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Introduction

L’assurance vie est présentée par tous comme le placement préféré des Français(1).
Avec 15 millions de détenteurs de contrats d’assurance vie et 30 millions de personnes
concernées par ces contrats (souscripteurs et bénéficiaires confondus), l’assurance vie est
également le premier placement des épargnants français. Toutes les catégories socioprofessionnelles
françaises et toutes les classes d’âge détiennent des contrats d’assurance vie ;
c’est donc un support d’épargne plébiscité par les Français(2). Les épargnants français ont
confiance dans ce placement que sont les contrats d’assurance vie.

L’assurance vie leur permet, en effet, de poursuivre des objectifs divers comme l’épargne, la prévoyance et la
retraite. Ils perçoivent ces contrats comme attractifs et rassurants du fait de leur simplicité et
de leur souplesse. Les épargnants trouvent par l’intermédiaire de ce contrat un très bon
équilibre entre la liquidité, la rentabilité et la fiscalité(3). En effet, les contrats d’assurance vie
bénéficient d’une meilleure fiscalité que les autres produits de placement, la rentabilité
s’adapte aux besoins des épargnants selon qu’ils souscrivent un contrat en fonds euros ou en
unité de compte et, enfin, ces contrats leur permettent de disposer d’une épargne
suffisamment liquide grâce aux rachats partiel ou total qu’ils peuvent réaliser.

L’assurance vie, par définition(4), est un contrat par lequel une personne appelée
souscripteur obtient d’une autre personne appelée assureur, moyennant le paiement d’une
prime, le paiement d’un capital ou d’une rente à elle-même si elle survit à une date déterminée
ou, en cas de décès, à un tiers qu’elle désigne(5). Le souscripteur peut être l’assuré mais l’assuré
peut également être une tierce personne. Le contrat d’assurance vie est donc un contrat
original régi à la fois par le Code civil, le Code des assurances et le Code général des impôts
(CGI) faisant intervenir trois personnes : le souscripteur, l’assuré et le bénéficiaire.

La garantie proposée et offerte par les contrats d’assurance vie est relative à la durée de la vie
humaine. En effet, à la différence des contrats de capitalisation qui sont des contrats purement
d’épargne, les contrats d’assurance vie impliquent la présence d’une « tête assurée » dont la
vie ou le décès, selon les dispositions contractuelles, conditionnera le dénouement du contrat.

L’engouement des épargnants pour les contrats d’assurance vie plutôt que pour
d’autres modalités de placement s’explique principalement par la fiscalité avantageuse dont
bénéficie l’assurance vie lorsque le contrat est détenu plus de huit ans. Voulant préserver
l’intérêt que les épargnants témoignent à l’assurance vie, il était prévu qu’elle ne soit touchée
par aucune réforme de la fiscalité du patrimoine(6). En effet, les assureurs avaient rappelé les
raisons pour lesquelles il n’est pas souhaitable de modifier la fiscalité de l’assurance vie(7) ; si
le régime fiscal de l’assurance vie était amené à devenir moins favorable, les épargnants
français se désintéresseront de ce mode de placement et les versements des primes
diminueront.

Cependant, les travaux sur la loi de finance rectificative pour 2011 ont proposé
des amendements sur le régime fiscal de l’assurance vie(8) modifiant notamment les règles
d’application de l’article 990 I du Code général des impôts et aggravant les charges fiscales
pesant sur la garantie décès(9). Ces amendements ont été en partie rejetés. Les modifications
importantes apportées par la Loi de Finance Rectificative de 2011 en matière d’assurance vie
concernent le prélèvement prévu par l’article 990 I du CGI qui passe de 20 à 25% au-delà de
902 838 €, ainsi que la fiscalité de la clause bénéficiaire démembrée. En effet, il est désormais
mit fin à l’optimisation fiscale rendue possible depuis la loi TEPA de 2007.

L’intérêt des épargnants pour les contrats d’assurance vie réside également dans le fait
que ce contrat est facilement modulable grâce à l’existence de nombreux types de contrats
d’assurance vie, de différentes natures. En fonction des objectifs que peuvent avoir les
épargnants, le contrat d’assurance vie souscrit ne sera pas le même et s’adaptera aux différents
objectifs des épargnants. En effet, les contrats d’assurance vie peuvent revêtir de multiples
formes et ces multiples formes semblent pouvoir répondre à toutes les objectifs de
souscription des Français (épargne, prévoyance, retraite…). Le terme très générique
d’assurance vie regroupe des placements très diversifiés et surtout plus ou moins risqués avec
un effet de levier plus ou moins important. Un contrat d’assurance vie peut être souscrit pour
couvrir un risque de vie ou un risque de décès. Le contrat d’assurance en cas de vie
conditionne le versement du capital à la survie de la personne assurée à l’échéance fixée dans
le contrat.

