L’expression «jusqu’à concurrence de son montant» figurant à l’article 1096 du Code de
Commerce a eu un débat large et intense au niveau jurisprudentiel, que nous nous
permettons d’examiner en trois étapes:
1. Non reconnaissance de la dépréciation de la monnaie en Colombie:
Dans une première étape, la jurisprudence a considéré, à l’unanimité, que l’expression
«jusqu’à concurrence de son montant» voulait dire que le recours subrogatoire de l’assureur
n’était possible, que jusqu’au montant nominalement payé, indépendamment du temps
écoulé, sans tenir en compte la dépréciation de la monnaie colombienne.
Les décisions dans ce sens ont été reprises par les suivants arrêts de la Chambre Civile de la
Cour de Cassation:
e. Cour de Cassation, Chambre Civile, 17 Mars 1981, Magistrat Germán Giraldo
Zuluaga ;
f. Cour de Cassation, Chambre Civile, 6 août 1985, Magistrat M. Horacio Gil
Montoya ;
g. Cour de Cassation, Chambre Civile, 16 Juin 1988, Magistrat José Alejandro
Fernández ;
h. Cour de Cassation, Chambre Civile, 6 Novembre 1990, Magistrat Héctor Marín
Naranjo ;
i. Cour de Cassation, Chambre Civile, 22 Janvier 1991, Magistrat M. Eduardo García
Sarmiento ;
j. Cour de Cassation, Chambre Civile, 23 Septembre 1993, Magistrat Pedro Lafont
Planeta ;
k. Cour de Cassation, Chambre Civile, 25 août 2000, Magistrat Manuel Ardila
Velásquez.
Les principaux arguments des arrêts indiqués ci-dessus, fondements de la Cour de
Cassation de la non reconnaissance de la correction monétaire aux assureurs qui exercent
leur recours subrogatoire sont les suivants:
– Le principe indemnitaire du contrat d’assurance, applicable aussi bien à l’assuré qu’à
l’assureur, la reconnaissance de la dépréciation selon eux impliquerait une violation du
principe indemnitaire.
– Une interprétation littérale doit être appliquée quand il n’y a pas de doutes ou de textes
obscurs. Dans ce cas la Cour de Cassation considère que le texte est clair.
– Le recours subrogatoire n’a pas été créé dans le but de protéger l’assureur.
– L’assureur reçoit une prime en raison de ses engagements, pourquoi recevrait-il encore
une somme en adition de la cotisation représentée par la correction monétaire ?
2. Première opinion divergente de la part d’un Magistrat de la Chambre Civile de la Cour
de Cassation Colombienne
Par Arrêt du 13 Octobre 1995, Magistrat Héctor Marín Naranjo, la Chambre Civile de la
Cour de Cassation se prononce dans le même sens que dans les arrêts précédents.
Cependant, le Magistrat Javier Tamayo Jaramillo s’est prononcé en sens contraire. En
Colombie, le magistrat qui n’est pas d’accord avec la décision adoptée par la majorité,
indique les fondements de sa divergence par écrit et laisse le constat de ses arguments dans
le même arrêt.
Le magistrat Tamayo Jaramillo considère que la portée du terme « jusqu’à concurrence de
son montant » est d’interdire à l’assureur qui exerce le recours subrogatoire de percevoir des
sommes qui n’ont pas été payées au moment du sinistre.
Il diffère de l’avis traditionnel de la Cour de Cassation selon lequel le caractère indemnitaire
du contrat d´assurance, soit également applicable à l’assureur, parce que la règle fait
allusion uniquement à l’assuré et ne partage pas les appréciations sur la cotisation et la
compensation que celle-ci représente pour l´ assureur, lorsque la correction monétaire ne lui
est pas reconnue.
Cependant, il reconnait que la protection financière des assureurs constitue un des éléments
du recours subrogatoire.
Finalement il conclut sa dissertation en indiquant que le fait de conférer la correction
monétaire à l’assureur ne fait que conserver la valeur intrinsèque de l´indemnité perçue par
l’assuré, de même que l´équilibre patrimonial entre cette valeur et celui qui a causé le
dommage.”(81)
Il a fallu attendre 10 ans pour que les fondements de ce vote divergent soient repris par la
plupart des magistrats de la chambre civile de la Cour de Cassation.
3. Revirement de jurisprudence, reconnaissance de la correction monétaire à l’assureur en
droit Colombien.
Cette troisième phase a commencé avec la décision du 18 mai 2005, Magistrat Carlos
Ignacio Jaramillo Jaramillo.
C’est le premier arrêt de la Chambre civile de la Cour de Cassation qui admet l’application
de la correction monétaire aux montants payés par l’assureur qui agit en action de
subrogation, et à la charge du responsable du sinistre.
La dite corporation signale:
(…) “En substance, l´action en matière de subrogation est la même que celle qui aurait pu
être exercée par la victime contre l’assuré responsable des dommages, de sorte que le
traitement accordé à l’assureur doit être symétrique à la loi et à la jurisprudence qui lui avait
donné, indépendamment de l’assurance appliquée par une indemnisation appropriée pour
les dommages et intérêts. “(82)
Certains des arguments exposés pour reconnaître la correction monétaire consistent en:
– Le but de la correction monétaire n’est pas de réparer les dommages, mais maintenir le
pouvoir d’achat.
– La reconnaissance de la correction monétaire ne signifie pas que l’entreprise d’assurance
reçoive un paiement supérieur au montant indemnisé à l’assuré, mais elle ne devrait pas
recevoir moins pour des raisons d’équilibre.
– Le paiement sans correction monétaire ne serait pas complet et en conséquence ne devrait
pas libérer le débiteur.
