Par mécénat, on entend le fait d’aider peut être par la suite de promouvoir des arts et des lettres par des commandes ou des aides financières privées, que le mécène soit une personne physique ou une personne morale, comme une entreprise. Dans une acception plus large, il peut s’appliquer également à tout domaine d’intérêt général : recherche, éducation, environnement, sport, solidarité, innovation, etc. le sujet de notre réflexion portera plus d’attention au mécénat culturel et plus particulièrement le cas de la promotion du mouvement dit expressionisme abstrait aux états unis.
Pour comprendre les raisons du succès de tel ou tel mouvement artistique dans une constellation historique donné, il faut étudier en détail les caractéristiques du mécénat et les besoins idéologiques de la classe dominante.
Le mécénat n’est généralement pas un don sans contrepartie. Le mécène en attend un bénéfice en termes d’image et de reconnaissance.
Le mécénat sert à façonner l’image du mécène – souvent une entreprise ou une marque- en soutenant des artistes ou des disciplines ciblées.
Le mécénat peut également intervenir subtilement ou influencer ce qui touche à la création et non uniquement aux artistes reconnus.
Après la deuxième guerre mondiale, Le discours présentant le Plan Marshall(1) en juin 1947 et la refondation d’une Internationale Communiste en septembre (Kominform) (2) lancent « officiellement » la Guerre froide, déjà annoncée dans le célèbre discours de Churchill en mars 1946(3).
La crispation bipolaire qui définit la Guerre froide pendant au moins la décennie qui suit, est forcément idéologique, car il s’agit d’un affrontement de systèmes de valeurs et d’organisations du monde ; il est également culturel car les deux puissances se combattent par l’image, le son, la propagande et non par les armes.
Le deuxième conflit mondial a fait des États-Unis une superpuissance économique, militaire, politique qui découvre alors le « cultural power ».
Serge Guilbaut dit que ‘’ le succès sans précédent de l’avant-garde américaine , sur la scène nationale comme sur la scène internationale, ne repose pas uniquement sur des raisons esthétiques et formelles, mais également, sur des raisons, disons, d’échos idéologiques’’
Il ajoute que l’expressionisme abstrait n’était pas uniquement un phénomène new yorkais mais il était une expression internationale.
Ceci on peut l’expliquer par le fait que, face à la montée du nazisme en Allemagne et le fascisme en Italie, beaucoup d’artistes ont émigré vers le territoire américains fuyant la répression exercée sur eux par ces régimes totalitaires qui, en réalité, ne rejetaient qu’un certain type de culture : le modernisme. Ce dernier qui a des racines en Europe s’introduisait dans la culture américaine et devenait une partie composante de l’identité culturelle des états unis.
La chute de paris
En novembre 1940, Harold Rosenberg(4) écrit un long article sur la chute de Paris dans partisan review où il rappelle que Paris restera toujours pour les esprits libres l’exemple de la modernité et qu’il faut mobiliser toute l’intelligentsia « responsable » – artistes, écrivains, poètes…etc – pour défendre les valeurs de la liberté dont Paris est le symbole universel.
Au printemps 1941, John Peale Bishop (5) écrit dans un article de Kenyon Review : « je commencerai par dire que je suis sincèrement convaincu que le futur de l’art est en Amérique… sans attendre l’issue (de la guerre) et sans même vouloir le prédire, il est déjà possible de dire que le centre de la culture occidentale n’est plus en Europe. »
En outre il explique que le passage des européens à New York pendant la guerre avait dégelé la scène artistique, à tel point que l’art moderne était maintenant produit par les artistes New-Yorkais.
Donc soutenir des artistes de la nouvelle génération en Amérique comme Jackson Pollock, Kooning, Newman..etc servit l’idée de peindre une nouvelle Amérique qui devait libérer la culture et protéger le monde occidental en péril, une Amérique jeune, forte, aventureuse et ouverte sur le monde.
Face à l’URSS qui investit depuis longtemps pour séduire l’Europe, l’Amérique de Truman et d’Eisenhower commence à user de l’arme culturelle à des fins de politique étrangère et même de guerre idéologique.
Donc par quels moyens ont-ils réussi à séduire et financer ces projets ?
Tom Branden, ancien agent de la C.I.A témoigne dans le reportage de Hans-Rüdiger Minow que les objectifs principaux de leur mission étaient d’unir les écrivains, musiciens, peintres et leurs publics afin de montrer que U.S.A et l’Europe de l’ouest étaient très attachés à la liberté d’expression ainsi qu’a l’accomplissement intellectuel et qu’ils refusaient d’imposer aux intellectuels et aux artistes les dictats quant à ce qu’ils devaient écrire, dire, faire ou peindre comme c’était le cas en URSS.
