Avec la mondialisation des échanges économiques et culturels ainsi que l’apparition de nouveaux besoins de communication, la maîtrise des langues étrangères devient un atout majeur dans les relations entre individus et ethnies. La diversité linguistique étant la réalité d’existence ou de cohabitation de plusieurs langues dans le monde, celle-ci est l’une des caractéristiques des sociétés modernes.
Une langue, quelque soit son statut, est un moyen de communication par lequel les hommes échangent et mettent en commun leurs idées, sentiments, et pensées. C’est aussi un moyen d’identification des caractéristiques et appartenances sociales de chaque individu ou groupe d’individus. Son rôle principal est de véhiculer une culture, une civilisation, des traditions et mœurs ainsi que des valeurs humaines et éthiques. Par conséquent, la langue est un objet vivant soumis à de multiples phénomènes d’évolution.
Ce sont ces derniers qui permettent à toute langue d’aller de l’avant, de perpétuer et d’imposer son statut, autrement, elle sera figée et, donc, condamnée à la disparition.
Ainsi, dans une société comme celle du Maroc ou plusieurs langues sont en contact, les facteurs d’évolution de l’une d’elles par rapport aux autres sont nombreux. Ils sont généralement d’ordre phonétique, lexical ou morphologique, mais ils peuvent être également liés aux comportements langagiers et identitaires, aux perceptions ou aux représentations que les locuteurs d’une telle communauté se construisent à l’égard de cette langue. Des images qui peuvent être positives et cette langue sera valorisée, ou négatives et elle sera rejetée.
On admet notamment que les représentations des locuteurs des langues, de leurs normes, de leurs caractéristiques, ou de leurs statuts au regard d’autres langues, influencent les procédures et les stratégies que ces mêmes locuteurs développent et mettent en œuvre pour les apprendre et les utiliser (Dabène 1997).
Au Maroc, les diverses langues, leurs variétés ainsi que les langues étrangères en présence sont, selon Boukous(1995 : 41) : « hiérarchisées de telle sorte que les locuteurs, guidés par leur « habitus linguistique » (Bourdieu, 1982), aspirent à la maîtrise des produits linguistiques socialement valorisés »
De ce fait, il n’est pas toujours aisé d’analyser les réactions relatives aux différents comportements langagiers d’une telle communauté. Car les langues ne sont pas uniquement utilisées comme un moyen de communication neutre, elles font aussi l’objet d’un investissement psychologique et de représentations sociales. (Jodelet, 1989 et Boukous 1995).
Cette notion de représentation est utilisée dans différents domaines, notamment en psychologie cognitive (représentations mentales individuelles), en psychologie sociale (représentations sociales) et en pédagogie (conceptions des apprenants et des enseignants) (Karimi.M, Bouarich. H, 2010).
Ainsi la sociolinguistique, discipline qui se fixe pour objectif général d’étudier les rapports entre le langage et la société n’a cessé de s’intéresser aux représentations et attitudes des locuteurs vis-à-vis des pratiques linguistiques en les plaçant au centre de ses recherches. (Messaoudi, 2003 :4).
A partir de ce contexte multilingue, le présent mémoire intitulé ; Les représentations de l’enseignement/apprentissage du français chez les lycéens marocains, va s’inscrire dans un vaste cadre reliant les deux domaines ; la didactique des langues et la sociolinguistique. D’une part, la recherche va s’intéresser à la question de l’enseignement/apprentissage de la langue française et se propose de déterminer la place qu’elle occupe (son statut, son degré d’usage, son évaluation et son avenir) aux regards des lycéens et par rapport aux autres langues en présence.
D’autre part, elle portera sur les multiples questions que posent les représentations et attitudes des apprenants à l’égard du français. Ce sont deux notions que les deux disciplines, la didactique des langues et la sociolinguistique ont emprunté à la socio psychologie. Nous focaliserons notre analyse sur une population bien précise, celle des jeunes lycéens marocains.
Bien qu’elle soit un moyen de communication, la langue est le plus souvent traitée comme un instrument d’études scolaires. L’objectif prioritaire de l’enseignement des langues étrangères est, avant tout, celui d’acquérir la capacité de communiquer, voire en maîtriser l’essentiel pour pouvoir répondre, en premier lieu, aux exigences de la vie quotidienne (scolarisation, culture, échange…) mais, surtout à ceux du marché de l’embauche.
Problématique :
La langue française ayant toujours jouit d’une importance particulière et longtemps considérée plus qu’une deuxième langue au Maroc, sa maîtrise est une condition sine qua none de recrutement dans la vie professionnelle. D’autant plus qu’elle représente, aujourd’hui encore, la langue de culture, du savoir et de modernité pour la plupart des marocains et les jeunes lycéens, n’en font pas exception.
Malheureusement, sur le plan apprentissage, non seulement, ces derniers ne s’y intéressent plus, mais encore ils montrent un certain malaise quant à son usage à l’oral et à l’écrit. Une réticence et une démotivation qui se traduisent par « une baisse de niveau de maitrise » alarmante.
