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INTRODUCTION

L’engouement pour le Japon aujourd’hui relève du phénomène : où que l’on aille, il semble que le Japon y laisse sa trace. Autrefois société discrète et lointaine, il est impossible aujourd’hui d’échapper au Japon sous toutes ses formes : sa gastronomie, sa mode extravagante, ses mangas, sa technologie et bien sûr ses films d’animation. Régnant sur les télévisions enfantines depuis les années 80, on en viendrait à oublier son cinéma d’animation dont la lecture peut, au-delà du divertissement pour enfants, nous révéler des caractéristiques bien particulières de la société japonaise, celle qui fascine tant l’Occidental par sa différence en bien des points.

C’est cette thématique qui fera l’objet de mes recherches pour ce mémoire. L’animation japonaise et ce qu’elle peut révéler de son pays, le Japon, pays qui s’oppose à nous, dont la société fonctionne si différemment : dans ses aspects professionnels, familiaux, religieux mais également sexuels. Effectivement la question des genres est abordée de façon très différente dans la société occidentale et la société japonaise, tant dans les représentations des hommes que celle, particulièrement, des femmes. Il me semblait donc intéressant de me demander en quoi nos visions diffèrent, ce que je pourrais analyser à travers les différentes images de femme qui nous parviennent du Japon.

En effet, l’étude de la représentation des femmes est intéressante au vu de l’imagerie foisonnante que nous avons des japonaises, fascinantes dans leurs contradictions : geishas, femmes au foyer, adolescentes extravagantes dans les rues de Tokyo. Les représentations que nous donne le Japon pour décrypter sa société ne manquent pas et le cinéma d’animation nous offre de nombreux exemples pour étudier l’image de la femme dans la société japonaise. Tantôt hyper-sexualisée dans les mangas ou anime populaires pour adultes et adolescents, tantôt romancée, idéalisée, la femme est représentée de mille façons, toujours contradictoire, tiraillée entre modernité et tradition.

Le Japon, pays où la tradition se mêle à l’hyper urbanisme et les hautes technologies de pointe, nous paraît, à nous Occidentaux, énigmatique et complexe. Les femmes sont l’illustration de notre incompréhension vis-à-vis de la société japonaise. Soumises ? Indépendantes ? Egales de l’homme ? Mères au foyer, épouses ? Nous les apercevons aujourd’hui dans un cinéma représentant la crise que traverse le Japon, ce tiraillement entre tradition et modernité : nature et urbanisme, cérémonies, rituels, et fêtes occidentales, art de vivre japonais et art de vivre européen, américain.

Nous pouvons dans un premier temps, admettre que le bouleversement des modèles féminins est l’expression la plus manifeste des changements qui s’opèrent dans le Japon contemporain. En effet, la façon dont une société représente ses femmes témoigne de son système social et même politique, car touchant à son fonctionnement profond : l’éducation, l’école, les opportunités de travail, l’égalité des chances, des sexes.

Le Japon traverse en effet aujourd’hui une « crise » de ses modèles : avec un alignement sur le modèle occidental, le Japon tente aujourd’hui de se trouver une identité, entre ses traditions et la modernité, ce qui se reflète dans l’évolution du statut des femmes ces dernières années. Effectivement, depuis les années 60, la femme trouve une place qui oscille entre la « ryosai kembo », c’est-à-dire la tradition de « la bonne épouse et la mère avisée » et la « working girl ». Il est intéressant de noter que cette longue évolution s’opère toujours aujourd’hui, tant les images traditionnelles sont ancrées, et la séparation des mondes féminins et masculins marquée. On assiste aujourd’hui à un bouleversement qui se fait de façon lente mais qui engendre un brouillage des identités : les groupes de musique, les stars de cinéma par exemple, montrent de nouveaux modèles à la jeune génération, où se joue une ambigüité des sexes inédite. Les hommes jouent sur leur féminité et les femmes embrassent des rôles et aspirations autrefois réservées aux hommes.

