A l’instar de nombreux pays de l’Afrique de l’Ouest, le Bénin a connu, à la fin des années 1980, une grave crise économique sans précédent se traduisant par la détérioration des termes de l’échange couplée avec de graves déséquilibres budgétaires. Cette situation a entraîné une crise de la balance des paiements qui s’est traduite par une accumulation de dettes et d’arriérés de paiements, générant une instabilité financière et sociale qui a conduit le pays à conclure, en juin 1989, son premier Programme d’Ajustement Structurel (PAS) et une Stratégie d’Assistance Pays, en anglais, Country Assistance Strategy (CAS), avec le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (BM). Depuis lors, quatre programmes et stratégies triennaux se sont succédés et ont permis, non seulement un rétablissement des grands équilibres macroéconomiques, mais également une amélioration de la situation économique et financière. Ainsi, le Bénin a pu renouer avec le chemin de la croissance à travers des taux de croissance positifs de son Produit Intérieur Brut (PIB) et connaît désormais une évolution de son PIB en termes réels à un taux moyen fluctuant autour de 5,0% sur la période allant de 1993 à 2004 (calcul effectué à partir des données de l’INSAE et de la BCEAO).
Alors que l’expérience asiatique tend effectivement à mettre en évidence une corrélation étroite entre croissance économique et réduction de la pauvreté, cette relation semble moins évidente en Afrique subsaharienne, plus particulièrement dans le cas du Bénin.
En effet, la croissance révélée par les indicateurs macroéconomiques s’est accompagnée, au plan social, par des effets néfastes sur les conditions de vie des populations. Cette situation trouve des explications dans l’application des mesures d’assainissement de l’économie et de rationnement des dépenses publiques préconisées par les PAS, et qui ont conduit à la privatisation de plusieurs sociétés d’Etat avec pour corollaire des licenciements massifs ajoutés à ceux opérés dans l’administration publique. Ainsi, de nombreux ménages se sont retrouvés au chômage, privés donc de revenus et plongés dans une situation de précarité sociale. Dans ces conditions, la pauvreté s’est aggravée et suscite, aujourd’hui, de la part du gouvernement ainsi que des partenaires au développement, une attention particulière en vue de sa réduction considérable et durable. Dans cette perspective, le Bénin a adopté en 1996, une Déclaration de Politique de Population (DEPOLIPO), sur une période de 15 ans, qui prend en charge la résolution des problèmes de population, en général, et de renforcement des capacités, en particulier. De même, des études sur les perspectives de développement à long terme du Bénin (ALAFIA 2025) ont été réalisées après une large série de concertations des différentes couches sociales du pays, et ont abouti à l’élaboration d’une vision stratégique nationale pour le Bénin à l’horizon 2025.
Enfin, en décembre 2002, le Bénin, en s’inspirant des expériences précédentes, a élaboré un Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP), condition sine qua non pour bénéficier de l’initiative d’annulation de dettes des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) ; lequel document retrace une stratégie globale de lutte contre la pauvreté intégrant toutes les dimensions du développement.
Désormais, le principal objectif visé par les programmes de développement est la réduction de la pauvreté, grâce à une création permanente et accrue de richesses et/ou une redistribution effective des revenus. Cette relation entre croissance économique, distribution de revenu et pauvreté soulève un fort intérêt, ces dernières années. En effet, des études récentes tendent à montrer qu’il n’existe pas de lien systématique entre croissance rapide et augmentation desinégalités contrairement à l’hypothèse avancée par Kuznets dans les années 50.
D’après Goudie et Ladd (1999), la croissance modifie la distribution des revenus, mais pas de manière systématique. Ainsi, en l’absence d’une relation claire, ils préconisent la poursuite de politiques économiques axées essentiellement sur une croissance rapide. De nombreuses autres études mettent donc en avant l’existence d’une forte relation entre croissance et réduction de la pauvreté (Bigsten et Levin, 2000). Plus récemment, des chercheurs ont poussé l’analyse en se demandant si les ménages ou individus pauvres étaient les bénéficiaires de cette croissance (Ravallion et Datt, 1999 ; Dollar et Kraay, 2000 ; Ravallion, 2001 ; Kakwani, Khandker et Son, 2002). Pour vérifier le caractère pro-pauvre de la croissance économique, c’est-à-dire la diminution de la pauvreté engendrée par la croissance, ces auteurs proposent que deux facteurs soient pris en compte : le premier est l’ampleur de la croissance et le second concerne les bénéfices procurés aux pauvres par la croissance.
C’est pourquoi, il convient d’examiner si, dans le cas du Bénin, il y a eu arbitrage entre croissance et répartition des revenus dans la lutte contre la pauvreté. Pour ce faire, il va être procédé, dans ce document, à l’estimation et à l’analyse de l’impact de la croissance économique et de l’inégalité sur la pauvreté au Bénin à partir des données de l’enquête Quibb réalisée par l’INSAE en 2002.
Pour y parvenir, ce mémoire est articulé en deux parties :
– une première partie intitulée « Etude théorique » présente le cadre de l’étude ainsi qu’une revue théorique du lien entre croissance, inégalité et pauvreté ;
– la deuxième partie est consacrée à l’évaluation quantitative et à l’analyse des effets de la croissance économique et des inégalités de revenus sur la pauvreté, et nous a permis de tirer un certain nombre d’implications, à partir des résultats empiriques obtenus.