L’étude du thème « Contrat de plan Etat-région au Maroc » semble, à première vue, un peu contradictoire. Cette contradiction apparait à travers l’existence de deux antinomies : En premier lieu, il faut constater que, tout au long de l’histoire de la décentralisation, le Maroc n’a jamais adopté comme ce type de contrats et à plus forte raison pour la région qui est d’une création récente. Quoiqu’aient été appliqué des contrats entre les personnes publiques comme par exemple les contrats-programmes adoptés au sein d’un seul département, entre son administration centrale et ses services déconcentrés, ce type de contrat ne s’inscrivait pas dans le cadre de la contractualisation territoriale qu’implique la gouvernance locale aujourd’hui. En deuxième lieu, la réforme de la décentralisation et de la gouvernance territoriale ainsi que la tendance vers le déclin de l’unilatéralisme implique le renforcement de la démocratie locale dont le recours à certaines techniques démocratiques est seul qui serait de nature à la garantir.
Cependant, la tentative d’aborder une telle étude aura pour objectif d’accorder plus de clarifications sur une technique qui est devenue le maitre mot de la gestion à la fois du rapport et de l’action. Cette technique parait plus abordable dans un Etat en plein transformation sur tous les niveaux comme celui du Maroc, et plus singulièrement l’essor du local qui devient le pari et l’entrée essentiels pour un développement effectif.
En effet, le retour fréquent au local, notamment par le renforcement des pouvoirs des collectivités locales et de la décentralisation en général, marque un retrait de l’Etat par rapport au passé. Il est inutile ici de recourir à l’histoire de la décentralisation au Maroc pour déceler les moments faibles et les moments forts d’intervention de l’Etat ou des collectivités locales, mais il est question de s’interroger sur le secret sous-jacent de l’augmentation des pouvoirs de la décentralisation. Une augmentation qui traduit à la fois la volonté des autorités centrales de se désengager de plus en plus des missions locales dont la complexité s’exacerbe de jour en jour, et l’émergence d’une élite locale capable de gérer ses propres affaires de manière autonome sans se tourner chaque fois au centre pour se faire diriger.
Néanmoins, ce mouvement caractérisé par le recul de l’Etat et le rampement des collectivités locales, s’il est très signifiant, il doit porter en soi-même des germes pour établir des nouveaux rapports entre celles-ci et celui-là, basés plus sur le compromis et la concertation que sur les formes autoritaires traditionnelles. En conséquence, ces rapports ne devraient pas être au détriment de l’unité de l’Etat, mais par contre un facteur de son renforcement. Et à chacune de ces deux personnes publiques de chercher les modes qui leur conviennent pour gérer ces rapports dans le cadre des lois et des règlements en vigueur.
De ce fait, la prolifération des contrats entre les personnes publiques est une traduction de cette nécessité. Ces nouvelles formules contractuelles se différencient d’ailleurs profondément des contrats classiques. Elles sont généralement qualifiées de conventions et non de contrats. Cette expression traduit le sentiment diffus qu’il s’agit de quelque chose de différents des contrats ordinaires. L’influence de l’Etat serait d’autant plus grande que la nature des conventions n’est pas claire(1).
Par ailleurs, la gestion proactive de l’action publique est devenue un grand défi au moment ou croissent les risques et inefficacité des anciennes modalités d’intervention publique. Le discrédit de ces dernières s’aggrave notamment lorsque l’on se retrouve face à des projets d’investissement d’envergure dont la mise en oeuvre suppose une intervention publique pluriannuelle. Il s’agit particulièrement des projets du développement économique et social. Dans ce sens, la planification, étant demeurée pendant longue temps une politique exclusive de l’Etat centrale, devrait trouver sa place sur le plan local. Cette décentralisation devient une nécessité pressante surtout lorsqu’on la prend comme technique d’encadrement du développement économique et social. De ces grandes idées découle l’intérêt d’étudier ce sujet.
Il s’agit d’un double intérêt : sur plan théorique, il s’agit de décortiquer les jalons permettant l’introduction d’une nouvelle technique d’intervention conjointe et collaborative s’accordant sur des objectifs à réaliser entre l’Etat et la région dans l’action publique conventionnelle. Sur plan pratique, ce sujet consiste à revaloriser le degré de la décentralisation régionale au Maroc par le fait de renforcer la technique contractuelle qui inspire certaine liberté et autonomie.
Il va sans dire que la régionalisation du plan ait été abordée dès l’an du 1971, mais cette politique était un peu plus timide en raison de l’absence d’une structure administrative capable de mener à terme la mission de planification. Pourtant, cette politique a été revue par la suite à l’occasion de l’érection de la région au rang des collectivités locales. Cette nouvelle entité décentralisée est mieux placée pour exercer les compétences de planification, et ce, en raison des spécificités qu’elle présente. De même, le rôle intermédiaire que la région pourrait jouer entre l’Etat et les collectivités infrarégionales, de solidarité et de cohérence du territoire font de cette collectivité un partenaire privilégié de l’Etat. Ceci est clair dans l’exposé des motifs de la loi 47.96.
En effet, ces considérations ont été prises en compte lors de la formulation de cette dernière. Car, le législateur a pu raffiner les rapports entre la région Et l’Etat de manière à ce qu’il y ait une collaboration entre eux. Ce raffinement est clair d’après la manière d’organisation de la tutelle et de la répartition des compétences. Il suffit de lire attentivement les articles de la loi sur la région pour s’en convaincre. A cet égard, le besoin accu de la population locale à la démocratie et au développement local, dans lesquelles l’Etat moderne puise sa légitimité, impose la recherche des approches fiables pouvant faire sortir l’Etat de la crise de confiance et de légitimité.
