« En termes de systèmes et de sous-systèmes, on peut percevoir chaque partie prenante d’une “décision” comme ayant son propre code, correspondant à la rationalité de son système : objectif, mode d’organisation, composition sociale, place dans le système global, définissent un “comportement” caractéristique qu’on appellera “code” »(74).
Les codes ou « langages » additionnés produisent un effet de surcodage, qui est un effet de sens et dépasse les prévisions des codes. Chaque code ajoute une contrainte et des significations supplémentaires. Le surcode est un passage de code à code, par le travail des codes entre eux, qui se rapproche d’un travail de traduction.
Le surcode est aussi une méthode opératoire de traitement du récit. Cette méthode, utilisée pour les découpages de processus, met l’accent sur les discontinuités et les ruptures tout en respectant les continuités à l’intérieur d’un même code, d’un même sous-système ou d’une même séquence. Elle est composée de plusieurs étapes.
• Le traitement séquentiel
Cette étape permet de repérer les étapes et les actants. C’est l’organisation du matériau. Elle est formalisante car il s’agit de mettre le récit en séquences et donc de définir l’unité d’action qui couvre la séquence. Ainsi, le traitement séquentiel est déjà une phase théorique. L’auteur propose un système de fiches, avec une couleur par séquence et une fiche par actant, ce qui permet une double lecture du récit. D’une part, une cohérence se dégage de chaque séquence. D’autre part, on perçoit l’évolution de la rationalité de chaque actant pris séparément au fil des séquences.
« Peuvent alors se poser des questions très précises sur les rationalités en conflit, sur les passages de code à code, sur les torsions de rationalités entre elles, sur les impossibilités de torsion lorsqu’elles sont trop éloignées et relèvent de l’ordre de la “différence”. Nous sommes passés déjà insensiblement de la première étape séquentielle, à la seconde étape du surcode structural ».(75)
• Le surcode structural
Cette étape permet de localiser l’endroit où les sous-systèmes se frottent entre eux et tordent leur message. Les rationalités en présence traduisent, pour un actant donné, le message de l’autre avec le système de déchiffrement qui est le sien. Arrêtons-nous un instant sur les effets de sens de cette traduction. L’activité de traduction est torsion, trahison, véritable opération de transformation.
En prenant en compte cette activité, le surcode structural s’inscrit à l’opposé de l’idéologie de la communication (censée être transparente). « Si nous appliquons cette théorie de la traduction à l’analyse des séquences décisionnelles déjà formées, notre problème sera de montrer comment les actants en présence dans une situation et un moment donnés vont se transformer réciproquement, en traduisant leurs objectifs respectifs dans leurs codes respectifs ».(76)
• Le surcode analytique
Le chercheur propose ici la transposition de catégories analytiques dans le domaine social pour tenter une approche psycho-analytique des processus. « Les déformations successives que subit la poussée initiale, sa fragmentation, ses glissements entre différents objectifs quelquefois contradictoires se comprennent mieux si on sait, d’une part, que la pulsion est diffuse, indéfinie et que, d’autre part, la réalité extérieure érigée en systèmes fournit un objet à la pulsion qui l’investit mais de manière comme indifférente, investissement mobile sans cesse changeant d’objet, renouvelant la représentation ».(77)
Le langage psychanalytique nous étant trop étranger, nous préférons laisser de côté cette étape du surcode pour le traitement de notre corpus.
Ceci étant dit, la méthode du surcode proposée pour analyser les décisions déjà prises nous convient particulièrement car elle n’est pas normative. En effet, elle ne dit pas qu’il y aurait une solution meilleure que les autres. En cela, elle respecte la dignité des personnes participant à l’enquête.
L. Sfez a théorisé et utilisé le surcode pour analyser les politiques publiques, notamment des projets de transport urbain. Sa théorie et sa méthode nous semblent néanmoins applicables à la sphère de la vie privée, dans le champ étudié ici.
75 Sfez L., 1981, op. cit., p. 323.
76 Ibid., p. 325. 52
77 Sfez L., 1981, op. cit., p. 340.
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