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Introduction :

ADIAL

Le 19ème siècle français voit fleurir, au fur et à mesure du développement de la société industrielle, à la fois les théories et les expérimentations destinées à unir salariés et chefs d’entreprise, à « substituer à cette relation conflictuelle une relation de solidarité dans l’entreprise dans le but de transformer les travailleurs, de salariés qu’ils sont, en partenaires ou en associés qu’ils doivent devenir »(1). Cette volonté nouvelle de rapprocher capital et travail se nourrit de diverses théories qui tentent chacune à leur manière d’expliquer la nécessité de ce rapprochement.

A ce titre, le courant « utopiste » est surement le plus radical. Il propose de dépasser l’opposition entre capital et travail par une nouvelle organisation de la relation salariale fondée sur l’association, dans laquelle le salarié deviendrait associé du propriétaire et participerait ainsi aux chances de pertes et de gains de l’établissement.

Nous retrouvons au cours du 19ème siècle, d’autres courants de pensée qui ont fait germer l’idée d’un système qui associerait plus étroitement les entrepreneurs et leurs salariés. Le courant « humaniste » développe à cette époque, une théorie proche de la doctrine sociale de l’Eglise, en exprimant l’idée que la participation permet d’assurer la dignité de l’homme au travail.

Plus proche de la conception actuelle, le courant « productiviste » faisait de la participation aux résultats, voire de l’association au capital, un facteur d’amélioration quantitative et qualitative des résultats de l’entreprise par la motivation des salariés.

Malgré ces courants favorables à l’association capital-travail, peu d’expériences d’actionnariat des salariés seront menées durant cette période, la faute à une opposition virulente à l’idée d’association. Ainsi, si l’on met à part la loi du 18 décembre 1915 sur les coopératives ouvrières de production et celle du 26 avril 1917, sur les sociétés anonymes de participation ouvrière, le législateur intervint peu dans ce débat, et la première moitié du 20ème siècle marque un recul des idées d’une meilleure association du capital et du travail.

C’est sous l’impulsion du général de Gaulle que le débat fut relancé, lorsqu’il exprima au cours d’un discours prononcé devant les mineurs de Saint-Etienne, la grande idée de l’association : « La rénovation économique de la France et, en même temps, la promotion ouvrière, c’est dans l’Association que nous devons les trouver ». Elle portait essentiellement sur les rémunérations, en déterminant un mode de fixation de celles-ci, unique du plus bas au plus haut de l’échelle, et lié de la même manière aux résultats de l’entreprise. Cela permettait aussi, dans l’esprit gaulliste, de renouveler les rapports sociaux et de redonner aux travailleurs toute leur dignité. La participation était alors surtout une association du salarié, à la fois au capital, à la gestion et aux résultats. Dans ce cadre, l’association, devenue participation par la suite, devenait une véritable troisième voie entre le communisme et le capitalisme.

C’est en 1958, une fois revenu au pouvoir, que le général de Gaulle concrétisa ses idées en les inscrivant dans un cadre législatif et juridique.
Depuis cette date, le législateur n’a cessé de se pencher sur la notion de participation et de créer des dispositifs partageant cette même volonté de rapprochement entre salariat et patronat, donnant naissance à un nouveau système plus connu aujourd’hui sous la terminologie « d’épargne salariale ».
L’intéressement a ainsi vu le jour en 1959, suivie 8 ans plus tard de la participation aux bénéfices et du Plan d’Epargne Entreprise (PEE). Puis, en 1986, une ordonnance a sérieusement accélérer le développement de l’épargne salariale en mettant en place les premières incitations fiscales, notamment l’exonération d’impôt sur le revenu pour la prime d’intéressement versée sur le PEE. C’est également l’ordonnance de 1986 qui a rendu possible l’acquisition par les salariés d’actions de l’entreprise, au cours d’opérations d’ouverture du capital.

