«State Aids seems to be sexy today(1)», cette vision inhabituelle du contrôle des aides d’État, décrite par l’ancienne Commissaire chargée de la concurrence, Mme Neelie Kroes, semble tout à fait juste au regard du regain d’intérêt fulgurant qu’il a suscité ces dernières années. Les chiffres en témoignent.
4 589 milliards d’euros, c’est le volume global des mesures d’aides au secteur financier requises par les États membres et autorisées par la Commission, entre octobre 2008 et octobre 2010(2). 170 décisions rendues par cette dernière, dans un laps de temps extrêmement court pour juguler « la plus grande crise depuis la crise de 1929 »(3), dans le cadre d’un contrôle des aides publiques pourtant réputé strict.
Si aujourd’hui beaucoup considèrent que la Commission a réagi avec efficacité et promptitude, rien ne laissait présager une telle action au début de la crise. Le marasme économique auquel elle a été confrontée a constitué le test d’une politique d’encadrement des aides d’État souvent décriée par les acteurs économiques. Comment le contrôle à priori de ces aides, prévu à l’article 107 TFUE(4), pouvait faire face à une multiplication des aides consenties impliquant des montants extraordinaires ?
Dans le premier temps de la crise (de septembre 2007 à septembre 2008), seules les banques spécialisées, particulièrement exposées aux subprimes ont été affectées par la conjoncture économique et se sont vues accordées des aides d’état individuelles. Mais à partir de septembre 2008, avec la faillite de Lehman Brothers, l’ensemble du système faillit, les économistes parlent de « crise de confiance globale » pour évoquer le blocage des prêts interbancaires aboutissant à une restriction de l’accès aux liquidités.
Dès lors, les gouvernements prennent conscience de l’insuffisance de mesures ponctuelles et individuelles, et de la nécessité d’une véritable concertation pour empêcher la contagion de la crise financière à l’économie réelle. Alors que les aides publiques individuelles accordées jusqu’à l’automne 2008 relevaient classiquement du régime des aides d’état, se pose la question du rôle de la Commission dans l’examen de plans massifs de soutien.(5)
De nombreux États ont plaidé pour une approche souple et pragmatique de la part de la Commission (et même pour une remise en cause de sa doctrine (6)) afin de suppléer l’effort coordonné des gouvernements, tandis que d’autres observateurs minoritaires militent en faveur de la suspension pur et simple du contrôle des aides publiques.
En l’absence d’un cadre prudentiel, réglementaire et juridique global paneuropéen pour le secteur
financier, la politique de l’UE en matière d’aides d’État a constitué le cadre à l’intérieur duquel une mise en œuvre rapide des mesures nationales a pu être assurée d’une manière coordonnée tout en garantissant l’intégrité du marché intérieur. Un certain nombre de questions méritent néanmoins une attention particulière.
Etait-il pertinent de maintenir un contrôle des aides d’État dans une situation extrême d’urgence ? La célérité de la Commission dans l’analyse des plans de soutien massifs n’a-t-elle pas nuit à la substance de son contrôle ? Le régime des aides d’état tel que mis en œuvre par la Commission a-t-il in fine contribué à la résolution de la crise ? A l’inverse, a-t-il gêné les efforts engagés par les États membres ?
Avant de d’examiner en détails l’évolution de l’action de la Commission pendant la crise (II), il n’est pas inutile de rappeler brièvement les fondements du contrôle des aides d’États dans l’Union Européenne et de voir en quoi les particularités du secteur bancaire justifient une intervention étatique respectueuse des règles de la concurrence (I).
1 Expression utilisée par la Commissaire européenne au cours d’une présentation le 27 novembre au King’s College de Londres.
2 Il convient de distinguer entre le montant autorisé et celui utilisé. Ainsi , En 2009, les banques n’ont en fait utilisé «que» 1.100 milliards d’euros. Pour la répartition précise des aides, on peut consulter le tableau de bord des aides d’État publié par la Commission, disponible sur : http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/10/1635&format=PDF&aged=1&language=FR&guiLanguage=en.
Egalement, en annexe, la répartition des aides publiques autorisées selon le type de la mesure (recapitalisations, garanties …) et selon les pays.
3 STIGLITZ Joseph, « Guided by an invisible hand », New Statesman 16 octobre 2008
Pour une étude détaillée de l’origine et du déroulement de la crise, on pourrait se référer au rapport du Conseil d’Analyse Economique intitulé « la crise des subprimes » disponible sur :
http://www.cae.gouv.fr/IMG/pdf/078.pdf.
4 Article 107 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne, Journal officiel n° C 115 du 09/05/2008, disponible sur : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2010:083:0047:0200:FR:PDF.
5 KOSTRZEWSKI-PUGNAT Valérie, JEUX Anne-Claire, « le contrôle des aides d’état en temps de crise – de l’art d’être constant », Cahiers de droit de l’entreprise n° 3, Mai 2009, dossier 18.
6 A titre d’exemple, Nicolas Sarkozy affirme lors d’un discours à Toulon le 25 septembre 2008 : « Si l’Europe veut avoir son mot à dire dans la réorganisation de l’économie mondiale, elle doit engager une réflexion collective sur sa doctrine de la concurrence ».
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