révèle en soi une multiplicité qu’il se laisse saisir par la pensée (111).
Or, comme le montre J. de Finance, l’analyse de l’être révèle que l’être est multiple tout en restant un : « (…) l’être nous est apparu, à l’analyse, irréductiblement divers dans une foncière unité. (112)» Ainsi, deux êtres quelconques diffèrent-ils par tout ce qu’ils sont, car rien de ce qui constitue l’un ne constitue l’autre, et chacun réalise son existence d’une manière qui lui est propre, intime. « Tout étant est, en un certain sens, unique. (113)» Un chien, par exemple, est différent d’un arbre en tous points, et les deux n’ont pas le même mode d’exister. Mais, en étant différents par tout ce qu’ils sont, c’est encore par tout ce qu’ils sont que les êtres se ressemblent, « puisque tout ce qu’ils sont est également de l’être. (114)» D’où J. de Finance conclut que c’est du dedans de l’être que naît la multiplicité, et non par ajout extérieur (115).
Donc nous pouvons retenir d’une part qu’« en tant qu’elles sont, les choses ont entre elles une profonde unité. Car elles sont être en tout ce qu’elles sont. (116)» Donc, au titre même de l’être, les choses sont à la fois identiques et différentes, un et multiples. Nous voyons déjà poindre ici la conception analogique de l’être, qui soutient que l’être diffère selon les choses dont il se dit, mais que ces choses demeurent liées entre elles, par un rapport de proportionnalité. Il en sera question plus tard.
Conclusion
Ce deuxième chapitre avait pour but d’étudier la structure de l’être chez J. de Finance. Il s’agissait de rendre compte de la multiplicité dans l’être, tout en sauvegardant l’identité et l’unité de celui-ci. Pour ce faire, nous avons relevé plusieurs formes de multiplicité, à savoir celle qui intervient dans l’être sous forme de devenir ou de changement, puis celle qui a lieu par la répétition de l’essence qui produit les individus d’une même espèce ; et enfin, la pluralité d’êtres d’espèces différentes. Nous avons commencé par la première forme qu’est le devenir, étant donné qu’elle est ce qui nous affecte d’abord et dont nous avons pleinement conscience.
Pour étudier ce devenir, nous avons passé en revue quelques auteurs qui ont abordé cette question avant et après Aristote, en précisant que c’est Aristote qui a, le premier, expliqué de façon convenable cette difficulté. Il en est ressorti qu’avant Aristote les tentatives de solutions à ce problème n’étaient que physiques et imaginatives. Après Aristote, la postérité a diversement reçu et interprété les notions d’acte et de puissance. Cette diversité d’interprétations nous a conduits à l’analyse qu’en fait notre auteur. Celui-ci explique le devenir dans une perspective purement aristotélicienne. Bien qu’il se saisisse d’abord à un niveau psychologique et intellectuel, le devenir requiert le dépassement de ces deux niveaux qui supposent une certaine dualité entre les différents moments de l’être, pour être saisi comme une compénétration entre l’acte et la puissance. Ainsi, le devenir, c’est être en puissance d’être ce qu’on n’est pas encore en acte, et être en puissance de n’être pas ce qu’on est actuellement.
Chez l’individu concret, les constituants métaphysiques prennent le nom de substance et d’accidents et permettent de conserver l’ipséité de l’individu à travers les différentes déterminations qu’il subit. Pour J. de Finance, la difficulté de distinguer clairement chez Aristote la substance et les accidents est réelle.
En ce qui concerne la multiplicité numérique, l’analyse de l’être nous a révélé que c’est l’essence qui est à la fois le principe d’identité et de différence entre les êtres. Par l’union de la forme à la matière, la matière limite la forme et devient matière de cette forme, ce qui permet à l’essence de réaliser ses possibilités dans un autre être, moyennant une autre forme. C’est ainsi que s’expliquent la répétition de l’essence et le problème de l’individuation.
Quant à la pluralité des existants, elle n’entame nullement l’unité des êtres. Les êtres diffèrent et se ressemblent à la fois par tout ce qu’ils sont, car ils sont partout constitués de l’être. C’est le mystère de l’être. Cette unité dans la diversité qui caractérise les êtres annonce l’analogie ontologique.
Reste à montrer comment s’énonce et s’articule cette analogie, et quelles orientations pratiques pouvons-nous lui donner. Nous répondrons à ces questions dans le chapitre suivant réservé aux prédications logiques de l’être.
110 Ibid., p. 316.
111 Cf. ibid., p. 207.
112 Ibid., p. 208.
113 Ibid.
114 Ibid.
115 Cf. ibid.
116 Ibid., p. 316.
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