La construction du système d’épargne salariale s’est poursuivie en 1990, lorsque la participation fut rendue obligatoire pour les entreprises de 50 salariés et plus, alors qu’auparavant seules les entreprises de plus de 100 salariés étaient concernées.
Les années 90 marquent un tournant important dans la construction de l’épargne salariale. En effet, jusqu’à cette période, les dispositifs offraient un lien plus étroit entre capital et travail, en permettant aux salariés de percevoir une partie des fruits issus de la croissance de leur entreprise, et à l’employeur d’instaurer un dialogue social apaisé. Les primes d’intéressement, immédiatement perceptibles avaient plutôt vocation à générer du pouvoir d’achat supplémentaire, tandis que la participation, indisponible pour 5 ans, était généralement investie via le PEE sur des produits de taux (obligations…), peu volatiles. En effet, la courte durée de blocage de l’épargne, n’offrait pas les meilleures garanties pour investir dans des valeurs à revenu variable comme les actions.

La possibilité de développer une épargne salariale sur des supports à long terme afin de développer l’investissement en actions, commence à trouver échos auprès de certains acteurs politiques. Développer l’actionnariat pour éviter de voir le capital des entreprises françaises tomber aux mains d’investisseurs étrangers, est une idée qui se propage de plus en plus au cours de cette décennie. Très vite cette problématique va être rejointe par une autre.
En effet, certaines voix politiques(2) ont commencé à s’élever en faveur d’une épargne salariale longue durée, gérée selon le principe de la capitalisation et prenant la forme, selon les cas, de fonds d’épargne retraite ou de fonds de pension.

Pour la première fois, l’épargne salariale rejoignait la problématique des retraites. Auparavant, les seules polémiques concernant la participation et l’intéressement, gravitaient autour de la question des salaires. Certains syndicats de travailleurs reprochaient notamment à l’épargne salariale de se substituer à l’augmentation des rémunérations. A partir des années 90, l’épargne salariale va se retrouver au coeur d’un nouveau débat : celui des retraites. Certains voient en elle, sinon une alternative, tout du moins un complément au financement des pensions par le système de la répartition. D’autres au contraire, sont farouchement opposés à l’idée de remettre en cause l’exclusivité du système de retraite par répartition.
Afin de mieux comprendre comment est apparu ce conflit idéologique autour de la question du financement des pensions, il convient de revenir brièvement sur la construction du système de retraite français.

Pendant longtemps, le sort des « anciens » sans ressources et sans famille pour prendre soin d’eux, n’a relevé que de la charité à l’initiative d’organisations religieuses ou encore à l’initiative de corporations pour leurs anciens membres. La première profession à obtenir une compensation en période d’inactivité est celle des marins, sous le règne de Louis XIV. Puis, peu à peu, d’autre corps de métiers proches de la royauté bénéficièrent du même système (administration royale, personnels des maisons royales…).

Il faudra attendre le milieu du 19ème siècle pour voir se généraliser un système de retraite englobant tous les fonctionnaires civils et militaires. Le régime de pension par répartition pour la fonction publique, voit le jour en 1853 sous l’impulsion de Napoléon III. Nous y reviendrons, le régime par répartition constitue depuis cette époque le socle de notre système de retraite. Ce régime par répartition ou plutôt devrions nous dire ces régimes, car il existe aujourd’hui une multitude de caisses de retraite, fonctionne selon le modèle de la solidarité intergénérationnelle entre d’une part, les actifs cotisants et d’autre part, les retraités pensionnés. Une fraction des salaires des travailleurs est prélevée pour alimenter des caisses de retraites, qui seront par la suite chargées de redistribuer ces fonds aux retraités. Dans un système par répartition, les sommes prélevées sont immédiatement ou presque, reversées aux inactifs, de telle sorte que l’argent ne transite pas sur les marchés financiers.

