La méthode choisie pour cette recherche se situe entre l’approche phénoménologique et l’étude de cas. Ce choix nécessite des justifications, tant il est d’usage, en sociologie, d’utiliser une méthode purement phénoménologique pour étudier l’avortement (cf. les études de N. Bajos, M. Ferrand ; G. Cresson). Précisons dès à présent ce que nous entendons par ces termes. Selon une typologie de Robert K. Yin et J.W. Creswell, reprise par L. Albarello(78), on peut distinguer 5 approches qualitatives :
– la recherche narrative : il s’agit d’appréhender les différentes facettes de la vie de quelques personnes, ce que l’on appelle le parcours de vie. L’outil utilisé est le récit de vie.
– L’approche phénoménologique : dans cette approche, qui s’appuie généralement sur des entretiens semi-directifs, on rencontre plusieurs individus ayant vécu le phénomène que l’on cherche à étudier.
– La théorie ancrée : il s’agit de construire une théorie à partir du terrain en étudiant les réactions d’un groupe homogène à un phénomène donné.
– L’approche ethnologique : cette approche s’appuie plutôt sur de l’observation participative. C’est l’étude des valeurs partagées par un groupe avec des individus représentatifs.
– L’étude de cas : cette méthode de recherche étudie « un ensemble d’interrelations situé dans le temps et localisé dans l’espace »(79). Elle étudie une décision, un événement ou un projet en interrogeant les différents acteurs qui y prennent part.
Le choix de la méthode de l’étude de cas, telle que présentée par L. Albarello(80), se justifie ici par l’objet d’étude : en effet, il est question de saisir la décision en tant que processus social menant à l’action d’avorter. A travers l’étude de ce processus nous aurons également des informations sur l’avortement comme phénomène social. Ce processus décisionnel est indissociable de son contexte et il est circonscrit dans le temps et l’espace. Dans le temps car il concerne spécifiquement la période de temps entre le moment où la femme concernée apprend ou soupçonne sa grossesse et le moment de l’interruption proprement dite. Nous avons déjà indiqué que cette manière de circonscrire le processus de décision subira des modifications lors de la confrontation avec les données du terrain. Dans l’espace, par les personnes qu’il concerne, à différents degrés. Ces personnes auront différents points de vue, ce qui enrichit la compréhension du processus décisionnel. L’étude de cas considère un cas comme étant social et relationnel, c’est sa dynamique interne qu’il s’agit d’appréhender.
Au niveau opérationnel, les techniques prises en compte par l’étude de cas peuvent être multiples, de l’entretien au questionnaire, en passant par l’observation et la recherche documentaire.
Le traitement des données se fait en trois parties : premièrement, la description en profondeur du site. Deuxièmement, la condensation et la catégorisation des informations. Troisièmement, l’articulation avec des référents théoriques. Nous pouvons constater que la deuxième étape, qui n’est pourtant pas encore totalement mise en lien avec le théorique, se rapproche de la mise en séquence (cf. précédemment, le traitement séquentiel) du surcode. Il aurait été tentant d’utiliser cette méthode intégralement et exclusivement. Examinons les conditions requises :
– avoir connaissance du début du processus décisionnel (dès que la femme soupçonne une grossesse) ;
– être présent et pouvoir observer et avoir des entretiens au moment même du processus de décision ;
– être présent et pouvoir observer les différents lieux ;
– prendre en compte toutes les personnes concernées, aussi bien dans le domaine privé que dans le domaine professionnel ainsi que médical.
L’objet de la recherche ne nous permet pas de remplir ces conditions. Premièrement, la recherche au moment même du processus décisionnel pose plusieurs problèmes. Nous n’avons pas trouvé d’entrée pour des sites de recherche adéquats : comment une femme pourrait-elle participer à l’enquête dès qu’elle soupçonne un début de grossesse ? A moins de faire appel au cercle des intimes, car la parole ne circule pas aisément sur le sujet, ce qui ne serait pas sans poser d’autres problèmes, comme nous le verrons plus loin. Autre problème de cette temporalité d’enquête : la question éthique. Il n’était pas question de jouer un rôle au sein de ce processus en prenant la place d’une confidente, ou d’être prise à partie par l’un des acteurs sur ce qu’il convient de faire. Dans ce même registre, comment observer, par exemple, une discussion intime dans le couple sans changer complètement le sens de ce moment à deux ? Autrement dit, quelle place pour l’observateur dans une situation intime ? En ce qui concerne l’intégralité des personnes concernées et des lieux d’enquête, il ne nous a pas semblé possible d’y avoir accès.
Face à tant de difficultés, pourquoi persister à suivre l’approche de l’étude de cas ? L’intérêt de prendre en compte plusieurs points de vue sur une situation nous paraît au fondement même de la théorie du surcode. La richesse de la mise en perspective des discours nous a semblé justifier la tâche ardue d’adapter cette méthode de recueil des données.
La méthode utilisée a été une adaptation des deux approches, fonctionnant en plusieurs étapes. La porte d’entrée du travail de terrain était un entretien avec une femme ayant vécu une IVG dans les trois années précédant l’enquête, dans une approche classiquement phénoménologique. Ensuite, à partir d’une première analyse de l’entretien, nous repérions la ou les personnes prenant part à la décision. Ici, deux cas de figure : soit la femme revendiquait avoir pris la décision seule et il n’y avait pas de possibilité de poursuivre avec l’étape suivante ; soit la femme nommait la ou les personne(s) ayant eu un rôle dans la décision. Nous lui demandions alors l’autorisation d’avoir un échange avec cette/ces personne(s), qu’elle contactait en premier pour expliquer de quoi il s’agissait et, si la personne était d’accord, elle nous transmettait ses coordonnées. Cette manière de procéder, par la priorité accordée au respect des différentes personnes impliquées, était extrêmement aléatoire car des refus à plusieurs niveaux pouvaient opérer.
78 Albarello L., 2011, Choisir l’étude de cas comme méthode de recherche, De Boeck.
79 Albarello L., 2011, op. cit., p.16.
80 Ibid. 55
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