Institut numerique

II–Les facteurs de l’installation massive de la population à Youpwe

Dès la deuxième moitié de la décennie 1980, l’urbanisation de Youpwe a pris une sérieuse option. L’accélération de l’urbanisation dans cette partie de la ville est liée à un certains nombres de facteurs au rang desquels, l’explosion démographique, la spécificité de la structure foncière à Youpwe, et le laxisme des autorités.

II.1- L’explosion démographique de la ville de Douala

La croissance démographique de la ville de Douala est considérée comme l’une des causes de l’extension spatiale de la ville. En effet, la ville de Douala a connu une augmentation vertigineuse de sa population au cours des trois dernières décennies. Selon SCET (2) International, la population de Douala est passée de 863 000 habitants en 1985 à 1 118 000 habitants en 1990, pour enfin se situer à 2 100 000 habitants en l’an 2000 (3). Aussi, les différents résultats des recensements de la population et de l’habitat rendent compte de cette évolution spectaculaire de la population dans la ville Douala.

Cette augmentation très rapide de la population a eu pour conséquence directe une demande pressante en terrains viabilisés. L’offre ne suivant pas toujours la demande, les populations ont mis sur pied des stratégies informelles pour acquérir des terrains ou des espaces à bâtir. C’est en effet dans ce contexte de débrouillardise que les populations découvrent peu à peu le quartier Youpwe, qu’elles occupent progressivement. Outre l’explosion démographique à Douala, l’installation massive des populations à Youpwe semble être liée à la spécificité traditionnelle de la structure foncière de l’époque à Youpwe.

Tableau n° 1 : Evolution de la population à Douala, densité et consommation annuelle moyenne en terrains

Source : Guy MAINET, (1985)

Fig. n°1 : Evolution de la population à Douala de 1884 à 2005

Source : RGPH

II.2- Spécificité du régime de l’appropriation foncière et modalités d’installation des populations à Youpwe

La proximité de Youpwe du grand centre urbain, les modalités d’acquisition des terres en vigueur à une certaine époque dans le quartier ont favorisé le déferlement des populations dans ce secteur marginal de la ville. Selon les enquêtes réalisées auprès du chef du quartier, et auprès des populations, il s’avère que, dès l’origine du quartier, jusqu’à une date récente, l’on ne marchandait pas du terrain à Youpwe. Il s’agissait toutefois, d’une formalité ou procédure d’enregistrement que l’on effectuait auprès du chef du quartier pour être considéré comme propriétaire d’un lot à Youpwe ; Ceci moyennant bien entendu une modique somme d’argent et de quelques biens en nature (alcool, vin rouge, tabac, pagne…).

En clair, selon le chef, « le terrain a été donné par le haut ». En effet, les modalités d’acquisition du terrain qui ont prévalu à Youpwe lors des toutes premières installations étaient bien différentes de celles pratiquées dans les positions des autochtones Douala. Les autochtones Douala dans leur position traditionnelle obtinrent le droit de spéculer sur le terrain. Ils les vendirent après 1932, puis par la suite ils préférèrent louer et investir dans l’immobilier (Guy Mainet)(5).

Dans toutes les zones périphériques, les terrains sont des propriétés coutumières. C’est un bien collectif et inaliénable. Le législateur interdit leur vente. Ce système a fonctionné bien de façon satisfaisante pour le partage du sol entre les membres de la collectivité coutumière. Mais dès qu’il s’agit d’accueillir des étrangers, la vente n’étant pas permise, la transaction donne lieu à la délivrance d’un permis d’occuper précaire et révocable souligne Guy Mainet. En général, les transactions se sont faites il y a trois décennies en marge des circuits notariaux à Youpwe. Les constructions sont contraires à tout plan d’urbanisme. Les terrains ne sont pas immatriculés. Le « propriétaire » accorde un permis d’occuper révocable avec interdiction de construire en matériaux définitifs moyennant une somme variant entre 100 000 et 250 000 FCFA. Mais ce permis n’a aucune valeur légale.

En définitive, les premières installations des populations à Youpwe se sont faites sur des bases purement coutumières. Cette situation nous amène à nous interroger sur les fondements réels du droit positif en matière foncière sur un espace comme Youpwe.

II.3- La réglementation foncière mise à rudes épreuves à Youpwe

Le quartier Youpwe est situé sans contexte sur les rives du fleuve Wouri. Le Wouri communique directement à la mer (Océan Atlantique). Vu sous cet angle, Youpwe est un domaine public maritime conformément à l’article 2 al. 3 de l’ordonnance n° 74/2 du 6 juillet 1974 portant sur le régime foncier et domanial au Cameroun(5).

Au terme de l’ordonnance ci-dessus, le domaine public maritime comprend trois grandes catégories de dépendances, les rivages de la mer, les rives des embouchures des cours subissant l’influence de la mer ; et enfin le sol et le sous-sol de la mer territoriale. Aussi d’après la même ordonnance, les marécages et les étangs naturels et les lagunes à la condition de ne pas être des plantations ou étangs aménagés en vue des cultures maraîchères font partie intégrante du domaine public.

Toutefois, soulignons que l’article 2 al. 2 de l’ordonnance de 1974/2 précise que « les biens du domaine public sont inaliénables, imprescriptibles et insaisissables. Ils sont exempts d’appropriation privée ». Il découle de ce qui précède que les populations installées à Youpwe occupent illégalement cet espace qui relève du domaine public maritime et fluvial, car le caractère inaliénable des biens du domaine public prévoit que ceux-ci sont inaliénables en ce sens que non seulement les particuliers ne peuvent pas acquérir sur eux un droit de propriété ou un droit de servitude mais encore les autorités publiques elles-mêmes chargés de la garde et de la gestion du domaine ne peuvent en disposer sous aucune forme. Au total, il convient de relever que les populations s’installent à Youpwe (domaine public) au mépris des lois foncières. Cette situation est symptomatique de l’ignorance des populations, mais surtout du laxisme des pouvoirs publics qui s’illustrent par un mutisme béant face à l’invasion humaine de la localité de Youpwe.

(2) Société centrale pour l’équipement du territoire
(3) MAINET Guy ;(1985).-DOUALA : Croissance et servitude, l’Harmattan, 611P
(4) MAINET Guy ;(1985).-DOUALA : Croissance et servitude, l’Harmattan, 611P.
(5) NYAMA J. M ;(2001).-Régime foncier et domanialité publique au Cameroun, UCAC, 484 P.

Page suivante : III–Le quartier Youpwe de 1990 à nos jours

Retour au menu : PRESSION ET DYNAMIQUE DE L’ESPACE COTIER A MANGROVE DE YOUPWE(DOUALA)