Jusqu’au début du 20ème siècle, seuls les fonctionnaires bénéficiaient d’un système de retraite organisé. Le secteur privé, avec à sa tête la classe ouvrière, s’organisait tant bien que mal pour financer la retraite des anciens. Les sociétés de secours mutuels, ancêtres des mutuelles d’aujourd’hui, faisaient office de palliatif mais leur impact était marginal et peu d’ouvriers avaient accès à une pension. Grâce aux actions sociales qui commencent à s’organiser à la fin du 19ème siècle, suite à la légalisation du syndicalisme, certains corps de métiers accèdent à un régime de retraite. C’est le cas notamment des mineurs, qui obtiennent en 1894, un régime obligatoire de retraite financé par les patrons et garanti par l’Etat.

En 1910, la loi sur les « retraites ouvrières et paysannes » crée les premiers systèmes de retraite par capitalisation à adhésion obligatoire. Ceux-ci vont s’imposer pendant une trentaine d’années comme le mode de financement des retraites pour le secteur privé. Cependant, le système ne fonctionne pas très bien en raison de la faiblesse des salaires et du nombre important de travailleurs ne payant pas leurs cotisations. Les rentes qui sont versées à cette période sont peu élevées et peu d’ouvriers atteignent l’âge légal de la retraite, abaissé pourtant de 65 ans à 60 ans en 1912.

C’est sous le gouvernement de Vichy, qu’apparait pour la première fois le principe d’un système d’assurance vieillesse généralisé, géré selon le principe de la répartition. Cette idée sera reprise par les ordonnances de 1945, qui donneront naissance à la sécurité sociale. Une branche vieillesse est crée et assure une pension de 20 % du salaire, si la retraite est prise dès 60 ans et une pension pouvant atteindre 40 % du salaire, si l’arrêt de la carrière a lieu à 65 ans, l’âge légal fixé à l’époque. L’ordonnance de 1945 et la loi de 1946 qui suivie, prévoyaient un système de retraite universel. Cependant, les régimes de retraite des fonctionnaires ont demeuré, formant ainsi un système morcelé entre un régime général et des régimes spéciaux. Pour renforcer le régime de base, des régimes complémentaires obligatoires vont être créés dans le secteur privé, en 1946 pour les cadres (AGIRC) et en 1961 pour les non cadres (ARRCO). Ces régimes complémentaires forment après la branche vieillesse de la sécurité sociale, le deuxième niveau du système de retraite français.

Dans les années 60, des changements démographiques, l’inflation ou encore le déséquilibre entre les centaines de caisses de retraite existantes, vont commencer à déséquilibrer le système. Les cotisations sont réévaluées à la hausse pour faire face notamment à l’allongement de l’espérance de vie. En 1971, sous la pression de la droite, la loi Boulin fait passer de 30 ans à 37,5 ans, la période d’assurance ouvrant droit à une retraite à taux plein. Cet allongement de la durée de cotisation est compensé en partie, par une retraite qui sera dorénavant calculée sur la base des dix meilleures années d’activité et non plus sur celle des 25 meilleures années, comme c’était le cas auparavant.

En 1983, François Mitterrand met en oeuvre le « programme commun », projet issu de son alliance avec le Parti Communiste Français, et qui promet de grands bouleversements sociaux. La retraite est accordée dès 60 ans pour 37,5 années de cotisation, au taux plein de 50 % du salaire annuel moyen.
La hausse du chômage qui va s’amorcer au milieu des années 70 et s’intensifier pendant les années 80, pèse sérieusement sur les cotisations et par conséquent sur le financement des régimes par répartition. En 1993, le gouvernement Balladur découvre un déficit des caisses de retraite estimé à plus de 40 milliards de francs. Face à la gravité de la situation, un projet de réforme est mené au pas de charge par le ministre du Budget de l’époque, Nicolas Sarkozy. La réforme qui s’en suit va allonger la durée de cotisation, la faisant passer de 37,5 années à 40 années. Elle va également créer un système de décote du taux de remplacement (2,5 % par trimestre manquant) pour les salariés qui prennent leur retraite à 60 ans et qui n’ont pas cotisé suffisamment longtemps. Enfin, dernière mesure marquante de la réforme de 1993, le calcul des pensions sera à nouveau basé sur les 25 meilleures années. Cette réforme ne va atteindre que partiellement son objectif de réduction des déficits, les cotisations n’ayant pas augmentées autant qu’escompté. Plus grave, la réforme va conduire dans le même temps à une baisse importante du niveau des pensions, de l’ordre de 6% selon les observateurs de l’époque.