Ainsi, à travers cette stratégie raffinée, les états unis cherchent à concevoir une image qui illustre leur position de force, voire l’image du nouveau leader mondiale. L’objectif est de montrer la créativité et la vitalité spirituelle, artistique et culturelle de la société capitaliste ‘’américaine’’ contre la grisaille de l’Union soviétique et de ses satellites.
La fondation Ford, Rockefeller ont servi comme dispositif pour lancer des actes de mécénat dans les domaines des sciences sociales, de l’économie et des arts.
La fondation Ford Créée en 1936 par Henri et Edsel Ford, qui lui ont légué une grande partie de leur fortune (3 millions de dollars d’actions Ford) à leur mort dans les années 40. Le but affiché dans les statuts de la fondation était de « recevoir et gérer des fonds pour des objectifs scientifiques, éducatifs et charitables pour le bien public ». Depuis le début, on trouve dans son équipe dirigeante des dirigeants de banque, ou d’anciens hauts militaires tout comme des universitaires, qui se font un plaisir de répercuter les idées de la fondation dans le monde universitaire et la société, aux Etats-Unis comme en Europe.
D’après les observateurs L’un des moyens par lesquels la fondation Ford influence la société (tout comme la fondation Rockefeller) est l’orientation de la recherche scientifique, notamment en sciences sociales (sociologie, histoire, géographie).
Il faut savoir aussi que parmi les dirigeants de la fondation Ford comme une partie de l’intelligentsia Américaine considéraient que l’art n’était pas innocent mais fortement imprégné de politique.
L’art devient un moyen de propagande. Le financement des projets artistiques qui vont dans ce sens est une nécessité pour la classe politique dominante dans le pays, un acte politique fondé sur une stratégie qui vise, entre autre, à mettre terme à l’avancée de l’idéologie communiste.
Même si l’expressionisme abstrait est un moyen de lutte idéologique fort, certains membres du gouvernement américain n’ont pas vu l’intérêt de le financer. Les républicains par exemple attaquaient violemment ce courant et l’accusent d’être communiste.
Alors le gouvernement se tourne vers des organisations indépendantes comme la C.I.A qui, pour atteindre ces objectifs, se tourne vers le secteur privé.
En 1952, le Musem of Modern Art organise en collaboration avec la C.I.A un programme international de diffusion mondiale de l’expressionisme abstrait.
Le congrès de la culture libre qui fut une association culturelle anti-communiste fondé en 1950 et domicilié à Paris était financé par la C.I.A au travers de fondations comme Ford foundation.
Le scandale de 1967 révèle cette vérité et le congrès changea de nom pour devenir l’Association internationale pour la liberté de la culture.
Selon Pierre-Yves Saunier, « La Fondation Ford est un des acteurs des guerres froides intellectuelles, celle qui oppose ouvertement les blocs occidentaux et soviétiques, et celle qui, plus discrète, a pour enjeu la pénétration des valeurs états-uniennes dans ce qui n’était pas encore la « Vieille Europe ».
Enfin on peut constater que Le but finale de ce genre de mécénat à cette époque était de canaliser le développement des mouvements et les évolutions sociales tout en les éloignant des revendications de tendances communistes ou sociales.
Bibliographie
Ouvrages et articles :
– Serge Guilbaut, Comment new-York vola l’idée de l’art moderne , Hachette litteratures, édition Jacqueline Chambon, 1996
– Baudrillard jean, la société de consommation. Paris, Gallimard, 1954
– Braden Thomas, i’m glad the C.I.A is immoral, Saturday evening post, 1967, p. 10-14.
– Nathalie Heinich, l’art contemporain exposé aux rejets, Pluriel, édition Jacqueline Chambon, 1997
– Christian Ruby, L’enthousiasme essai sur le sentiment en politique, Hatier, 1997
– Frances Stonor Saunders, La CIA, mécéne de l’expressionnisme abstrait, the independant.
Sites internet :
– http://fr.wikipedia.org/wiki/Harold_Rosenberg
– http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/la-fondation-ford-une-politique-de-53111
1 : en anglais European Recovery Program : ERP ; était un plan américain pour aider la reconstruction de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale.
2 : Organisation centralisée du mouvement communiste international dans la période de 1947 à 1956. Il est en quelque sorte le successeur du Komintern
3 : Le discours prononcé par Winston Churchill à l’université de Zurich, le 19 septembre 1946, est souvent cité en raison de l’appel à la constitution des « États-Unis d’Europe »
4 : Harold Rosenberg écrivain, philosophe et critique d’art américain né en 1906 et décédé en 1978.
5 : John Peale Bishop est un poète américain et homme de lettres.
Auteur : Elihtirassi Yassine