Mise en contexte
Les définitions de la microfinance telles qu’évoquées par plusieurs auteurs, (Labie 1999, CGAP 2004, Morduch 2005, BCC 2005, UNHCR 2008), font apparaître clairement le souci de venir en aide aux personnes à faible revenu qui présidait à sa naissance. Au fil du temps, cette approche qualifiée de welfariste ou de bien-être a fait preuve des insuffisances pour s’aligner dans une logique de long terme et a laissé la place à un courant intégrant les principes du marché, de pérennité et de performance (DEBREY V, 2005).
Ce courant applique des taux d’intérêt relativement élevés, parfois pour juguler l’inefficacité, en vue de couvrir toute les charges, de générer des bénéfices permettant de rémunérer les apporteurs des capitaux et d’être autosuffisante.
Cependant, une attention trop poussée à la rentabilité risquerait d’éloigner l’institution des pauvres en faisant une sélection qui écarte ces derniers en vue de minimiser les coûts et de limiter les risques pouvant affecter le niveau de performance (GUIRAUD L, 2009).
Certains observateurs qualifient cette approche, « orientée rentabilité », de dérive de la mission fondamentale de la microfinance (LAPENU C, 2007) et tirent la sonnette d’alarme en vue de la mise en place des stratégies plus adaptées. Selon le rapport microfinance banana skins en 2011 (CFSI, 2011), le risque de dérive de mission en microfinance est passé de la 19ième place à la 9ième place(1).
Par contre, une vision trop sociale pourrait aussi aiguiller à l’application des taux d’intérêts trop bas pouvant surseoir l’autosuffisance et la pérennité de l’institution (GUIRAUD L, 2009, p 28). Le défi actuel des ISFD consiste donc à trouver un juste équilibre, c’est-à-dire être viable et autosuffisant tout en servant les personnes à faible revenu avec des taux d’intérêt adéquats (ADAIR P et al, 2010 ; ACDI, 1999).
Sous d’autres cieux(2), plusieurs institutions ont réussi à le faire (Gutiérrez-Nieto et al, 2005 ; Luzzi et Weber, 2006 cités par BERGUIGA I, 2009), d’autres par contre n’ont pas pu (Woller & Schreiner 2002 ; Paxton 2002 ; Cull, Demirguc- Kunt & Morduch 2006 cités par BERGUIGA I, 2009). En RD Congo, il n’existe quasiment pas d’études menées sur ce sujet.
Considérant les particularités du secteur, jeune, dynamique et peu professionnel, il s’avère important de l’analyser.
Problématique
Construire un secteur financier viable et accessible à tous demeure l’un des défis de plusieurs organismes internationaux (CGAP 2012, PNUD 2006, BIT 2005, AFD 2010). Cet objectif semble avoir plus d’acception en République Démocratique du Congo où moins de 6 % de la population a un compte bancaire (FPM, 2013), soit environ 4 millions comptes bancaires pour 72 millions d’habitants.
Malgré le nombre croissant des institutions financières qui s’installent en RDC (KFW, 2011), la majeure partie de la population demeure toujours hors du système financier. Le secteur classique étant incapable d’intégrer les laissés-pour-compte, considérés comme la couche essentiellement pauvre (BAD, 2010) l’industrie microfinancière congolaise, 150 fois plus visible que le secteur classique (KALALA F, 2010 p 18), se présente comme une alternative efficace pour une inclusion financière des personnes à faible revenu en RD Congo. Malheureusement, son insuffisance de professionnalisme (BCC 2010, KALALA F, 2006, PASMIF 2007 cité par KALALA F, 2010) constitue une entrave à cette convergence.
Son taux de pénétration a été de 6,7%(3) en 2011. De plus, beaucoup de ses institutions sont encore très loin d’une autosuffisance opérationnelle. Pour certaines, il s’ajoute une dépendance financière qui handicape dans bien des cas la viabilité financière.
La moyenne de l’autosuffisance opérationnelle, au niveau national, est de 98% (BCC 2011, p 44) contre une moyenne de 108% pour la ville de Kinshasa (BCC 2011 p 92). La somme de ces éléments nous conduit à la présomption selon laquelle, de manière globale, les ISFD congolaises ont non seulement une portée sociale faible mais sont aussi moins viables.
En approfondissant la réflexion, on s’aperçoit que la plupart des institutions octroyant des crédits de taille élevée(4) ont atteint l’autosuffisance à l’opposé des institutions octroyant des crédits plus modestes qui se retrouve encore en décas du seuil.
Subséquemment, les institutions qui s’éloignent des personnes à faible revenu deviennent plus rapidement autosuffisantes. Il y a donc là une relation négative qui apparait entre ces deux objectifs.