Le contrat d’assurance en cas de décès conditionne quant à lui le versement du
capital à la survenance du décès de la personne assurée au terme fixé par le contrat.

Pour l’assurance en cas de vie, il existe essentiellement un grand type de contrat, il s’agit du contrat
de capital différé. Ce contrat implique qu’en contrepartie du paiement d’une prime par le
souscripteur pendant toute la durée du contrat, l’assureur verse un capital si la personne
assurée est en vie à l’échéance prévue au contrat. Pour l’assurance en cas de décès, il existe
deux grands types de contrats, l’assurance temporaire décès qui couvre le décès de l’assuré
pendant une période de temps fixée par le contrat et l’assurance vie entière qui couvre le
décès d’une personne quelque soit la date de son décès c’est-à-dire sa vie durant.

Par ailleurs, il existe également des contrats d’assurance mixte, ce sont des produits qualifiés de produits
modernes dans lesquels une garantie vie et une garantie décès cohabitent. Ce sont des contrats
d’assurance en cas de vie avec une contre assurance en cas de décès. Plus précisément, si la
personne assurée est en vie à l’échéance, elle touchera le capital, mais en cas de décès, ce sera
un tiers bénéficiaire que le souscripteur aura pris le soin de désigner qui touchera le capital.

Ce sont ces contrats qui sont devenus le placement préféré des épargnants français
essentiellement car ces contrats permettent de répondre à la fois à un objectif d’épargne, de
placement mais également à un objectif de transmission du patrimoine. En effet, l’épargne
constituée par ces contrats soit leur revient directement soit est transmise à une personne
déterminée. En tout état de cause, ce ne sont pas des contrats à fonds perdu ; il semble que cet
aspect du contrat soit également déterminant de l’intérêt que les épargnants lui portent.

Par ailleurs, ces contrats sont qualifiés de modernes car ils ne sont pas nécessairement souscrits en
fonds euros mais peuvent également être souscrits en unité de compte. Les contrats
d’assurance vie souscrits en fonds euros sont des placements plus sécurisés que les contrats
d’assurance vie souscrits en unités de compte. Cependant, si les premiers permettent des
placements sûrs, leur performance sera bien moins intéressante que les seconds qui, en
fonction de la conjoncture économique, financière et surtout boursière, peuvent permettre de
réaliser de plus forts gains. On constate, par cette énumération, que la grande diversité des
contrats d’assurance vie semble pouvoir permettre de satisfaire à tous les objectifs pour
lesquels les Français sont amenés à souscrire ces contrats (épargne, prévoyance, retraite…).

Les contrats d’assurance vie, notamment avec le développement de plus en plus
important des contrats mixtes, sont donc également perçus comme des outils de transmission
patrimoniale. Plus particulièrement, en cas de décès, les contrats d’assurance souscrits par un
individu à titre gratuit au profit d’un tiers bénéficiaire permettent au souscripteur de
transmettre son patrimoine au bénéficiaire désigné. L’avantage réside dans le fait que le
souscripteur choisit le bénéficiaire à qui il transmettra son patrimoine.

En regardant l’opération juridique en elle-même que constituent les contrats
d’assurance vie avec dénouement en cas de décès du souscripteur/assuré, le tiers bénéficiaire
au moment du décès du souscripteur/assuré reçoit de l’assureur un capital, une somme
d’argent en vertu de ce contrat. En effet, le souscripteur d’un contrat d’assurance vie, en
contrepartie de versements de primes versées à l’assureur, lui demande en cas de décès, de
verser le bénéfice du contrat à un tiers bénéficiaire. Très souvent les contrats d’assurance vie
souscrits au profit d’un tiers bénéficiaire sont des attributions à titre gratuit.

On peut considérer que le bénéfice de l’assurance sur la vie est attribué à titre gratuit car le
souscripteur entend avantager le bénéficiaire dans la mesure où ce dernier ne fournit
directement ou indirectement aucune contrepartie. Une libéralité étant définie comme l’acte
par lequel une personne procure à autrui ou s’engage à lui procurer un avantage sans
contrepartie(10), la question de la qualification de cette opération se pose. Il semble que cette
attribution bénéficiaire à titre gratuit puisse être doublement qualifiée ; tout d’abord
d’assurance vie mais également de libéralité. C’est donc le fait de que les deux qualifications
d’assurance vie et de libéralité semblent pouvoir s’appliquer à une même opération qui est
source de complexité dans la qualification de cette opération. En considération de cela, il est
légitime de s’interroger sur la nature juridique de l’opération et sur sa qualification. Plus
précisément, la question se pose de savoir si un tel contrat d’assurance vie peut revêtir la
qualification de libéralité.

