1. Courant juridique et victimologie.
– Le mouvement actuel en droit de la responsabilité civile a été amorcé il y a plusieurs années1.
La naissance jurisprudentielle d’une responsabilité sans faute a ouvert un droit plus favorable à la victime.
Lorsque cette dernière est atteinte en son corps, elle ne veut plus se tourner vers la fatalité ou la résignation(2).
L’étude de la jurisprudence démontre l’ascension de l’acception d’une responsabilité civile tournée
vers les droits de la victime. Elle veut obtenir la réparation intégrale des préjudices(3) qu’elle a
subie auprès du responsable. S’il est impossible d’en désigner un, la solidarité nationale peut
être parfois actionnée(4). En France, selon la source du dommage, l’indemnisation des
préjudices ne sera pas la même. C’est un constat : le droit du dommage corporel est un droit
épars, dispersé en de multiples textes(5) et sans réel ordonnancement. Il n’est pas fort d’une
unité ; cette faiblesse le rend difficile à appréhender dans son intégralité. Sa richesse tient au
fait que la réparation du dommage corporel n’est pas un droit autonome(6) mais
complémentaire aux autres branches du droit(7).
2. Incohérence en la matière.
– Il serait souhaitable que le législateur opère un toilettage de la législation pour la cohérence du
système juridique français. Multiplier les textes en créant des régimes d’indemnisation spéciaux confère
un caractère confus au droit du dommage corporel(8). Maîtriser cette matière s’avère assez complexe,
les professionnels du droit l’approuveront. Leur formation n’est pas assez complète sur ce domaine, laissant
apparaitre les premières disparités entre les victimes devant les tribunaux ou lors de
transactions. Un mauvais conseil ne peut apporter une efficacité et un résultat équivalents à
celui d’un professionnel spécialisé en droit du dommage corporel. Cette spécialité est un
combat pour certains avocats qui prônent l’ouverture d’une nouvelle formation dans ce
domaine(9). Les universitaires écoutent d’une oreille, certains se lancent le pari de répondre à
ce besoin grandissant de la pratique(10).
3. Observation d’un manque d’équité dans l’évaluation du dommage corporel.
– Les difficultés actuelles s’esquissent facilement : une réparation des préjudices
découlant d’un dommage corporel, quelle qu’en soit sa source(11), n’a pas d’uniformité. Sans
standard, l’amer constat des victimes n’en est que plus douloureux. Selon le lieu
géographique, le professionnel du droit, le médecin expert, l’assureur ou encore le tribunal
saisi, la victime n’aura pas la même indemnisation. Il faut comprendre que la réparation du
dommage corporel n’étant pas un droit uniformisé, il ne peut être appliqué de façon égale sur
le territoire de l’État français(12). Sans ligne directrice, comment appréhender un équilibre ?
Rien ne justifie une telle injustice envers les victimes principales ainsi que les victimes par
ricochet ; cela est même contraire à la devise républicaine française : « Liberté, Égalité,
Fraternité ».
4. Recherches doctrinales (13).
– Dans un souci de meilleure application du droit et pour son amélioration(14), des groupes de travail
ont été nommés dans l’objectif d’évaluer les lacunes et de donner des pistes de réflexion sur une évolution
législative prochaine. C’est ainsi que plusieurs rapports ont vu le jour. Le premier est celui dirigé par
Mme le professeur LAMBERT-FAIVRE en 2003. Le groupe DINTILHAC, du nom de son directeur, établit une
nomenclature type des préjudices corporels réparables en 2005(15). Les assureurs emboîtent le
pas en 2008 en proposant leur Livre Blanc sur l’indemnisation du dommage corporel.
L’avant-projet de réforme du droit des obligations de M. le professeur CATALA propose
également d’effectuer des modifications législatives en faveur d’une indemnisation plus
uniforme notamment grâce à la promulgation législative d’un barème. Fort de ces divers
travaux, M. le député LEFRAND a déposé la proposition de loi n° 2055 « visant à améliorer
l’indemnisation des victimes de dommages corporels à la suite d’un accident de la
circulation »(16) devant l’Assemblée Nationale en 2010. Ce dernier projet se veut réformateur
et ambitieux. Selon M. le député LEFRAND, « il est possible d’améliorer la réparation du
dommage corporel »(17).