Au regard de cet état des choses, nous nous interrogeons sur la possibilité d’une éventuelle convergence entre l’autosuffisance opérationnelle d’une ISFD et son niveau de portée sociale en ressortant les principaux écueils à ladite convergence. Concrètement, nos questions se déclinent de la manière suivante :
(i) Les institutions de microfinance actives à Kinshasa peuvent-elles être autosuffisantes tout en ayant une grande portée sociale ?
(ii)Quels sont les facteurs susceptibles d’être considérés comme achoppement à ladite convergence ?
(iii) Quelles stratégies mettre en place en vue de surmonter ces écueils ?
Hypothèses
Nous partons des hypothèses suivantes :
(i) En scrutant les analyses SWOT élaborées par plusieurs auteurs sur la microfinance en RDC (KALALA 2010, MECRECO 2011, BCC 2011) on se rend compte qu’il est envisageable que les institutions congolaises en général et Kinoises en particulier soient autosuffisantes en ayant une grande portée sociale. Cependant, cette convergence se consolide avec le temps et nécessite donc des efforts en termes de gouvernance et de maitrise des charges.
(ii) La non maitrise des charges opérationnelles, le coût élevé de l’octroi de crédit, la mauvaise qualité du portefeuille, l’application des taux d’intérêt non adapté, la faible productivité des agents de crédit, l’ancienneté de l’institution, la non maitrise de la vision et de la mission de l’institution, la défaillance du système d’information de gestion, et bien d’autres facteurs peuvent expliquer la non réalisation de cette double mission.
(iii) S’éloigner du mimétisme et appliquer un taux effectif global selon les exigences du CGAP, renforcer les mécanismes d’octroi de crédit, de remboursement et de recouvrement, adopter des techniques efficaces pour la gestion des impayés et ainsi améliorer la qualité du portefeuille (principale de revenus). Adopter un comportement professionnel et rationnel, tout en identifiant les rubriques de charges les plus significatives, en vue d’y accorder plus d’attention et ainsi minimiser les coûts. Rester focaliser sur la mission, bien définir la cible, son rayon d’action et identifier ses besoins, afin d’offrir les produits adaptés et réduire les coûts de transaction.
Délimitation du sujet
Les difficultés en termes d’accès aux données ne nous ont permis de faire une analyse dynamique en vue de prendre en compte les saisonnalités. Ainsi, nous faisons une analyse transversale pour trente institutions actives à Kinshasa durant l’année 2011.
Méthodes et techniques
Les techniques documentaires, d’observation et d’interview nous ont permis d’obtenir les informations nécessaires pour une analyse pertinente.
Les informations recueillies ont été analysé par les méthodes quantitatives (analyse descriptive, estimation par enveloppement des données, estimation avec les méthodes censurées) et qualitatives (analyse SWOT et benchmark).
Intérêt du sujet
Ce mémoire, tachant de dénicher les principaux achoppements à l’atteinte de l’autosuffisance opérationnelle et à la portée sociale, présente essentiellement les intérêts suivants :
A l’issue de cette analyse, non seulement la littérature sur la microfinance en RDC sera enrichie par cet essai, les résultats serviront certainement de lumière aux dirigeants des ISFD dans leur gestion des charges, politiques de crédit, politique tarifaire, ciblage des clients, etc. Ce cheminement nous permettra aussi de bien maitriser le fonctionnement de l’industrie microfinancière congolaise en matière de ciblage, de performances financières en général et de l’autosuffisance en particulier.
Canevas du travail
Hormis l’introduction et la conclusion générales, ce travail comprend trois chapitres. . Le premier abordera, de manière théorique, la question du schisme de la microfinance. Le deuxième s’appesantira sur l’analyse du schisme dans le secteur congolais. Et enfin le troisième se basera sur une analyse critique des résultats de nos estimations et sur une ébauche des stratégies conduisant à une convergence entre les performances financières et la portée sociale.
1 Centre for the Study of Financial Innovation (CSFI) est une organisation qui évalue annuellement le niveau des risques de chaque domaine en microfinance et le présente sous forme d’un classement de 24 risques en partant des risques les plus graves aux risques les plus mitigés. Cela se fait sur base d’un échantillon de 86 pays dans le monde (dont la RDC) en partenariat avec CGAP et CITYGROUPE. Selon le CFSI, la recrudescence du risque associé à l’écart par rapport à la mission est ainsi en raison de la perception selon laquelle les IMF sont en train de délaisser leur mission de réduction de la vulnérabilité en faveur de la recherche du profit financier.
2 Il s’agit essentiellement des institutions de l’Amérique latine et de l’Asie centrale.
3 www.lamicrofinance.org
4 La base de données du FPM nous révèle qu’en 2011, parmi les ISFD ayant une taille moyenne de crédit Inférieure à 800$, seulement 17% d’entre elles ont atteint l’autosuffisance opérationnelle. Par contre 29% des ISFD ayant une taille moyenne de crédit de plus de 800$ ont atteint l’autosuffisance opérationnelle.
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