Comment peut-on expliquer les déséquilibres des régimes par répartition, en dépit des réformes successives ?

D’un point de vue économique et actuariel, les régimes gérés par répartition ont des performances directement liées au rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités. Le moteur de ces régimes est donc démographique. L’arrivée à la retraite des générations du baby boom, conjugué à une baisse des actifs (ce que les économistes appellent « l’effet ciseaux »), expliquent en grande partie les déséquilibres du système. A cela, s’ajoute l’allongement de l’espérance de vie qui a fait un bond considérable dans la deuxième moitié du 20ème siècle. Enfin, le taux de chômage très fort dans les années 80-90 a fortement réduit les recettes de la branche vieillesse. De multiples raisons expliquent donc les déficits des régimes de base par répartition, qui conduisent à une baisse inexorable des taux de remplacement (niveau de pension exprimé en pourcentage du dernier salaire d’activité). Un tableau en annexe (Annexe 1) illustre parfaitement la future baisse des taux de remplacement.

Comment peut-on inverser la tendance ?

L’allongement de la durée de cotisation et l’augmentation des taux de prélèvements sont les solutions envisagées pour endiguer cette crise du système de retraite. Cependant, ces « remèdes » ont déjà été mis en oeuvre et ont montré leurs limites. Dans ces circonstances, il parait difficile d’exiger des cotisants un effort supplémentaire, sans compter que l’on s’attaque ici à un sujet « explosif », qui rencontre chaque fois qu’il est présenté, l’opposition des partenaires sociaux.

Si les régimes par répartition ne permettent plus d’assurer à tous un niveau de pension satisfaisant, la solution pourrait bien venir de l’épargne retraite par capitalisation.

Ces régimes de retraite, disparus en France depuis les années 40, constituent dans certains pays comme aux Etats Unis, le système privilégié pour assurer le financement des retraites. La capitalisation relève d’une logique complètement différente de la répartition. Les employeurs et travailleurs versent des cotisations qui vont venir alimenter les marchés financiers. A l’âge de la retraite, le salarié bénéficiera d’une rente dont le montant sera fonction, d’une part des cotisations versées, et d’autre part du rendement des placements financiers. Généralement, chacun peut s’il le souhaite, verser des cotisations plus fortes que celles imposées, de manière à augmenter ses futurs droits à pension. Si elle peut s’inscrire dans un cadre collectif, la retraite par capitalisation procède avant tout d’une logique individuelle. Le salarié cotise pour sa propre retraite, à la différence du régime par répartition qui fonctionne sur la base d’une solidarité entre actifs et retraités.

La gestion des retraites selon le principe de la capitalisation ne constitue pas la solution miracle. La capitalisation tout comme la répartition est soumise à l’aléa démographique, en plus d’être soumise à l’aléa économique des marchés financiers. Ceci étant, sans parler d’une substitution d’un système à un autre, ne pourrait-on pas imaginer la capitalisation comme un complément qui viendrait soulager un système par répartition « malade » ?
L’idée d’une alternative à un système de retraite entièrement fondé sur la répartition commence à faire son chemin parmi certains membres de la classe politique. C’est à partir de cette difficulté de financement des régimes de retraite, que va naitre peu à peu l’idée d’un rapprochement entre les dispositifs d’épargne salariale et le développement d’une épargne retraite, qui aurait pour cadre l’entreprise.