La décision ci-dessus reconnaît comme fondements de l’action de subrogation les aspects
suivants:
– Prévenir que le responsable des dommages soit exonéré des responsabilités en matière de
paiement par l’assureur.
– Basé sur le principe de l’assurance de responsabilité civile, empêcher l’enrichissement de
l’assuré, parce que si l’action de subrogation de l’assureur n’existe pas, le bénéficiaire
pourrait essayer, en plus du paiement de la restitution, la compensation de la responsabilité
des dommages-intérêts.
– Permettre que la compagnie d’assurance reçoive les ressources pour le développement de
leur entreprise.
– Améliorer la sinistralité de l´assuré à travers les récupérations, ce qui aura un impact sur
les primes à payer dans l´exercice suivant.
Par arrêt du 13 Juillet 2005, Magistrat Jaime Alberto Arrubla Paucar, la Chambre Civile de
la Cour de Cassation a confirmée la reconnaissance de la correction monétaire à l’assureur
exerçant le recours subrogatoire.
De même, par arrêt du 22 Novembre 2005, Magistrat Carlos Ignacio Jaramillo Jaramillo, la
Cour de Cassation réaffirme sa position.
La doctrine avait également analysée cette question.
En ce sens, le chapitre de Manizales de l’Association Colombienne de Droit des Assurances
ACOLDESE dans son article sur la subrogation de 1992 a déclaré: «Nous avons abordé le
sujet proposé en notant que c’est une dette de valeur et que dans l’avis du chapitre la valeur
à laquelle peut prétendre l’assureur dans l’exercice de la subrogation légale n’est pas stricte
et littéralement le montant du paiement, mais la somme restituée dans sa valeur actuelle. »(83)
Également, M. Fabio Hernán López Blanco, concernant la subrogation de l´assureur, avait
signalé:
«L´interprétation selon laquelle il n´a le droit de demander qu´une somme identique à celle
qu´il a payé, constitue une distorsion de l’essence de l’institution, dans les économies
inflationnistes comme la colombienne et contribue, contrairement au but de la subrogation,
à l’enrichissement illicite par l’auteur du dommage qui paiera une somme réduite par la
dévaluation après les nombreuses années qui sont employées dans les procès de cette
nature, ce qui, d´autre part, constitue une incitation à parrainer le litige. »(84)
« En réalité, le sens littéral de l’expression comprend toute l’étendue, pas plus ni moins.
Donc, il faut reconnaître implicitement les éléments qui permettent que le montant payé soit
complet, quand un remboursement doit être fait. Le sens grammatical impose
nécessairement que la possibilité d´une vision qui corresponde au sens, à la finalité et à la
nature de la figure juridique ne soit pas exclue.
La cotisation ou prix du contrat, correspond en effet à la contrepartie reçue par l’assureur
pour assumer le risque proposé par le preneur d’assurance pendant la durée de la police.
Indépendamment si pendant la durée du contrat il est nécessaire ou non d´effectuer le
paiement de l’indemnité, le comprendre différemment et attribuer au débiteur les
prérogatives accordées dans les décisions rendues avant la jurisprudence objet de cet étude,
a pour conséquence une véritable contradiction sur ces arrêts.
Les positions concernant l’analyse de l’expression «jusqu´au montant de l´indemnité », sur
le fondement de l’article 27 du Code civil colombien, ne s´identifient pas avec les concepts
sur la cotisation, en tant que rétribution ou compensation par l’assureur, qui paie un sinistre
et est subrogé. »(85)
La reconnaissance de la correction monétaire à l’assureur qui agit en action de subrogation,
constitue une motivation pour les autres responsables de concilier leurs différences et éviter
les litiges qui s’étendent dans le temps et rendent plus rigoureuse la valeur actualisée de la
monnaie.
Quant à la juridiction administrative, il convient de noter que, le Conseil d’Etat, en date du
Décembre 19 août 1988, avait déjà reconnu la correction monétaire:
« Le législateur, en fixant le précepte de l’article 1096 du Code de Commerce, a cherché
simplement que l’assureur subrogé les droits de l´assuré, reçoive de l’auteur du dommage, la
même valeur déboursée pour couvrir le sinistre, en aucune façon il a prétendu l’enrichir ou
l’appauvrir. En conséquence, l’expression «jusqu´à concurrence de l´indemnité » utilisée
dans le précepte, doit être interprétée dans le sens que le responsable du sinistre couvert par
l´entreprise d’assurance a l’obligation de compensation non-formelle ou nominale des
chiffres, mais substantielle de valeur, de contenu de réparation réel et effectif. »(86)
Dix-sept ans avant la reconnaissance de la dépréciation en faveur de l’assureur par la Cour
de Cassation, le Conseil d’Etat l´avait accepté. En Colombie à différence de ce qui arrive en
France, les juges administratifs ont tendance à établir des condamnations plus larges en
faveur des demandeurs de l´état.
81 Cour de Cassation, Chambre Civile, 13 octobre 1995, Magistrat Héctor Marín Naranjo.
82 Cour de Cassation, Chambre Civile, 18 mai 1995, Magistrat Carlos Ignacio Jaramillo J.
83 Ensayos Sobre Seguros, Homenaje al doctor J. Efrén Ossa G, Bogotá Colombia, 1992, La Subrogación del
Asegurador, Capítulo de Manizales.
84 López Blanco, Hernán Fabio; El contrato de seguro. Dupré Editores, Cuarta Edición, Bogotá, 2004. p.251.
85 Foro de Derecho Mercantil Número 11, article “La subrogación del asegurador y la corrección monetaria”;
Editorial Legis, avril 2006. Auteurs: José del Carmen Bernal Calvo et Patricia Jaramillo Salgado, p. 100.