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Introduction

ADIAL

La Cour de Cassation a clairement posé pour principe que « Le propre de la
responsabilité est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage
et de placer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si
l’acte dommageable n’avait pas eu lieu »(1). Ainsi, lorsqu’un dommage corporel, qui se définit
comme une atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la personne, est causé à la victime
par un tiers, la responsabilité civile consacre l’obligation pour le tiers responsable
d’indemniser cette victime. L’indemnisation peut alors être transactionnelle ou judiciaire.

La responsabilité civile de droit commun suppose la réunion de trois conditions : un fait
générateur, un préjudice et un lien de causalité entre ces deux éléments. Le droit commun de
la responsabilité civile, qui constitue le socle juridique de la présente étude, s’applique
lorsqu’aucun statut spécial n’est prévu, c’est-à-dire dans l’hypothèse d’un accident de la vie
privée dont un tiers est en tout ou partie responsable. Les dommages corporels relevant de la
législation sur les accidents du travail, du régime des produits défectueux, de la Loi Badinter
du 5 juillet 1985 sur les accidents de la circulation, du régime des accidents médicaux, des
législations relatives aux victimes d’infractions ou d’attentats ne seront donc pas pris en
considération.

L’indemnisation en droit civil repose sur quatre principes fondamentaux : le principe
de la réparation intégrale des préjudices, le principe indemnitaire, le principe de l’évaluation
in concreto des préjudices et le principe du pouvoir souverain d’appréciation des juges du
fond.

Le principe de la réparation intégrale est défini comme l’obligation pour le responsable de
réparer l’entier préjudice subi par la victime. L’article 1er de la Résolution 75 du Conseil de
l’Europe(2) énonce que la victime doit être replacée dans une situation aussi proche que
possible de celle qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s’était pas produit. Ainsi,
l’auteur d’un accident est tenu d’en réparer toutes les conséquences dommageables et la
victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable(3).

Le principe indemnitaire signifie que le montant de l’indemnisation ne doit pas être supérieur
au préjudice subi. En effet, la victime ne doit pas s’enrichir du fait de son indemnisation. Par
conséquent, l’indemnité versée doit être équivalente au préjudice et la victime ne peut
recevoir une double indemnisation du même préjudice.

Le principe de l’évaluation in concreto des préjudices implique une étroite personnalisation de
l’indemnisation au regard des éléments de fait et s’oppose à une évaluation in abstracto et
forfaitaire. L’évaluation in concreto, qui suppose une appréciation des faits de l’espèce, a pour
corollaire le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. La Cour de cassation
rappelle ainsi que les juges apprécient souverainement le montant du préjudice dont ils
justifient l’existence par l’évaluation qu’ils en font, sans être tenus d’en préciser les divers
éléments(4). La réparation du dommage corporel peut alors se résumer par la formule « Tout le
préjudice, rien que le préjudice, le préjudice réel »(5).

Aucune règle légale n’imposant une méthodologie de l’indemnisation du dommage
corporel, un groupe de travail a été constitué en 2003 au sein du Conseil National d’Aide aux
Victimes, dans le cadre du Programme d’action en faveur des victimes présenté par D.
Perben, Garde des Sceaux, en Conseil des Ministres du 18 septembre 2002, avec comme
objectifs une application cohérente du principe de la réparation intégrale des préjudices et une
homogénéité dans le montant des indemnisations. Présidé par le Professeur Y. Lambert-
Faivre, ce groupe de travail était chargé de rechercher des « modalités d’indemnisation de la
victime plus justes et plus transparentes » et de réfléchir sur « une définition claire des
différents postes de préjudices » et « une harmonisation des indemnisations par l’élaboration
d’un barème indicatif national ». Le rapport Lambert-Faivre sur « L’indemnisation du
dommage corporel » a été remis en octobre 2003(6).

Au mois de novembre 2004, N. Guedj, Secrétaire d’Etat aux droits des victimes, a demandé
au Premier président de la Cour de cassation de constituer un groupe de travail afin d’élaborer
« une nomenclature des chefs de préjudice corporel cohérente ». Présidée par J.P. Dintilhac,
président de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, cette commission a rendu
son rapport en octobre 2005(7). Les nomenclatures proposées par ces deux rapports reposent sur
une double distinction entre les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux et entre les
préjudices temporaires et permanents.

L’adoption d’une nomenclature des chefs de préjudices réparables apparaît nécessaire depuis
la réforme du recours des tiers payeurs par l’article 25 de la Loi du 21 décembre 2006(8). En
effet, s’inspirant des recommandations du Médiateur de la République, ce texte instaure un
recours subrogatoire poste par poste.

Ainsi, dans une circulaire du 22 février 2007(9), le ministère de la Justice recommande aux
magistrats de l’ordre judiciaire de se référer à la nomenclature des chefs de préjudice figurant
dans le rapport Dintilhac(10). Toutefois, le Conseil d’Etat, par un avis du 4 juin 2007 et un arrêt
du 5 mars 2008, n’a pas retenu la nomenclature Dintilhac, l’estimant trop complexe(11).
Néanmoins, cette nomenclature est utilisée par tous les acteurs en droit privé. La majorité des
juridictions l’applique dans ses décisions et la Fédération Française des Sociétés d’Assurance
ainsi que divers fonds d’indemnisation l’ont adoptée dans leurs transactions.