En 1994, Monsieur Marini évoque déjà, dans sa proposition de loi Epargne Retraite, la possibilité de permettre aux salariés qui le souhaitent, de préparer leur retraite à l’aide de l’épargne salariale. Monsieur Marini critique à l’époque l’inégalité qui règne entre les différentes catégories de travailleurs. En effet, certains salariés bénéficient déjà d’un complément de retraite par capitalisation, qu’ils pouvaient alimenter individuellement. C’est le cas notamment des fonctionnaires, qui disposent de la PREFON ou bien encore des travailleurs non salariés qui peuvent préparer leur retraite grâce aux fonds Madelin. Le sénateur reproche également au PEE, son manque d’adaptation à la constitution d’une épargne retraite. En l’absence de fonds de retraite ad hoc, différents produits d’épargne longue (PEA, PEE, assurance-vie, etc.) jouent le rôle de placements retraite, pour ceux qui désirent se constituer un complément.

Cependant, le membre de la commission des Affaires Sociales, pointe du doigt le fait qu’aucun de ces instruments d’épargne ne soit véritablement adapté à la constitution d’une épargne retraite. Absence de sortie en rente, durée de vie trop courte, rupture de la phase d’épargne en cas de changement d’employeur, tels sont les arguments soulevés par le sénateur pour mettre en lumière cette inégalité de traitement, entre les salariés qui ont accès à un fonds de pension, et ceux qui n’y ont pas accès.

La proposition de loi de Monsieur Marini n’a pas été suivi d’effet, tous comme de nombreuses tentatives au milieu des années 90. Parmi ces propositions de loi avortées, la plus marquante d’entre elles est surement celle formulée par messieurs Charles Million et Jean Pierre Thomas en 1993. Après plusieurs années de discussions parlementaires, la « loi Thomas », est enfin votée le 25 mars 1997. Cette loi met en place, pour l’ensemble des salariés de droit privé, un système de retraite supplémentaire à cotisations définies, par capitalisation, donnant droit à une rente viagère lors de la cessation d’activité, avec une option de sortie partielle en capital (limitée à 20 % du capital constitué). Les versements des salariés sont facultatifs et peuvent être complétés par un abondement patronal dans la limite de 4 fois le versement salarial. Ce dispositif « Thomas » prévoit sous certaines limites, des avantages sous forme de déductions fiscales et d’exonérations sociales.

Le mécanisme est conçu pour être accessible à tous, par l’intermédiaire de l’entreprise si celle-ci propose le fonds à ses salariés, ou de manière individuelle en adhérant au plan de son choix, en cas d’échec des négociations collectives. Le système, un « Perp » avant l’heure, semblait plutôt équilibré, dans la mesure où le législateur avait prévu des garde-fous pour protéger l’épargne des salariés : gestion externe à l’entreprise, surveillance pour chaque plan, dispersion obligatoire des placements entre différents supports, interdiction de servir des prestations définies…

Bien que la loi soit votée par le parlement, un grand nombre de ses dispositions d’application relèvent du pouvoir réglementaire. Hors, l’assemblée nationale est dissoute par Jacques Chirac quelques semaines après la promulgation du texte. Sur fond de cohabitation naissante, le nouveau gouvernement ne prendra jamais les décrets d’application nécessaires. Ainsi, la « loi Thomas » est restée lettre morte jusqu’à son abolition en 2002. Les opposants à cette loi reprochent au dispositif ses trop nombreuses exonérations sociales, qui selon eux nuisent au financement des régimes obligatoires. Les incitations fiscales sont également décriées comme favorisant les ménages les plus aisés.

En dépit des critiques envers le projet de la droite d’instaurer un système par capitalisation, la gauche au pouvoir, à partir de 1997, n’entreprend pas pour autant de réforme du système par répartition. Profitant de la forte croissance économique de la fin des années 90 et du début des années 2000, marquée notamment par l’éclosion de la « bulle internet », la gauche crée à la place, un fonds d’investissement dénommé « Fonds de réserve pour les retraites ». Ce fonds a pour mission d’engranger les surplus de cotisations des années de forte croissance économique, de les mettre en réserve et de les placer sur les marchés financiers, afin de combler les déficits des régimes de retraite en période de crise.