Cette question se pose depuis très longtemps en doctrine et en jurisprudence et se pose
encore actuellement. Depuis la loi du 13 juillet 1930, une très longue controverse existe sur la
question(11). On a pu croire, un temps, que la qualification de libéralité avait été admise mais a
été par la suite remise en cause. Comme c’est le cas pour toutes les questions de grande
envergure, les solutions admises sont perpétuellement reconsidérées.

A l’origine de cette controverse, les opposants à la qualification d’un contrat
d’assurance vie de libéralité faisaient valoir deux arguments principaux. Tout d’abord, ils
mettaient en évidence le fait qu’un contrat d’assurance vie avec dénouement en cas de décès
comportait une stipulation pour autrui. Dans le cadre d’un contrat d’assurance vie,
l’assureur/promettant va prendre l’engagement envers le stipulant/souscripteur, de verser le
bénéfice du contrat d’assurance vie au profit d’un tiers bénéficiaire que le stipulant aura
préalablement désigné(12). Pour les opposants à la qualification d’un contrat d’assurance vie de
libéralité, l’existence même de cette stipulation pour autrui était inconciliable avec la notion
de libéralité. En effet, en vertu de la stipulation pour autrui le bénéficiaire de l’assurance sur
la vie recueille directement de l’assureur un bien qui n’a jamais été contenu dans le
patrimoine du souscripteur alors que la définition d’une libéralité implique uniquement deux
personnes, l’une transférant à l’autre, à titre gratuit, une partie de son patrimoine.

Par ailleurs, en vertu de cette stipulation pour autrui contenue au sein d’un contrat d’assurance vie, le
bénéficiaire est seulement investi d’un droit de créance conditionnel(13), il ne s’agit donc
nullement d’une libéralité. Les opposants à la qualification de l’attribution bénéficiaire de
libéralité faisaient également valoir que le Code des assurances lui même dispense cette
opération non seulement des règles de forme régissant les libéralités telle que la règle de
solennité des libéralités mais également des règles de fonds spécifiques aux libéralités et
notamment les règles du rapport et de la réduction pour atteinte à la réserve héréditaire.

Cependant, malgré ces oppositions à la qualification de libéralité, certains auteurs tels que
Mazeaud et Capitant reconnaissent à l’attribution bénéficiaire à titre gratuit le caractère de
donation indirecte et donc implicitement celui de libéralité. Ces auteurs font valoir que les
nombreuses dispositions du Code des assurances considérées comme dérogatoires au droit
commun s’expliquent si l’on considère que l’attribution bénéficiaire à titre gratuit constitue
une libéralité. Pendant un temps, la jurisprudence a considéré que le contrat d’assurance vie
qui désigne un bénéficiaire à titre gratuit en cas de décès constituait une libéralité.

Cette jurisprudence est allée jusqu’à préciser que l’opération cumulait une assurance vie et une
donation indirecte dont le régime juridique était régi par des règles juridiques propres(14). Cette
position jurisprudentielle est restée constante pendant près de cinquante ans. Mais, à la suite
d’arrêts rendus par le Conseil d’Etat(15) et par la Cour de Cassation(16), cette solution
jurisprudentielle qui semblait acquise a été quelque peu modifiée. En effet, ces décisions ne
remettent pas en question le fait qu’un contrat d’assurance vie souscrit à titre gratuit au profit
d’un titre bénéficiaire puisse être qualifié de libéralité et plus précisément de donation
indirecte. Mais, selon ces décisions, cette qualification ne devrait plus être systématique.

Cette nouvelle jurisprudence fait valoir qu’un contrat d’assurance vie ne devrait plus être qualifié de
libéralité que de manière exceptionnelle. La qualification de libéralité pour un contrat
d’assurance vie ne pourra être retenue que si les dispositions de l’article 894 du Code civil
sont remplies. A savoir, le contrat d’assurance vie devra constituer « un acte par lequel le
donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du
donataire qui l’accepte ». Certains auteurs déduisent de cette jurisprudence que la
qualification d’assurance vie et de libéralité ne serait plus cumulative mais exclusive l’une de
l’autre ce qui implique une nécessaire requalification du contrat d’assurance vie en donation
pour que les règles des libéralités lui soit applicables.

A l’heure actuelle, la doctrine et la jurisprudence continuent de s’interroger sur la
question de la qualification de cette opération afin de déterminer si l’attribution bénéficiaire
d’un contrat d’assurance vie peut être qualifiée de libéralité. Les avis doctrinaux très
divergents sur la question et la jurisprudence non fixée témoignent des difficultés de
qualification rencontrées et de la complexité de la qualification de cette opération.