La situation du marché du travail il y a encore peu de temps, est révélatrice du travail que doivent accomplir les femmes japonaises pour se débarrasser de leur rôle traditionnel : aujourd’hui encore, le monde du travail est un monde dominé par les hommes. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les médias, par exemple, ou la scène politique. Difficile pour une femme d’être acceptée à un poste à responsabilités, d’être prise au sérieux par les hommes, tant une longue tradition de femmes effacées derrière leurs maris et dont le seul but et métier était la famille et l’éducation des enfants, pèse, encore aujourd’hui, très lourdement dans les mentalités.

Il est donc intéressant de chercher à savoir comment ces bouleversements sont vécus par les Japonais, et comment la nouvelle génération se situe par rapport à cette longue tradition de différenciation des sexes. Pour chercher à comprendre à quel point la société japonaise change, et dans quelle mesure le statut des femmes a changé et évolue encore, il est nécessaire de comprendre comment le Japon a fonctionné auparavant. En effet, la société japonaise a, durant des siècles, fonctionné sur un modèle ancien issu de la tradition confucianiste, lequel a influencé l’éducation, la hiérarchie familiale et même professionnelle.

La séparation entre les sphères masculines et féminines en est l’expression la plus forte. De telles habitudes sont dures à faire disparaître. Ainsi, cette hiérarchisation à travers les coutumes sociales, et même le langage, qui établit une différenciation entre hommes et femmes, semble se ressentir toujours en filigrane de la société aujourd’hui, malgré l’influence occidentale qui, depuis la Seconde Guerre Mondiale, bouleverse les rôles traditionnels.

Ainsi, il est intéressant d’étudier le cinéma japonais car celui-ci nous apporte un éclairage sur ces bouleversements de modèles, ainsi que sur la place de la femme au sein d’une société en plein essor international. Cela nous permettra donc d’accéder à une meilleure compréhension de la société japonaise dans son ensemble.

Pour illustrer ce propos et m’interroger sur la place de la femme dans la société japonaise aujourd’hui, j’étudierais le cas du réalisateur Miyazaki, dont les films d’animation ont la particularité de présenter non pas des héros, mais des héroïnes, tout en offrant un panel intéressant : femmes jeunes, âgées, enfants, etc.

Ainsi les perspectives qui sont impliquées pour étudier ce sujet sont sociologiques mais également esthétiques. J’utiliserais donc l’analyse filmique pour étudier les films de Miyazaki, en retenir une certaine lecture qui me sera ensuite utile pour effectuer un comparatif avec la réalité de la société japonaise, ce qui m’aura également demandé d’effectuer auparavant des recherches dans les domaines de la Sociologie et de l’Histoire. Ces disciplines me permettront ainsi de mettre en corrélation la place de la femme dans la société japonaise et le regard particulier d’un cinéaste sur sa société.

Ma problématique sera donc la suivante : Quelle image de la femme Miyazaki offre-t-il dans son cinéma ?

Pour répondre à cette question, il va m’être utile de développer plusieurs phases de recherches nécessitant différentes méthodes. Tout d’abord, je rassemblerais un corpus d’écrits sociologiques et historiques sur le Japon et en particulier sur l’évolution de la femme, mais aussi de son image dans les médias japonais. Je me servirais donc de magazines, d’articles, d’essais, de documentaires ayant pour sujet la société japonaise. Les livres écrits par des femmes japonaises ou directement sur les femmes japonaises me permettront de saisir au mieux l’évolution de leur place dans la société.

Les écrits sur la culture, sur l’art et les traditions japonaises me seront aussi indispensables pour comprendre le fonctionnement de cette société. Je rechercherais au maximum des traductions directes d’articles issus des médias japonais, dans la mesure du possible ; mais les analyses offertes par les spécialistes occidentaux du Japon, de la femme japonaise et des médias japonais seront ma principale ressource. Tous ces documents seront ainsi utiles pour mes recherches sociologiques, historiques, me permettant d’analyser la réalité de la place de la femme dans la société japonaise contemporaine, ainsi que la représentation de ce rôle féminin, que l’on trouve dans les différents médias.