Dans ce contexte d’affrontement idéologique, l’idée d’instaurer un dispositif de retraite par capitalisation marque le pas à la fin des années 90. Dans le même temps, l’épargne salariale poursuit sa construction avec notamment la loi « Fabius » du 19 février 2001, qui constitue une avancée significative dans la diffusion des dispositifs. A travers des incitations fiscales et la création du Plan d’Epargne Interprofessionnel (PEI), le législateur a permis aux PME d’accéder plus facilement à l’épargne salariale. Pour faire bénéficier des dispositifs au plus grand nombre, la loi a également baissée la condition d’ancienneté de 6 mois à 2 mois et facilitée la portabilité de l’épargne d’une entreprise à une autre.

Derrière ces mesures visant à étendre les dispositifs, la loi « Fabius » est surtout connue pour avoir créé un nouveau plan d’épargne : le Plan Partenarial d’Epargne Salariale Volontaire (PPESV). Le PPESV se présente comme un plan d’épargne entreprise à long terme (les sommes sont bloquées pendant 10 ans) qui tend à voir se développer la détention d’actions françaises. Jusqu’en 2001, seul les comptes courants bloqués et le PEE permettaient d’épargner les sommes issues de l’intéressement et de la participation. Le plan d’épargne entreprise prévoyait le blocage de l’épargne pendant 5 ans. Hors, cette durée n’était pas adaptée pour investir sur des supports en actions, au rendement potentiel plus fort, mais qui se révélaient plus volatiles que les produits de taux (obligations, monétaires…). Afin de redonner une base plus puissante au capital des entreprises françaises et développer l’actionnariat salarié, la loi « Fabius » a donc crée ce plan d’épargne longue durée. Le rapport « Balligand-de Foucauld » remis à Lionel Jospin en 2000, et dans lequel sera reprise l’idée du futur PPESV, se défend de proposer la création d’un plan d’épargne retraite et rappelle son attachement au système par répartition.

Malgré les dénégations de l’époque, le PPESV s’apparente bel et bien à un dispositif conçu pour permettre aux salariés de préparer leur retraite. Le renforcement concomitant du pouvoir des conseils de surveillance des fonds, semble être là pour en attester.
Sans reprendre l’idée de fonds de pensions dédiés qui permettraient à tous les français de se constituer individuellement un complément de retraite, la loi « Fabius » ouvre la voie de manière détournée et par l’intermédiaire de l’épargne salariale, à une possible cohabitation entre retraite par capitalisation et retraite par répartition.

C’est dans cette « brèche » ouverte par la loi « Fabius », que va s’engouffrer le législateur de 2003, en créant pour la première de fois de véritables dispositifs de retraite par capitalisation ouvert à tous. Figurant en bonne place parmi les promesses de Jacques Chirac lors de la campagne présidentielle de 2002, l’épargne retraite voit véritablement le jour en 2003, à l’occasion de la réforme des retraites menée par le ministre des Affaires Sociales François Fillon. Les dispositions de la loi du 21 août 2003 sont consacrées en grande partie à l’équilibre des régimes obligatoires. Cependant, le législateur consacre un titre entier au volet capitalisation et va créer deux nouveaux dispositifs consacrés à la retraite. Le premier, appelé Plan d’Epargne Pour la Retraite Collectif (PERCO) est un nouveau plan d’épargne salariale, qui s’inspire très largement du PPESV créé deux ans plus tôt. La différence majeure entre les deux plans est la durée de blocage de l’épargne. Tandis que le PPESV prévoyait une durée de blocage de 10 ans, le Perco affiche clairement son objectif en bloquant les droits jusqu’à l’âge de la retraite.