Suite aux travaux du groupe de travail Dintilhac, l’AREDOC (Association pour l’étude de la
réparation du dommage corporel) avait élaboré une mission d’expertise intitulée « Mission
droit commun 2006 », qui restait toutefois insuffisante(12). L’adoption de la nomenclature
Dintilhac par tous les intervenants a conduit l’AREDOC à compléter certains points et à
publier la « Mission d’expertise médicale 2006 mise à jour 2009 »(13). Par ailleurs, la Cour
d’appel de Lyon, en partenariat avec le Barreau de Lyon et la Chambre des avoués de Lyon, a
élaboré un mémento de bonnes pratiques intitulé « Recommandations de bonnes pratiques en
matière de réparation des dommages corporels »(14), visant à harmoniser les différentes étapes
d’une instance en réparation de dommages corporels en prenant en considération la réforme
du recours des tiers payeurs et la nomenclature Dintilhac.

Parmi les préjudices indemnisables, le préjudice professionnel présente un enjeu
particulier pour la victime. Le fait de ne plus pouvoir travailler, générant une situation
d’anomalie sociale, constitue un préjudice qui ne se réduit pas à la seule perte de gain(15). En
effet, loin de n’accomplir qu’une fonction de satisfaction des besoins élémentaires, le travail
est un moyen de socialisation, d’identification dans l’espace social, de réalisation de
l’individu. Pour le philosophe J.B. Prévost, la victime qui ne peut reprendre son travail,
dédommagée de sa perte de gains professionnels, souffre encore de l’impossibilité de jouir
d’un statut et d’une fonction, impliquant généralement un processus de désocialisation.

S’agissant de la victime en réinsertion professionnelle, la reprise d’une activité peut avoir une
incidence psychologique, liée au renoncement à son poste de travail et à la nécessité de
reconstruire un projet professionnel, de faire le deuil de ses capacités(16).

Dès lors, il convient de s’interroger sur la réparation des répercussions professionnelles d’un
dommage corporel en droit commun de la responsabilité civile depuis la publication de la
nomenclature Dintilhac et l’entrée en vigueur de la Loi du 21 décembre 2006.

L’indemnisation du dommage corporel en fonction de la situation propre à chaque
victime impose d’identifier tous les éléments constitutifs du préjudice. Cette phase correspond
à l’évaluation du préjudice professionnel que nous étudierons dans une première partie. Vient
ensuite la fixation du montant de l’indemnité définitive allouée à la victime, par la mise en
oeuvre de modalités que nous examinerons dans la seconde partie.

1 Civ. 2e, 28 octobre 1954.
2 Résolution 75 du Conseil de l’Europe relative à la réparation des dommages en cas de lésions corporelles et de
décès adoptée par le Conseil des ministres le 14 mars 1975.
3 Civ. 2e, 19 juin 2003, n°01-13289.
4 Ass. Plén., 26 mars 1999, n°90-20640.
5 Y. Lambert-Faivre, S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel, Systèmes d’indemnisation, 6e édition,
Dalloz, 2008, p.166.
6 Rapport sur l’indemnisation du dommage corporel ou « rapport Lambert-Faivre », juin 2003,
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/034000490/0000.pdf.
7 Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels ou « rapport
Dintilhac », juillet 2005, http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000217/0000.pdf.
8 Article 25 de la loi n°2006-1640 du 21 décembre 2006, JORF du 22 décembre 2006.
9 Circulaire de la DACS n°2007-05 du 22 février 2007 relative à l’amélioration des conditions d’exercice du
recours subrogatoire des tiers payeurs en cas d’indemnisation du dommage corporel.
10 Nomenclature Dintilhac, Rapport Dintilhac, p.48-50, Annexe 1.
11 CE, avis, 4 juin 2007, n° 303422 ; CE, 5 mars 2008, n°27447.
12 P. Hivert, D. Arcadio, J.M. Grandguillote, Regards croisés pour une nouvelle expertise médicale issue de la
nomenclature Dintilhac, Gaz. Pal., 19 juin 2007.
13 Mission d’expertise médicale 2006 mise à jour 2009, AREDOC, La Lettre, octobre 2009.
14 Recommandations de bonnes pratiques en matière de réparation des dommages corporels, Cour d’appel de
Lyon, Barreau de Lyon, Chambre des avoués de Lyon, http://www.ca-lyon.justice.fr.
15 J.B. Prévost, Travail et socialité : une analyse de la valeur travail, Dossier Focus L’incidence professionnelle,
Gaz. Pal., 10 août 2010.
16 S. Bercovici, B. Morin, Réinsertion professionnelle et incidence professionnelle, Gaz. Pal., 10 août 2010.

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