Depuis maintenant plus de cinq ans, AQMI, ex Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC), est une menace constante de déstabilisation au Sud de la Méditerranée et une crainte au Nord(58). L’organisation encore très algérienne, tend de plus en plus à s’étendre au sahel et les différents moyens employés pour contrecarrer cette présence terroriste n’y font rien.
Les évènements récents au Mali et la chute du Guide Libyen favorisé par le printemps arabe au Maghreb sont venus renforcés l’insécurité grandissante qui sévissait au sahel avec pour effet pervers, le risque d’une contagion vers le reste des Etats de la région. Face à ce dilemme, l’on se demande que faire ? Quelle lutte contre AQMI et les différents mouvements terroristes qui ont pris en otage le sahel africain ? Voilà autant de questions que les experts et les acteurs concernés par la situation au sahel essaient tant bien que mal d’apporter une réponse sans y parvenir véritablement.
Pour Mehdi TAJE, parallèlement depuis 2009, nous assistons à un déploiement du centre de gravité d’AQMI du territoire algérien vers le théâtre sahélien opérant ainsi un retour sur « l’ennemi-proche »(59). Ce retour d’AQMI au sahel est dû au fait que cette zone offre des moyens de repli, de réorganisation et des facilités de recrutement (60)(facilité en outre par le potentiel démographique) et de financement qui permettent aux réseaux terroristes de s’activer, de s’enraciner et de se développer au sahel de manière significative. Il en résulte un climat d’insécurité croissant, propice à la déstabilisation des Etats de la région. Antonin TISSERON à la suite de Mehdi TAJE relève que les conséquences du printemps arabe au sahel, et tout particulièrement au Nord du Mali, ont en effet offert à AQMI une opportunité de développement dans la sous région après l’échec du mouvement dans ses ambitions Maghrébines(61). En apportant un ancrage territorial et en laissant les mains libres aux groupes islamistes armés pour imposer leur conception et pratique de l’islam, le vacuum sécuritaire
dans le Nord Mali redistribue les cartes de la menace jihadistes dans le Sahel- Sahara et accroît les menaces sécuritaires(62).
En effet, selon Alain CHOUET, l’islam militant, il y a longtemps qu’il a gagné le continent africain et l’Afrique noir, en particulier dans ses implantations au Nigeria, à Kano et dans un certain nombre d’universités islamiques qui sont financés et irrigués par les fonds des Organisations Gouvernementales Saoudiennes(63). Cette radicalisation de l’islam africain réputé modéré serait un vecteur au développement des extrémistes islamistes dans la région sahélienne et un facteur potentiel de menace pour le sahel. Point de vue auquel adhère Aboya MANASSE ENDONG qui considère qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique constitue incontestablement, un risque stratégique éminent pour tous les pays du sahel(64). Cela parce que d’une part, le sahel est devenu un enjeu croissant pour les jihadistes dont l’objectif est d’instituer un Califat(65)Islamique et de combattre les impies, et d’autre part, en raison de ses richesses naturelles.
Mehdi TAJE met cependant l’accent sur le fait que l’insécurité surmédiatisée reflétée par la série d’enlèvements d’occidentaux et la montée en puissance du trafic de drogue doit être analysée « avec prudence et remise en perspective par rapport aux stratégies des puissances étrangères »(66). Dans ces conditions, il semble opportun de relativiser l’importance d’AQMI et son impact réel, car il se pourrait qu’il ne soit que la face cachée de l’iceberg.
Les différentes politiques mises en place pour combattre AQMI au sahel n’ont pas toujours abouties. Animées par des vues de court terme, elles passent à côté des réalités de terrain, sont conçues à contre temps, rencontrent des difficultés lors de leur mise en œuvre et leurs évaluations ne donnent pas les résultats escomptés(67). Pour Laurence AIDA AMMOUR, la coopération sécuritaire entre pays frontaliers (Algérie, Mali, Niger, Mauritanie, Lybie) reste éclatée et individualisée(68). Ponctuée de désaccords, elle est caractérisée par une méfiance réciproque qui grève l’édification d’une véritable politique de sécurité commune, par des stratégies nationales parallèles, parfois contradictoires, qui peuvent s’avérer contreproductives(69).
Les politiques de l’union européenne (UE) et des Etats-Unis, bien qu’elles aient été élaborées afin de préserver et sécuriser leur influence dans la région, n’ont toutefois pas permis d’empêcher une détérioration de la situation, pourtant préjudiciable à leur intérêt stratégique(70).
Modibo GOITA juge pour sa part que les efforts de contre terrorisme des Etats du sahel ne sont pas bien coordonnés et restent trop concentrés sur l’endiguement et la lutte contre la stratégie à long terme très élaborée d’AQMI dans la région. Pour contrecarrer la stratégie sahélienne d’AQMI, une série d’ajustements à court et à long terme est nécessaire dans l’ensemble de la région71. Mais comme le note Mehdi MEKDOUR, à l’image de la lutte contre Al-Qaïda en Afghanistan et en Irak, la solution au terrorisme ne se trouve pas dans le tout sécuritaire, même s’il a un rôle à jouer dans l’affaiblissement d’AQMI(72). Outre le problème de la sécurité au sahel, seul une solution politique permettra d’éliminer cette organisation terroriste en la privant de ses financements et de cette jeunesse leurrée qu’elle utilise comme chair à canon(73). Il va falloir aussi que des mesures d’accompagnement complètent cette solution afin de mettre au pas ces « fous de Dieu » hors de la région sahélienne. C’est ce qui relativisera des groupes comme AQMI et permettra de les éliminer.