C’est ainsi que la première décennie du 21ème fut marquée par l’ascension de certaines notions comme, action publique conventionnelle, planification concertée, politiques publiques territoriales, etc. celles-ci sont autant de préalables objectifs pour une intervention conjointe de l’Etat et des acteurs locaux ; une intervention qui serait de nature à y répondre. Mais aussitôt à une telle intervention, il se pose la question de coordination et de cohérence entre ces acteurs. C’est ainsi que les notions précitées furent conjuguées par l’annonce sur plusieurs démarches qui militent dans le sens d’assurer une coordination entre l’ensemble des intervenants. Il en est ainsi de la gouvernance locale, l’approche territoriale, la concertation, la contractualisation, la régionalisation, la démarche intégrée, partenariat, etc.
De surcroit, l’accroissement de l’autonomie locale nécessite la mise en place de moyens de régulation national-local, afin de réaliser la cohérence des différentes interventions publiques. Présentée comme l’instrument principal de cette régulation, la planification décentralisée est contractuelle prend une autre dimension1.il s’agit selon la formule d’E. Pisani « de définir les objectif et les règles du jeu» afin de dire à chaque acteur périphérique « le sens de son autonomie et l’utilité collective de son effort »(1). Pour répondre à ces exigences, la France a adopté dès 1982 la technique de contrat de plan Etat-région qui a pour objectif principal de permettre la cohérence dans l’exécution même des programmes planifiés. Il précise les engagements réciproques des deux partenaires pour l’exécution des actions inscrites dans leurs plans respectifs. Il est le point de convergence entre les priorités du plan national et celles des plans régionaux. Les pratiques de cette technique en France pourraient servir de guide et de leçons préalables pour une éventuelle application au Maroc.
Ce dernier en tirerait les points faibles et les points forts et les raffinerait de manière à ce qu’il y ait une harmonie entre la technique et les spécificités propres au système marocain. Dans ce sens quelles sont les perspectives d’applications de la technique du contrat de plan Etat-région au Maroc ? De cette question centrale découlent plusieurs autres questions succursales selon lesquelles. Est-ce que les rapports entre l’Etat et les régions sont passibles d’une telle application ? Le modèle qui convient les spécificités du régime marocain serait-il similaire avec celui appliqué en France ? Et enfin, dans quelle mesure les pratiques du contrat de plan en France pourraient-elles bénéfiques pour le Maroc ?
S’il est vrai que la régulation centre-périphérie reposait sur un modèle centralisé d’administration locale essentiellement d’inspiration française. Il n’en demeure pas moins que le développement de la contractualisation sur le plan de la gestion locale devrait produire un effet réducteur de ce modèle(2).
Pourtant, cette culture contractuelle non encore enracinée profondément dans les rapports entre l’Etat et les acteurs territoriaux. Elle devrait concerner notamment les rapports avec les régions appelées depuis l’indépendance à jouer un rôle de premier plan dans le développement territorial1. De même, les pouvoirs publics sont appelés aujourd’hui plus que jamais à s’atteler à la formulation d’un texte juridique servant d’encadrement à la technique contractuelle pour la gestion des rapport entre l’Etat et les collectivités territoriales, et singulièrement, les régions dont l’absence a été coupable de l’échec de la politique de planification.
Cette nécessité s’impose fortement du fait de la passibilité des relations entre ces deux entités publiques qu’auparavant il était inconcevable de parler d’un contrat Etat-région en l’absence d’un projet, d’un territoire et aussi d’une stratégie. A vrai dire, le contrat de plan Etat-région présente des avantages mutuels aussi bien à l’Etat qu’à la région.
Il est bénéfique pour l’Etat dans la mesure où il lui permet d’associer la région dans la mise en oeuvre de sa politique, et ce, par le truchement de la stratégie de l’Etat en région d’une part, et l’exercice d’un contrôle d’encadrement intelligent d’autre part. Quant à la région, il lui assure les financements de l’Etat, quelles que soient les vicissitudes de la régularisation budgétaire que chaque année, quels que soient les gouvernements, le ministre des finances imposé. Il lui permet aussi de focaliser les investissements de l’Etat sur les objectifs que s’est fixée la région.
La réponse aux questions précédentes suppose une recherche basée sur une approche qui est à la fois synthétique et analytique optant pour la division suivante : Première Partie : La vocation contractuelle du rapport entre l’Etat et la région Deuxième Partie : Le contrat de plan Etat-région ; une technique efficace pour une planification réussie.
1 M. El Yaȃgoubi, Contractualisation et décentralisation au Maroc, in. « Réflexion sur la démocratie locale au Maroc »Imp., El Maarif Al Jadida, Rabat-2006, p. 389
1 S.Louis et E.Merle, L’expérience des contrats de plan, in : « Annuaire des collectivités locales ». Tome 7, 1987, p. 47
1 E. Pisani, Plaidoyer pour la décentralisation, cité par, Ibid.
2 M. El Yaȃgoubi, La technique contractuelle. Nouveau mode de gestion de l’Etat du XXI siècle, Ouvrage collectif. Quel Etat pour le 21 siècle ? Sous direction d’Ahmed Sedjari. L’Harmattan. GRET. 2001. P. 129
1 M. Dalil, Le rôle des régions dans l’émergence des territoires dynamiques au Maroc, in : REMALD, n° 64. Septembre-octobre 2005, P. 82
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