Pour ce faire, il suffit d’agir « sur les différents maillons de la chaîne
de l’indemnisation » en élaborant une méthodologie commune à l’ensemble des acteurs de la
réparation du dommage corporel, peu important sa source. « L’harmonisation des méthodes
d’indemnisation ne signifie donc pas l’uniformisation des indemnités » : les personnes ne sont
pas des biens échangeables(18), cette spécificité doit être prise en compte pour appeler à une
indemnisation la plus juste possible. En faisant reculer l’arbitraire de l’évaluation du
dommage corporel, on rétablit un équilibre plus important. C’est ici que la barémisation va
jouer un rôle essentiel. Plus récemment, la loi n° 2011-940 du 11 août 2011 modifiant
certaines dispositions de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et
relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi Fourcade, comportait initialement des
cavaliers législatifs lors de son vote définitif le 13 juillet 2011. Elle reprenait, sans raison,
plusieurs idées phare de la proposition de loi LEFRAND tout en sabotant le travail réalisé alors
en 2010(19).
Le Conseil constitutionnel, dans la décision n°2011-640 DC du 4 août 2011,
censure les cavaliers législatifs de la loi, notamment l’article 56 qui modifiait un pan
conséquent de la législation dont fait l’objet cette étude(20).
La barémisation doit être envisagée comme une méthodologie commune, un élément
universel qui aboutira à l’application d’un droit meilleur et plus juste pour tous. L’égalité
devant la loi n’en sera que mieux respectée. Sans vision utopiste de la question, la
barémisation de l’indemnisation du dommage corporel est le fait d’établir des instruments de
méthodologie uniques, applicables par l’ensemble de la pratique, et dont le résultat est de
garantir aux victimes une égalité totale et réelle devant la loi. La réparation de leur dommage
devrait être envisageable uniquement sur la même base.
5. Problématique.
– Comment arriver à un tel résultat ? Comment optimiser la barémisation de l’indemnisation des dommages
corporels afin que chaque victime puisse prétendre à une réparation intégrale et équivalente ? Il faut réviser
les étapes de la chaîne de l’indemnisation qui aboutissent, soit par une transaction, soit par un jugement, à plusieurs
mesures : premièrement, à l’élaboration officielle(21) d’une nomenclature des préjudices
corporels réparables; ensuit à la définition de la qualité du médecin ayant des compétences en
réparation du dommage corporel ainsi que de ses missions d’expertise ; puis à l’établissement
d’un barème médical unique officiel ; la création d’une table de capitalisation à jour
périodiquement et commune à l’ensemble des acteurs de l’indemnisation est nécessaire; et
enfin à la création d’une base de données sur les chiffres réels des indemnités versées afin
d’obtenir un référentiel national indicatif fiable.
Tous ces points doivent être mis en oeuvre pour améliorer l’indemnisation des
victimes de dommage corporel. Cette barémisation doit être une véritable boîte à outils
facilitant le travail au quotidien des différents acteurs de la chaîne de l’indemnisation(22).
La barémisation est un moyen d’uniformisation en fixant des principes généraux applicables à
toutes les situations factuelles. C’est pourquoi un socle commun fondé sur une théorie
générale de l’indemnisation du dommage corporel est devenue nécessaire. Cette étude
n’abordera pas la barémisation de l’indemnisation du dommage corporel en droit
administratif. Il paraît utile de se concentrer sur le droit privé afin de dégager les grandes
lignes directrices d’une indemnisation équitable et similaire entre victimes d’un dommage
analogue.
6. Plan.
– Afin de procéder à l’indemnisation la plus juste, il faut établir des
lignes directrices applicables à toutes les catégories de dommages corporels, et ce peu importe
leur source. Repenser la chaîne de l’indemnisation en harmonisant les différentes étapes qui la
composent paraît être la clef de voûte d’une barémisation efficace. C’est dans cette optique
qu’il faut également améliorer les outils de la barémisation afin de créer des modèles de
réparation les plus justes et les plus précis possibles entre les victimes. Idée d’une boîte à
outils servant de grille de lecture.