La présente étude se situe dans la perspective de ces récents développements en croisant AQMI comme menace sécuritaire et menace géostratégique pour l’arc sahélien. Le phénomène islamiste a pris une tournure inquiétante dans la région, ce qui en fait une des zones les plus dangereuses du monde. La situation du délitement au Nord du Mali a favorisé l’implantation des groupes islamistes qui y opèrent face à l’impuissance des pays du champ et de la communauté internationale. Ces groupes islamistes aux agendas différents ont renforcé leur position au Nord du Mali et constitue une réelle menace à la fois pour la région et ses habitants dont ils perturbent le quotidien et l’avenir, ainsi que pour les partenaires occidentaux de la région dont ils visent les ressortissants. Cette nouvelle instabilité qui fragilise la région du sahel appel les différents acteurs concernés par la question à repenser la sécurité dans cette zone.
En effet, les divers mécanismes sécuritaires au sahel ont prouvé leur limite face à la menace grandissante d’AQMI. Depuis sa reconversion, en septembre 2006, en franchise nord-africaine et sahélienne, voire Ouest-africaine, d’Al-Qaïda, le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) algérien a augmenté sa dangerosité, son champ d’action, sa notoriété et se joue de toutes les faiblesses des Etats de la région. Devant ce chaos, rétablir la sécurité passe par une redéfinition des instruments en matière de sécurité contre le terrorisme et par une nouvelle approche d’appréhension dans la manière de lutter contre AQMI et ses filiales au sahel. L’originalité de cette étude s’apprécie alors à travers une nouvelle expertise sur le phénomène terroriste au sahel, le but étant de trouver de nouvelles stratégies pour contrecarrer la menace d’Al-Qaïda sur le continent.
58 Louis GAUTIER, « AQMI : Un problème régional », les Notes d’ORION, Observatoire de la défense, n°4, Janvier 2011, p. 2.
59 Mehdi TAJE, « La Réalité de la menace d’AQMI à l’aune des révolutions démocratiques au Maghreb », Géostratégiques n° 32, 3e Trimestre, 2011, p. 286.
60 Voir François Dumont, Démographie Politique. Les lois de la géopolitique des populations, paris, Ellipses, 2007, 498 p.
61 Antonin TISSERON, « Sahara de tous les dangers. Le Maghreb dans la tourmente ? » Actuelles de L’IFRI, le 23 octobre 2012, p. 1.
62 Ibid.
63 Afrique Terrorisme : L’Afrique est-elle contaminée par l’islam radical ? RFI, le 03 septembre 2010, entretien avec Ghislaine DUPONT P. 1.
64 François BURGAT, L’islam à l’heure d’Al-Qaïda, La Découverte, paris, 2006, cité par Aboya MANASSE ENDONG, « Risque mesuré ou surdimensionné » : instrumentalisation de l’AQMI et domination géostratégique ? Revue Africaine de parlementarisme et de Démocratie, volume III, n° 5, Avril 2011, p. 23.
65 Un Califat peut être défini comme un territoire sur le quel un Calife (successeur du prophète Mohamed) exerce un pouvoir régi par l’islam.
66 Mehdi TAJE, op.cit. (Supra, note n° 6), p. 1.
67 Bérangère ROUPPERT, « Les Etats sahéliens et leurs partenaires extrarégionaux. Le cas de l’Union Européenne en particulier », Note d’analyse du GRIP, 6 décembre 2012, p. 1.
68 Laurence AIDA AMMOUR, « Les Défis de sécurité dans la zone Saharo-Sahélienne et leurs répercussions dans la région Méditerranéenne », Ponencia presentada en el IX Seminario international sobre Seguridad y Defensa en el Mediterraneo. Una vision compartida para el Mediterraneo y su Vecindad, organizado en Barcelona por CIDOB y el Ministedad de Defensa el dia 25 de octubre de 2010, p. 1.
69 Laurence AIDA AMMOUR, ibid.
70 Bérangère ROUPPERT, op.cit., p. 2.
71 Modibo GOITA, Nouvelle menace terroriste en Afrique de l’ouest : Contrecarrer la stratégie d’AQMI au sahel, Bulletin de la Sécurité Africaine, une publication du Centre d’Etudes Stratégiques de l’Afrique, n°11, février 2011, p. 6.
72 Mehdi MEKDOUR, « Al-Qaïda au Maghreb Islamique : Une menace multidimensionnelle », Note d’analyse du GRIP, 26 août 2011, p. 17.
73 Mehdi MEKDOUR, op.cit., p. 1.
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