La constatation d’une réelle complexité de qualification découle donc de l’existence de cette
importante controverse. Au regard de cette controverse qui perdure depuis plusieurs dizaines
d’années, on peut s’interroger sur le fait de savoir si un jour, une réponse tranchée, claire et
précise pourra être apportée à cette question. Mais, si la qualification de cette opération
rencontre tant de difficultés c’est parce qu’elle entraîne des conséquences importantes.

En effet, l’intérêt flagrant de parvenir à qualifier cette opération réside dans la détermination du
régime juridique qui lui sera appliqué. Cette opération pouvant être qualifiée d’assurance vie
et de libéralité, en fonction de la qualification retenue, le régime juridique applicable ne sera
pas le même. L’enjeu de cette qualification réside dans le fait que le régime civil et surtout
fiscal des assurances vie et celui des libéralités diffèrent fondamentalement. Le choix de la
qualification est donc déterminant du régime juridique plus ou moins avantageux qui sera
applicable. Plus qu’une simple conséquence de la qualification de l’opération, c’est ce régime
plus ou moins avantageux qui semble guider la qualification. Cette qualification n’étant pas
anodine, c’est la raison pour laquelle une attention toute particulière est accordée à la
détermination d’une qualification exacte.

Afin de pallier cette difficulté de qualification et de tenter d’apporter des éléments de
réponse ou du moins des éléments de réflexions à cette question, nous tenterons de déterminer
comment qualifier cette opération. Dans la poursuite de cette controverse existante, nous nous
interrogerons donc sur le fait de savoir si un contrat d’assurance vie en cas de décès souscrit à
titre gratuit au profit d’un tiers bénéficiaire peut constituer une libéralité(17). Plus précisément,
tout au long de notre étude, nous nous interrogerons donc sur l’intérêt et la nécessité d’établir
une qualification précise pour cette opération.

Si la qualification d’un tel contrat d’assurance vie de libéralité est admise depuis
longtemps, cette qualification a toujours été et demeure contestée. C’est la raison pour
laquelle nous exposerons en quoi, selon nous, malgré les difficultés de qualification
existantes, la qualification de cette opération de libéralité peut être justifiée dans certaines
circonstances (Partie 1). Nous mettrons par la suite en évidence que le choix d’une
qualification pour cette opération ne doit pas être anodin car cette qualification emporte des
enjeux en termes de régimes juridiques applicable. Les enjeux de cette qualification sont
déterminants car les régimes juridiques des assurances vie et des libéralités diffèrent de
manière importante (Partie 2). Enfin, nous déduirons de l’ensemble de ces considérations la
nécessité, en pratique, d’une qualification unique de l’opération (Partie 3).

1 Cf Schéma L’assurance vie, placement préféré des ménages français, source site internet de la FFSA – Annexe 1
2 Conférence de presse de la FFSA – vendredi 11 mars 2011 – L’assurance vie : préserver le contrat de confiance
avec les Français
3 L’assurance vie, le placement préféré des Français – 23 juin 2010, site internet de la FFSA
4 Lexique des termes juridiques, Raymond Guillien et Jean Vincent, Dalloz, 15ème édition, 2005
5 Cf Schéma des contrats d’assurance vie en cas de vie et en cas de décès – Annexe 2
6 Débats parlementaires sur le projet de réforme sur la fiscalité du patrimoine de 2011 déposé le 11 mai 2011 à
l’Assemblée Nationale
7 Réforme fiscale : le point de vue des assureurs – 11 mars 2011, site internet de la FFSA
8 Amendements Carrez
9 Article de Michel Leroy, La loi de finance rectificative et la réforme de la fiscalité de l’assurance vie, Les
Nouvelles Fiscales 2011, n° 1071 du 1er juillet 2011
10 Lexique des termes juridiques, Raymond Guillien et Jean Vincent, Dalloz, 15ème édition, 2005
11 Capitant H., RGAT 1930, p 803
12 Cf Schéma L’application de la stipulation pour autrui au contrat d’assurance vie – Annexe 5
13 La condition consiste en ce que le décès survienne pendant la période de garantie pour que les capitaux
soient versés au bénéficiaire.
14 Notamment, Cass Civ 1ère, 8 octobre 1957
15 CE, 19 novembre 2004, n°254797, Département de la Dordogne et CE, 6 février 2006, n°262312, Madame Y
16 Cass, chambre mixte, 21 décembre 2007, n°06-12.769, Cass civ 2ème, 23 octobre 2008, n°07-19.550, Cass civ
2ème, 22 octobre 2009, n°08-17.793.
17 Cf Schéma L’attribution du contrat d’assurance vie en cas de décès – Annexe 3

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