Il ne sera pas fait mention des différents régimes d’indemnisation, cette approche se
base uniquement sur l’évaluation du dommage corporel en droit privé. Il faut comprendre les
revendications de la pratique de la réparation en ciblant. L’harmonisation de la chaine
d’indemnisation du dommage corporel est un besoin dont les enjeux sont essentiels
(PREMIÈRE PARTIE). Pour mener à bien cette barémisation, le législateur doit créer ou réviser
les outils d’évaluation du préjudice (DEUXIÈME PARTIE).
1 Arrêt Teffaine, Cass., Civ., 16 juin 1896, S. 1897.I.17, notes ESMEIN ; D. 1897.I.433, note SALEILLES
et concl. Avocat général SARRUT.
2 Historique de la chronologique de la psychologie de la victime blessée.
3 Il faut faire le distinguo essentiel entre les notions de dommage et de préjudice.
4 Si un fonds de garantie ou un fonds d’indemnisation prennent en charge de tels dommages.
5 Par exemple la loi BADINTER de 1985 sur les victimes d’accident de la circulation crée un régime
spécial d’indemnisation du dommage corporel desdites victimes.
6 Sans être autonome, le droit du dommage corporel est-il éligible à une théorie générale ?
L’auteur essayera d’apporter une réponse tout au long de cet ouvrage.
7 Spécificité du droit du dommage corporel et sa complémentarité avec les autres branches du droit.
8 En ce qu’il est un droit, il faut expliquer le cheminement pour déclarer qu’il existe un droit du
dommage corporel.
9 Entretien avec Gisèle Mor, « Je revendique la création d’un certificat de spécialisation Droit du
dommage corporel », Gaz. Pal., 2011, n°13, p. 8 et s. Elle parle de ce sujet et le besoin d’une technicité aiguisée
pour défendre au mieux les victimes.
10 L’Université de Savoie propose depuis septembre 2011 un master 2 professionnel Droit du dommage
corporel.
11 La source du dommage ne doit pas avoir d’importance pour une théorie générale de la réparation des
préjudices découlant d’un tel dommage. Les régimes spéciaux d’indemnisation actuels renforcent l’éclatement
de la matière.
12 Son manque de cohérence la dessert, l’éclatement de la matière empêche sa bonne application.
13 Pour aller plus loin, V. Y. LAMBERT-FAIVRE et S. PORCHY-SIMON, Droit du dommage corporel,
6ème éd., coll. Précis, Dalloz, 2009.
14 Volonté claire du gouvernement actuel notamment avec la loi sur l’amélioration du droit, il faut
rechercher sa date de promulgation et les travaux préparatoires.
15 V. Annexe n° 1.
16 Le titre de la proposition de loi va certainement être modifié car les débats montrent la volonté
d’appliquer ce texte à l’ensemble des victimes de dommage corporel. V. Annexe n° 2.
17 Rapport fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
sur la proposition de loi visant à améliorer l’indemnisation des victimes de dommages corporels à la suite d’un
accident de la circulation (n°2055), Rapport LEFRAND à l’Assemblée Nationale, rapport n° 2297, page 5.
18 Pas de valeur marchande du corps, prohibition rappelée par le code civil qui déclare que le corps et
ses produits sont en dehors du commerce juridique. Article 1128 sur l’objet du contrat. Articles 16 à 16-9 sont
d’ordre public.
19 A. BARRELIER, La loi FOURCADE…, Gaz. Pal., 16 juillet 2011, n°197, p.8.
20 La loi FOURCADE étant une pâle copie de la proposition de loi LEFRAND, le contenu de l’article 56 ne
sera pas exposé dans les développements en considération de la décision du Conseil constitutionnel du 4 août
2011.
21 Par voie législative.
22 Commissions Régionales de Conciliation et d’Indemnisation (CRCI), ONIAM, assureurs, avocats,
médecins-experts, juges, associations de victimes et tiers payeurs.
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