En parallèle au Perco, le législateur a créé le Plan d’Epargne pour la Retraite Populaire (Perp) qui est un produit d’épargne retraite individuel, offrant la possibilité à son titulaire d’effectuer des versements facultatifs.

Enfin, la loi Fillon prévoit la possibilité pour les entreprises, de mettre en place un contrat de retraite supplémentaire à cotisations définies, permettant aux bénéficiaires, en sus des cotisations obligatoires (patronales voir salariales), d’effectuer des versements volontaires facultatifs, dans un cadre fiscal identique à celui Perp. Ces contrats à cotisations définies, communément appelés « article 83 », en référence à l’article du Code général des impôts auquel ils empruntent leur régime fiscal, sont des contrats collectifs à adhésion obligatoire. Ils ont pour objet la constitution de droits viagers et sont alimentés par une cotisation patronale et aussi, le plus souvent, par une part salariale. Jusqu’à la loi du 21 août 2003, ces contrats collectifs d’épargne retraite ne permettaient pas aux salariés d’effectuer des versements volontaires. En ouvrant cette possibilité, la loi a indirectement crée un nouveau régime de retraite supplémentaire à cotisations définies : le Plan d’Epargne Retraite Entreprise (le Pere).

La loi Fillon donne donc naissance à trois dispositifs d’épargne retraite. L’un d’entre eux ne peut être alimenté que par les versements volontaires du souscripteur, et s’inscrit à ce titre dans une démarche totalement individuelle (le Perp). Les deux autres, le Pere et le Perco, sont des régimes collectifs qui ont pour cadre l’entreprise, mais qui ouvrent une possibilité d’épargne individuelle.

L’objet de ce mémoire sera d’étudier le développement de l’épargne retraite dans le cadre bien spécifique de l’entreprise. Ainsi, le Perp qui est un produit accessible à tout le monde, ne sera évoqué que de manière parcellaire, l’essentiel de notre travail se concentrant sur le Pere et sur le Perco.
Nous le verrons, ces deux mécanismes ont des caractéristiques assez proches alors qu’ils sont pourtant issus de deux systèmes bien distincts.
Le Perco est un dispositif d’épargne salariale, système qui à l’origine avait pour unique finalité, un rapprochement entre travail et capital.
Le Pere quant à lui, est un régime de retraite supplémentaire et fait partie à ce titre, d’un système collectif visant à constituer des droits individuels supplémentaires au profit des salariés.

Ce qu’il va être intéressant d’analyser tout au long de notre travail, c’est comment le législateur de 2003, a puisé dans les caractéristiques et particularités de chaque système – épargne salariale et régimes supplémentaires – pour réaliser son objectif, à savoir développer un système d’épargne retraite collectif en France. Formulé sous forme de question notre sujet pourrait s’exprimer de la manière suivante : « En quoi la loi du 21 août 2003, a-t-elle contribuée à un rapprochement de l’épargne salariale et des régimes de retraite supplémentaire, de manière à favoriser le développement d’un système collectif de retraite par capitalisation ? »

La première partie de notre travail sera consacrée à présenter l’épargne salariale et les régimes de retraite supplémentaire de manière séparée, en mettant l’accent sur les finalités propres à chacun des mécanismes, tels qu’ils étaient conçus au départ (Titre 1).
La seconde partie de ce mémoire aura pour objet l’étude des nouveaux dispositifs « hybrides » issus de la loi du 21 août 2003 et leur apport dans la construction d’un système collectif d’épargne retraite. La dernière partie de notre travail sera également l’occasion d’évoquer les incohérences de ces nouveaux régimes et de réfléchir aux solutions pour améliorer leur fonctionnement (Titre 2).

1 Jean Chérioux, « l’actionnariat salarié : vers un véritable partenariat dans l’entreprise »
2 Proposition de loi Marini (1993), proposition de loi Barrot (1994)

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