Pour ce qui est de l’enseignement/apprentissage de la langue française au secondaire qualifiant, sujet de notre recherche ; plusieurs facteurs sont à l’origine de ce premier constat. Les plus connus sont : l’augmentation des effectifs, la politique d’arabisation, le manque de professeurs, l’insuffisance des horaires consacrés à l’apprentissage de cette matière ainsi que le changement historique du statut de cette langue.
Aussi, il paraît que la concurrence de la langue anglaise, dont la promotion ne cesse d’augmenter à l’échelle internationale, n’est pas sans influence sur la valeur de la langue française.
Toutes ces raisons sont bien des conditions défavorables à la qualité d’enseignement de toute langue en général et du français en particulier, cas qui nous intéresse, surtout que la problématique est la gestion de plusieurs langues dans un environnement donné, s’agissant ici de l’école, autrement dit la gestion de la diversité linguistique dans le système éducatif.
Cette problématique constitue, actuellement, l’une des plus importantes que vit l’enseignement en général, et s’impose comme préoccupation essentielle du ministère d’enseignement et de formation, ainsi que celle des enseignants chercheurs en particulier. Puisque, comme elles se dessinent dans la reconfiguration actuelle du système éducatif, les déficiences linguistiques notoires que manifestent élèves et étudiants en langue française, limitent leurs chances, leurs possibilités d’embauche et donc leur ascension sociale; leur niveau linguistique n’étant pas conforme au pré-requis du milieu professionnel, ou supposé comme tel.
Choix du sujet :
Certes, le statut de la langue française au Maroc a fait souvent objet de débats et discussions passionnés dans des colloques et conférences ainsi que dans plusieurs articles de journaux, de revues universitaires ou plus spécialisées dans le domaine de l’enseignement. Il a également engendré de nombreux écrits de grands linguistes, cependant il reste toujours sujet d’actualité puisque cette langue vit dans un dilemme : valorisée par certains ou considérée comme « un mal nécessaire » par d’autres, la langue française présente toujours quelques ambigüités et contradictions quant à son statut, sa place et son importance pour notre pays.
Par ailleurs, le sujet revêt une importance particulière à nos yeux, s’agissant de l’avenir de nos enfants et guettant l’ouverture du pays sur la diversité culturelle. L’intérêt devient encore plus intense quand aujourd’hui toutes les instances en rapport avec l’éducation et la formation (charte, réformes, orientations pédagogique…), se focalisent sur l’apprenant et le mettent au cœur de l’action pédagogique.
C’est ainsi que nous avons jugé qu’il serait pertinent d’orienter notre attention vers ce dernier, les lycéens en particulier, cerner la valeur qu’ils confèrent à la langue française, suite au degré de leur usage, de leur perception en termes de représentations. Sachant que cette notion est également au centre des processus pédagogique et didactique.
Ces mêmes jeunes qui, non seulement contribuent activement à bâtir le présent mais ils sont aussi porteurs de l’avenir d’une société. Ils peuvent représenter bien davantage puisqu’ils reflètent les grandes tendances qui traversent nos sociétés de façon très marquée. Les diverses manières dont ils font usage de leurs compétences linguistiques et gèrent leur rapport avec les autres sont de bons indicateurs des mutations en cours dans une société. Ils sont par la même occasion susceptible d’influencer la situation linguistique d’un pays.
Tous ces faits nous paraîssent suffisants pour qu’il soit intéressant de faire une étude sur l’enseignement/apprentissage du français à ce niveau, jugé crucial, de scolarité des élèves marocains arabophones de « l’enseignement secondaire qualifiant » (1).
Couronnant onze ans d’enseignement du français, ce niveau constitue la base et le palier de passage à l’université où les études sont dispensées, dans la plus part des branches, en français. Notons bien que cette discipline passe du statut de langue étrangère enseignée à celui de langue d’enseignement.
Un décalage qui ne peut que renforcer cette baisse de niveau, dès l’instant où les étudiants devront faire un double effort : d’abord, celui de maîtriser la langue pour pouvoir capter le message scientifique, ensuite l’effort de la compétence scientifique pour comprendre et s’approprier le message.
Objectifs de la recherche :
L’objectif principal de ce travail est de mener une réflexion sur l’enseignement/apprentissage du français au lycée, tout en focalisant l’attention sur le coté sociolinguistique de la problématique, voire les notions d’attitude, de représentation et de perceptions des apprenants face à cette langue.
D’autres objectifs sont visés en parallèle ; pour commencer, parvenir à une connaissance de la place qu’occupe le français aujourd’hui, évaluer les compétences du public cible, identifier les différentes images qu’il s’est forgées de cette langue et essayer d’en déduire les perspectives d’avenir et les enjeux que peut nous offrir son enseignement/apprentissage. Enfin, c’est aussi une tentative de répondre à certaines interrogations liées à la question principale qui est : Quelles perspectives pour la langue française au Maroc ?
Questions de la recherche :
Dans ce travail nous nous interrogeons, effectivement, sur les difficultés que rencontre ce public de lycéens à l’égard du français, en posant les questions suivantes :
– Comment les jeunes apprenants abordent-ils les langues étrangères et élaborent-ils des représentations sur celles-ci?
