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PARAGRAPHE 1 – UNE EVOLUTION JURISPRUDENTIELLE NECESSAIRE

A – UNE EVOLUTION RECLAMEE PAR LA DOCTRINE

Selon les anciennes dispositions du code des assurances, le droit de révocation ne laissait aucune place à la représentation. Le tuteur, faute de capacité, ne pouvait donc pas révoquer le bénéficiaire pour le compte de la personne protégée. Dès lors, ce dernier était irrévocable quand bien même il n’avait pas accepté le bénéfice.
L’insécurité juridique générée par cette procédure est à l’origine de solutions jurisprudentielles très critiquées par la doctrine.

Tel est le cas de l’arrêt rendu par première chambre civile de la cour de cassation le 31 mars 1992 . Nous étudierons cet arrêt révélateur des conséquences regrettables de la jurisprudence antérieure. En l’espèce, un homme (Monsieur F.M) avait désigné ses voisins comme étant ses légataires universels avant de souscrire huit contrats d’assurance vie au profit d’un courtier. Six mois plus tard l’homme était placé sous tutelle. Désireux de changer de bénéficiaire, il avait demandé à son tuteur de procéder à l’établissement d’avenants et d’attribuer le bénéfice à ses voisins. Dans ce but, Monsieur F.M avait envoyé de nombreux courriers à son assureur. A son décès, un litige est né entre les voisins et l’agent, tous estimant que le bénéfice leur revenait.
La première chambre civile de la cour de cassation a tranché en faveur du courtier.
Tout d’abord, elle cite l’article L132-9 du code des assurances et déclare nulle la révocation exercée par le tuteur ; le droit de révocation étant purement personnel.
Ensuite, à l’appui de l’article 502 du code civil, elle déclare sans aucune valeur juridique la volonté de Monsieur F.M de changer de bénéficiaire. En effet sa demande avait été faite après le jugement d’ouverture de la tutelle et était ainsi nulle de droit.

Monsieur Massip critique cette affaire qui selon lui “laisse un sentiment de malaise”. L’auteur se demande si la solution donnée par la cour de cassation est bien “conforme à l’équité”.
En effet, selon un large courant doctrinal, il est regrettable que la cour de cassation n’ait pas appliqué un raisonnement analogique en se basant sur le régime applicable au testament plutôt qu’au contrat vie. En effet, l’article 504 alinéa 2 du code civil prévoit que le testament, fait avant l’ouverture d’une tutelle, demeure valable sauf changement de volonté du testateur après le jugement ouvrant cette dernière. Cela, d’autant plus que la volonté de Monsieur F.M de substituer ses voisins au courtier avait été très clairement exprimée et à diverses reprises.
Pour les auteurs, il s’agit d’une application trop littérale des textes.
Certains, comme Monsieur Massip, affirment qu’il fallait voir en l’article 504 du code civil la “représentation d’une catégorie plus vaste, celle des actes unilatéraux de caractère éminemment personnel”. Dès lors, le contrat vie, qui repose également sur une intention libérale, aurait pu y être associé.
Les juges auraient alors considéré que la cause qui avait poussée Monsieur F.M à désigner le courtier comme bénéficiaire du contrat vie avait disparu. L’attribution du bénéfice à ce dernier n’aurait pas été valable et la volonté du défunt aurait été respectée.

D’autres auteurs, tel que Madame Coudoing , ont affirmé que le but premier de l’article L132-9 alinéa 1 du code des assurances avait été détourné. En effet, la volonté du législateur était de protéger l’incapable et éviter une révocation discrétionnaire opérée par le tuteur; non de rendre le bénéficiaire irrévocable, bafouant ainsi la volonté du défunt.
En outre, il s’agissait là d’un droit à double vitesse, laissant de coté la personne sous tutelle.

La position de la doctrine était unanime. Tous attendaient une mise à jour du droit à la lumière de notre société actuelle qui compte de plus en plus d’incapables.

B – UNE EVOLUTION INITIEE PAR LA JURISPRUDENCE

C’est un arrêt de la deuxième chambre civile de la cour de cassation en date du 15 mars 2007 qui a entamé l’évolution jurisprudentielle tant attendue. En l’espèce, il s’agissait d’un homme qui avait souscrit trois contrats vie et avait désigné comme bénéficiaires ses neveux et nièces avant d’être placé sous tutelle trois ans plus tard. Le tuteur, par la suite, avait sollicité le juge des tutelles pour que l’assureur procède à un avenant et que l’épouse soit désignée comme le premier bénéficiaire. Au décès de Monsieur X les capitaux furent versés à la veuve. Les neveux et nièces portèrent l’affaire en justice.
Selon ces derniers, et au regard du droit positif, la faculté de révocation était un droit personnel qui, même avec l’autorisation du juge, ne pouvait être exercé par le tuteur.

La cour de cassation, tout comme la cour d’appel a considéré, qu’avec l’autorisation du juge des tutelles, “le souscripteur étant dans l’impossibilité absolue d’agir”, le tuteur pouvait valablement révoquer les bénéficiaires initiaux et procéder à un avenant pour le compte de l’incapable. Ainsi, la désignation de Madame X comme nouveau bénéficiaire des contrats vie était tout à fait valable.

Ce revirement de jurisprudence a mis un terme à l’irrévocabilité du bénéficiaire d’un contrat souscrit par une personne placée sous tutelle.
Une solution nouvelle est ainsi consacrée à la lumière de la réforme non encore en vigueur lors du jugement.

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