Dans une recherche en sciences sociales, le vocabulaire employé n’est pas anodin. Nous voulons expliciter notre démarche par rapport au choix des termes employés afin de savoir exactement de quoi l’on parle. Il faut distinguer entre les termes employés par les personnes interrogées au cours de l’enquête, en analysant leur connotation, tout en étant très claire sur ceux que nous reprenons à notre compte.
Le vocabulaire lié à l’avortement est très fortement connoté : on perçoit aisément que l’on ne se situe pas dans la même optique lorsque l’on parle de « subir » ou de « commettre » un avortement, par exemple. « Commettre » implique une notion de crime, alors que « subir » pose le sujet en victime dénuée de choix. Moins évident, « avoir recours à une IVG » connote un aspect froid et technique : l’IVG pourrait être un acte médical comme un autre ; ce terme nie la complexité sociale de l’avortement.
Nous nous cantonnerons à l’usage des termes les plus neutres, ce qui, et nous nous en excusons par avance, peut donner une certaine lourdeur au texte, liée à la répétition des termes (nous n’avons pas l’ambition de faire de ce mémoire une oeuvre littéraire). Il s’agit de : « faire » une IVG et « vivre » une IVG. Le verbe « faire » est un passe-partout de la langue française, c’est le terme neutre par excellence. En revanche « vivre » est un peu plus riche car il contient l’idée de l’expérience.
Le terme « avortement » sera réservé à l’usage général, signifiant l’acte d’interrompre ou de faire interrompre volontairement une grossesse : c’est le terme qu’il convient d’utiliser lorsque l’on demande aux enquêtés leur opinion au sujet de l’avortement. Il servira également à désigner l’acte dans le contexte brésilien.
A contrario, le terme « IVG » désignera précisément l’intervention médicale d’interruption volontaire de grossesse, qu’elle soit chirurgicale ou médicamenteuse, dans le contexte légal français. Nous ne reprendrons pas à notre compte la norme de la contraception, même si nous la prendrons en compte pour la questionner. C’est-à-dire que nous ne distinguerons pas a priori les grossesses « prévues » des « non prévues » qui résulteraient automatiquement « d’échec de contraception ». Nous nous autorisons la marge de manoeuvre qui consiste à laisser venir ces sujets au gré des entretiens.
Nous laisserons les termes de « désir de grossesse » ou de « désir d’enfant » à la psychologie, ou aux femmes qui pourraient les utiliser, tout en gardant à l’esprit qu’il existe une « psychologisation » sociale qui consiste, pour le profane, à chercher des explications dites psychologiques à son comportement, que nous avions constatée dans le travail de première année de Master.
Au-delà du terme très neutre « d’interruption volontaire de grossesse », avorter peut avoir plusieurs définitions et significations, se référer à des conceptions bien différentes. La question morale, qui semble intrinsèquement liée à l’avortement, subit des glissements selon la définition que chacun/e a de l’avortement. Cette définition n’existe pas toute prête pour chaque personne, cependant nous pouvons tenter de la percevoir à travers les discours.
Grâce aux entretiens réalisés, nous pouvons faire quelques propositions de définitions de l’avortement, ou de ce qu’il signifie et symbolise, que nous pourrons rencontrer :
– technique médicale visant à résoudre un problème (le problème en question étant une grossesse que l’on ne souhaite pas mener à terme) ;
– tuer une vie humaine ;
– échec d’une relation de couple ;
– preuve de sa propre incapacité à gérer sa vie.
La difficulté, pour nous, lors du face à face avec les interviewés, consistera à ne pas attribuer nous-même de signification, afin de pouvoir accueillir la leur.
Pour sortir de la vision rationnelle et de la logique de « bonne gestion » de sa vie privée, la première étape consiste à se rendre compte de cette norme, à faire un pas sur le côté et percevoir qu’il y a un filtre collé à la vitre par laquelle nous observons le monde social. La seconde, comme nous allons le voir dans la partie suivante, sera de s’appuyer sur les bons outils théoriques.
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