– Quelles sont leurs attitudes vis-à-vis de la langue française, y a-t-il du désintéressement ?
– Quel est le degré d’importance de la langue française pour nos jeunes aujourd’hui ?
– Quelle place occupe-t-elle par rapport aux langues en présence aux yeux de ces lycéens ?
– Comment la langue française est-elle perçue aujourd’hui ? Langue étrangère parmi d’autres, secondaire ou une langue qui a une valeur particulière et donc bien un statut par rapport à nous marocains ?
– Pourquoi cette baise du niveau de maîtrise du français à leur avis ?
– L’arabisation des matières scientifiques est-elle parmi les causes de cette baisse du niveau en français ?
-Le volume horaire réservé au français est-il suffisant pour son apprentissage et sa maitrise ?
Hypothèses de la recherche :
Après réflexion sur les nombreux avantages et mêmes inconvénients que peut impliquer l’étude des représentations vis-à-vis d’une langue, en l’occurrence le français, nos hypothèses pour ce travail se sont fondées sur les points suivants :
– La langue française garde une place importante dans notre société et dans tous les domaines : socioéconomique, professionnel et éducatif.
– Aussi, elle conserve une valeur privilégiée dans l’imaginaire du citoyen marocain en général, puisqu’elle est socialement largement répandue et ne souffre que peu de la concurrence de la langue anglaise.
– Les représentations, images et attitudes envers une langue influencent son apprentissage.
– Cohabitant avec les autres langues du pays, l’apprentissage du français est nécessaire pour l’avenir des jeunes.
– L’enseignement des matières scientifiques en arabe est l’une des causes de cette baisse de niveau en français.
– Le volume horaire réservé à la langue française, dans l’enseignement secondaire public ne permet pas aux élèves d’acquérir une bonne maîtrise de la langue.
– L’effectif trop élevé des élèves dans une classe entrave l’assimilation des cours et essentiellement l’apprentissage des langues.
Méthodologie de la recherche :
Ces hypothèses nous ont conduites à envisager une étude qualitative et quantitative à la fois. Au moyen d’une enquête sur terrain, pour laquelle nous avons opté à utiliser deux méthodes de collecte de données :
– L’administration d’un questionnaire à un échantillon significatif d’élèves du secondaire qualifiant du lycée précité afin de collecter le maximum d’informations et de données. Celles-ci, nous seront utiles pour l’analyse quantitative.
Les questions porteront principalement sur l’usage du français dans différentes situations de communications, sur son enseignement/apprentissage pour s’attarder sur les notions d’attitudes et de représentations, de ces jeunes envers cette langue, que nous tenterons de dégager à partir de certaines réponses.
– Une observation directe, à travers laquelle nous consulterons quelques enseignants de langue française, dans le but de compléter les informations recueillies auprès des élèves. Etant donné que les enseignants sont les personnes les plus proches des élèves et des situations d’apprentissage, nous avons jugé qu’il serait pertinent d’avoir leurs avis.
Ces deux méthodes d’enquête nous paraissent les mieux appropriées au travail de terrain préconisé par la sociolinguistique : La première (le questionnaire), voir annexe, nous permettra de réaliser une analyse objective avec des résultats statistiques qui ôtent toute part de subjectivité du chercheur (moi-même) sur les données et, la deuxième méthode (l’observation) a pour finalités d’approfondir et enrichir l’enquête en apportant plus de réponses à nos interrogations par des spécialistes de la matière.
L’enquête sera menée sur notre lieu de travail, lycée Abderrahman Nacer de Kenitra, pour des raisons de commodité et de facilité de contact avec le public cible, ce qui nous permettra de mieux approcher les pratiques pédagogiques et didactiques de cet établissement.
Plan de la recherche :
Ce mémoire sera composé de deux parties, une théorique et une pratique. Dans la première, nous exposerons, dans un premier chapitre, un bref historique du paysage linguistique marocain afin de replacer et actualiser l’enseignement du français dans son cadre linguistique général, et dans un deuxième chapitre, nous apporterons quelques éclaircissements sur le statut de cette langue dans notre pays en discutant de son enseignement/apprentissage dans le système éducatif marocain.
La deuxième partie sera consacrée à l’enquête de terrain, où nous exposerons dans un premier chapitre, quelques définitions des notions attitude et représentation qui vont nous servir de soubassements théoriques à la partie pratique.
Dans un deuxième chapitre nous aborderons directement la méthodologie d’investigation où nous décrirons l’enquête menée par questionnaire. Ce volet pratique sera composé également de deux chapitres ; le premier sera consacré la méthodologie de recherche choisie, et le deuxième à l’analyse et l’interprétation des résultats. Ce dernier chapitre analytique, qualitatif et quantitatif à la fois, va nous permettre de vérifier nos hypothèses, afin de les confirmer ou les infirmer.
1 Le « Secondaire Qualifiant » est une appellation issue de la Réforme du système éducatif marocain qui remplace l’ancienne appellation « l’Enseignement Secondaire ».
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