J’étudierais ensuite de façon générale, l’image de la femme dans le cinéma d’animation japonais. J’utiliserais un axe purement historique et objectif pour cette partie, dans lequel j’établirais une simple présentation des principales images féminines que l’on retrouve dans le cinéma d’animation. J’utiliserais donc des livres retraçant l’histoire du cinéma d’animation, son évolution, les thèmes qui y sont abordés et le type de personnages féminins que l’on y trouve de façon générale, avant d’aborder la présentation du réalisateur que j’étudierais plus particulièrement.

Je me servirais ensuite d’écrits ainsi que de documentaires audiovisuels sur le réalisateur Miyazaki, sur ses films : des critiques de films dans des revues spécialisées, des biographies, mais également directement à la source : en effet, j’utiliserais les dossiers de presse dont j’aurais au préalable fait la demande au Studio Ghibli, studio de production de Miyazaki à Tokyo.

Le but de ma recherche étant de voir quelle image de la femme nous offre Miyazaki, en partant de l’hypothèse que ses films nous permettent d’établir un parallèle avec la réalité de la société japonaise aujourd’hui, je ferais une analyse de certains films de Miyazaki pour illustrer ce propos. Ainsi, pour mon étude filmique, j’ai restreint mes analyses à une certaine partie de la filmographie de Miyazaki. En effet, j’analyserais les films réalisés entre 1984 et aujourd’hui, afin de garder une homogénéité entre les différents films et les représentations féminines qui s’y trouvent. J’ai choisi ces dates car 1984 est la date de sortie du premier grand succès de Miyazaki, avec pour personnage principal, une héroïne, dans Nausicaä de la vallée du vent, qui permit la création des studios Ghibli. C’est en effet à partir de la création des Studios Ghibli que Miyazaki put être réellement indépendant dans ses choix et seul à la réalisation ; cela m’assurera un regard vraiment personnel du réalisateur dans les films dont je ferais l’étude.

Ainsi, la dernière partie de mémoire consistera en l’analyse des personnages féminins des films de Miyazaki, ce qui permettra de voir quelle image de la femme s’y trouve. J’analyserais ces films d’un point de vue esthétique et thématique. Miyazaki explore différents thèmes dans ses films mais je ne m’intéresserais qu’aux personnages féminins: il faudra donc analyser leurs types de rôles, l’importance de leur place dans l’histoire. Je regarderais aussi leur aspect purement esthétique : se ressemblent-elles ? Quelles sont leurs différences ? Quels âges de la femme sont représentés ? Quels symboles sont employés ? Il s’agira d’analyser les images qui ressortent des films selon l’âge du personnage, son rôle, mais également sa relation avec les autres figures dans les films, c’est-à-dire les hommes. Il sera donc également nécessaire d’effectuer une analyse des personnages masculins, mais dans leurs rapports aux femmes, leurs rôles et l’image qu’ils projettent des femmes, à travers leurs différences. J’espère ainsi pouvoir établir un parallèle entre les modèles « miyazakiens » et les modèles dans la société japonaise contemporaine.

Je vais donc étudier cette question en trois parties, puisque ma problématique nécessite trois axes de recherche : le cinéma d’animation, la femme japonaise, et le cinéma de Miyazaki plus particulièrement.

J’ai choisi dans une première partie, d’étudier l’aspect sociologique et culturel. Dans une première sous-partie, j’étudierais l’évolution de la société japonaise, son fonctionnement aujourd’hui, les ruptures avec le passé. Je présenterais donc ce que nous percevons de la société japonaise contemporaine dans son ensemble, son évolution ces dernières années, d’un point de vue social et historique. Il s’agira donc tout d’abord d’une présentation des conséquences de l’influence occidentale après la Seconde guerre mondiale, sur le système scolaire, l’organisation de la cellule familiale, sur le marché du travail. Dans un second temps, les modes sociaux seront étudiés plus précisément, de la hiérarchisation sociale traditionnelle du Confucianisme, à aujourd’hui.

