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III.2. L’équivocité et ses épigones

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La conception équivoque de l’être soutient que l’être se dit en plusieurs sens, mais que ces différents sens n’ont entre eux aucune commune mesure (128). De la sorte, la pensée de l’équivocité véhicule un décryptage de la réalité en catégories qui correspondent et se rapportent aux différents sens de l’être. Il y aurait donc autant de notions d’êtres qu’il y a des êtres. Selon J. de Finance, c’est bien dans cette voie que s’engage l’existentialisme contemporain, notamment avec Jaspers, Kierkegaard et Sartre. (129) Certes, chez Kierkegaard et Jaspers, il n’est question que des étants humains en opposition aux objets, aux choses, mais il reste qu’ils mettent l’accent sur le caractère unique de chaque existant, caractère si singulier et unique que l’unification de ces existants parait difficile, voire impossible. (130) Ainsi, si Kierkegaard se refuse à enseigner, c’est parce que l’enseignement suppose des règles universelles que le maître transmet au disciple. Or, chaque existant est sui generis. Il n’y a donc pas de règles universelles, et chacun doit découvrir ses propres règles, sa propre vérité (131).

Chez Sartre, les deux types d’êtres que sont l’en-soi et le pour-soi ne peuvent pas davantage être unifiés sous un même concept, bien qu’ils soient inséparablement présents dans l’existant (132).

Vécue de façon absolutisée, l’équivocité ontologique conduit à la conception d’un monde de l’altérité absolue, où chaque élément serait entièrement clos sur lui-même, sans aucun rapport avec les autres, c’est-à-dire « formant un univers à part, sans aucune communication, relation, ressemblance ou communauté quelconque avec les autres. Chaque être est ce qu’il est et ignore les autres qui pour lui ne sont pas. (133)»

Notre auteur rejette l’idée d’un monde où tout serait étranger à tout. Il affirme que dans un tel cas, l’idée même d’un monde serait inconvenante, car le monde suppose une certaine unité, des éléments formant un tout. C’est d’ailleurs ce que nous montre l’affirmation radicale de l’être. Dire, en effet, qu’il y a de l’être, n’implique pas, pour celui qui avance cette affirmation, qu’il épuise complètement tout l’être. L’être est d’une richesse inépuisable, nous l’avons montré dans le premier chapitre en abordant la plénitude de l’être. Dire donc je suis ou ceci est ne signifie pas que moi ou ceci épuisons l’être et qu’en dehors de moi ou de ceci il n’y aurait plus rien, sinon du néant. Bien au contraire, cette affirmation me pose dans l’être, à côté des autres étants que mon existence ne saurait exclure. (134) L’équivocité ontologique est donc insoutenable.

A la différence des théories univoques qui sacrifient la multiplicité et le changement au nom de la raison, les théories pluralistes et mobilistes, qui sont d’inspiration équivoque, sacrifient la raison au bénéfice de la multiplicité et du changement. Autrement dit, elles acceptent le fait de la diversité des êtres mais refusent de l’unifier. (135) Ainsi, « les êtres sont irrémédiablement séparés, sans lien. Nulle communauté d’origine ne les apparente les uns aux autres, aucune affinité ne les unit. Chacun est seul et les autres n’existent pas pour lui. (136)»

Pour J. de Finance, le mobilisme absolu ruine l’identité de l’être en le rendant différent dans chacun de ses états. Et ces divers états deviennent eux-mêmes étrangers les uns aux autres. L’être de l’équivocité se dissout « dans le pur flux d’une réalité qui devient toujours et n’est jamais. (137)»

Comme on peut le constater, une telle conception maintient les étants dans un séparatisme absolu. Notre auteur souligne le fait que le pluralisme cohérent conduit à une attitude de parfaite indifférence et d’égoïsme complet, bref, à l’absolutisation du chacun pour soi. (138) L’amour, la morale et toutes les attitudes philanthropiques deviennent impossibles dans une telle perspective. Le mobilisme absolu déconstruit complètement la personnalité et la responsabilité morale. Pas de référent éthique, puisque rien n’est stable ni définitif. L’équivocité rejoint, dans l’extrême opposé, les conceptions univoques : « dans les deux cas, tout équivaut à tout. » (139) Le mal et le bien auraient même valeur, vérité et mensonge se correspondraient.

Ainsi, univocité et équivocité, tout comme leurs épigones se détruisent eux-mêmes et ne sauraient donc constituer des solutions acceptables. Comme le prouve notre auteur, on ne peut sacrifier ni l’un ni le multiple, ni la permanence ni le changement. (140) La multiplicité et le changement sont des faits irrécusables, tant ils s’imposent à nous et à notre affirmation de l’être. Certes, « de soi, l’être est un et reste l’être » (141), nous ne pouvons cependant pas ignorer les déterminations sous lesquelles l’étant se présente. Or les solutions univoques et équivoques échouent à concilier l’unité ontologique avec les diverses déterminations qui accompagnent l’être. Il nous faut alors chercher une autre voie qui rende compte de la complexité de l’être, sans sacrifier ni l’un ni l’autre de ses aspects, c’est-à-dire ni la permanence ni le devenir, ni l’unité ni la multiplicité, ni l’expérience ni la raison. C’est la voie de l’analogie.

128 Cf. V. BERGEN, op. cit., p. 20.
129 Cf. J. DE FINANCE, op. cit., p. 64.
130 Cf. ibid.
131 Cf. ibid.
132 Cf. ibid.
133 Ibid., p. 65.
134 Cf. ibid., p. 66.
135 Cf. ibid., p. 213.
136 Ibid.
137 Ibid.
138 Cf. ibid., p. 214-215.
139 Ibid., p. 215.
140 Ibid., p. 218.
141 Ibid.

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