Cela me permettra ensuite d’étudier la question de la femme au sein de cette société, dans une seconde sous-partie ; il s’agira de faire un constat de l’évolution de la place de la femme dans les domaines autrefois exclusivement masculins : de l’éducation des petites filles, au rôle de mère, d’épouse, opposé à la place de la geisha. Il sera aussi question de l’évolution de la place de la femme dans la société japonaise à travers la « révolution douce»* des années 80. J’étudierais également dans cette sous-partie les différentes représentations de la femme que l’on trouve à travers les médias, vecteurs de communication essentiels pour analyser l’évolution d’une société contemporaine.

La seconde partie sera consacrée au cinéma d’animation et plus particulièrement au réalisateur qui fait l’objet de ce mémoire, Miyazaki. Il est effectivement nécessaire de donner au lecteur des bases de ce qu’est le cinéma d’animation au Japon et du travail de Miyazaki afin de comprendre l’étude de personnages féminins qui suit. Dans une première sous-partie, je ferai donc un bref historique du cinéma d’animation japonais, avec ses débuts et son évolution, des séries « anime » aux longs-métrages. Les personnages féminins de l’animation japonaise y seront également présentés, en mettant en avant le type de rôles généralement attribués aux femmes, ce qui permettra d’étudier les stéréotypes féminins que l’on retrouve dans le cinéma d’animation d’une façon générale.

Dans une seconde sous-partie, je présenterais la carrière de Miyazaki, de ses débuts à aujourd’hui, en établissant une chronologie de ses plus grands succès, lesquels seront étudiés de manière plus approfondie par la suite ; je présenterais également les thèmes principaux que le réalisateur exploite dans ses films, des thèmes d’actualité, thèmes de société, ainsi que la famille et, bien sûr, la femme.

Enfin, la troisième partie se divisera en trois temps : dans un premier temps, l’analyse des films permettra de mettre en évidence l’image qu’Hayao Miyazaki donne de la femme dans ses films, les modèles féminins qui en ressortent. Une analyse faite en tenant compte des âges représentés permettra d’établir des différences et des liens entre chaque rôle, en leur attribuant également différents degrés d’ « importance » dans les scénarios. Seront également pris en compte, la valeur négative ou positive des rôles, selon leur place : mère, héroïne, sorcières, etc.

Dans une seconde sous-partie, il s’agira de présenter le type de personnages masculins qui se trouvent dans ces films, afin de mettre en avant la place que tiennent les femmes dans l’histoire, en établissant un comparatif entre leurs rôles respectifs et l’importance qu’ils tiennent dans le scénario. L’étude sur les personnages masculins se fera donc uniquement en rapport avec les personnages féminins, visant à mettre en avant les différences ou similitudes existant entre les sexes. On étudiera donc leur valeur négative ou positive, leur place par rapport aux héroïnes féminines, ainsi que les rapports entre les personnages de sexe opposé : les relations « mère-fils », « frère-sœur », etc.

Cela permettra donc dans une troisième sous-partie, d’établir un parallèle, ou non, avec la société japonaise ; à la lumière du regard de Miyazaki sur la femme, nous pourrons interpréter ces messages face à la réalité des rapports entre les genres, la réalité de la place de la femme et des modèles féminins du Japon d’aujourd’hui. Dans un premier temps, il s’agira de faire une présentation des réalités de la société japonaise en comparant les nouveaux modèles japonais aux personnages de Miyazaki ; on cherchera ainsi à savoir si la séparation des mondes masculins et féminins, ou leur lien, que l’on observe chez Miyazaki, s’opère de la même manière dans la société japonaise contemporaine.

*Anne Garrigue, Japonaises, la révolution douce, Picquier poche, 2000, 342 p.

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