La convention par laquelle s’opère la délégation de la maîtrise d’ouvrage constitue un marché public de service (précisément un marché de prestation intellectuelle, au sens de l’article 42 du CMP). Ainsi, une analyse des conditions d’obtention et de gestion de tels marchés par les prestataires privés, au nombre desquels figure l’AGETIP-BENIN, permettra de relever les forces et insuffisances qui caractérisent cette branche de la commande publique au Bénin. Pour ce faire, nous distinguerons les activités préalables à l’exécution de la convention de maîtrise d’ouvrage déléguée (A) de celles qui entrent dans la phase proprement dite de ladite exécution (B).
A- LES ACTIVITÉS PRÉALABLES A L’EXECUTION DES CONVENTIONS DE MAÎTRISE D’OUVRAGE DÉLÉGUÉE
Avant la réforme opérée dans le secteur de la maîtrise d’ouvrage déléguée en 2001, les conventions de maîtrise d’ouvrage déléguée étaient conclues suite à une négociation directe (gré à gré) ou sur recommandation des bailleurs de fonds, dans les accords de financement. Dans un tel contexte, il était plus facile à l’agence d’obtenir des contrats, dans la mesure où elle détenait ses missions, en grande partie, des arrangements retenus dans les accords de financement. Avec l’instauration de la concurrence, il est devenu nécessaire que l’agence fasse la preuve de son efficacité et soit dans une recherche permanente de marchés, afin d’être sélectionnée par les maîtres d’ouvrage (1). C’est seulement suite à sa sélection en tant que maître d’ouvrage délégué, que des concertations sont possibles avec le maître d’ouvrage, afin d’élaborer la convention de MOD et de la soumettre à signature, approbation et enregistrement (2).
1. La recherche de marchés et la soumission aux procédures de sélection des MOD
Cette étape regroupe les activités menées pour inciter les maîtres d’ouvrage et les bailleurs de fonds à opter pour la délégation d’une part et la soumission aux procédures de sélection des maîtres d’ouvrage délégués, d’autre part.
– L’incitation à la délégation
Les activités entrant dans le cadre de l’incitation des partenaires à la délégation consistent essentiellement en des démarches effectuées auprès des maîtres d’ouvrage publics et des bailleurs de fonds, pour décider les uns à recourir à la MOD en vue de l’exécution des projets publics et les autres à exiger une telle délégation dans les accords de financement. Ces activités, qui font intervenir principalement le Directeur Général et le Conseiller Marketing, Développement et Communication, sont d’autant plus importantes que l’environnement de la MOD est devenu concurrentiel. L’AGETIP-BENIN œuvre ainsi à obtenir la confiance de ses clients potentiels. Les résultats produits par de telles activités sont assez perceptibles, dans la mesure où une variation des sources de financement se note, comme le montrent les schémas suivants :
Sources des deux schémas : Prospectus de présentation de l’AGETIP-BENIN.
L’analyse de ces deux graphiques permet de se rendre compte que :
– si la part de financement du bailleur traditionnel que constitue la Banque Mondiale est en nette diminution (15% à 8,37%), de même que celles du FED, du Japon, du PNUD, de l’USAID et de l’AFD, d’autres bailleurs, dont la part de financement ne s’était pas nettement distinguée, se sont affichés : la BAD, la BID, la France et la Suisse ;
– la part de financement du Budget National a plutôt progressé (26% à 30,96%), preuve que les maîtres d’ouvrage publics font de plus en plus recours à la délégation directe, c’est-à-dire sans interférence des bailleurs de fonds.
Toutefois, le constat évoqué au dernier alinéa ne traduit pas pour autant une situation reluisante. En effet, avec la réforme effectuée dans le domaine de la maîtrise d’ouvrage déléguée, caractérisée par la libéralisation du secteur et la professionnalisation de cette activité, on était en droit de s’attendre à une augmentation sensible du volume de la commande, afin d’intéresser la flopée d’agences de MOD qui se sont installées postérieurement à la réforme. Les différents entretiens obtenus dans le cadre de nos pré-enquêtes nous ont permis de réaliser qu’environ 10% seulement des infrastructures publiques sont réalisées par le mode de maîtrise d’ouvrage déléguée. Cette situation explique la tendance de la plupart des agences de MOD, dont l’AGETIP-BENIN, à diversifier leurs activités, au point de s’intéresser à des secteurs autres que la maîtrise d’ouvrage déléguée. C’est dans un tel cadre que s’enregistrent les activités menées par l’antenne de l’AGETIP-BENIN installée au Congo Brazzaville (assistance à la maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, etc.). On en déduit donc l’insuffisance du volume de la commande pour intéresser toutes les agences de maîtrise d’ouvrage déléguée.
Par ailleurs, on peut dire des démarches effectuées auprès des maîtres d’ouvrage et des bailleurs de fonds pour les inciter à la délégation qu’elles comportent le risque de fausser le jeu de la concurrence. En effet, on peut se douter qu’au cours des missions de prospection, il ne sera pas seulement recommandé aux maîtres d’ouvrage et bailleurs de fonds d’opter pour la délégation, mais surtout de préférer l’AGETIP-BENIN, dont on présentera les solides références techniques et financières : ce qui peut influencer la décision.
On peut alors noter la tendance à fausser le jeu de la concurrence, à travers les missions de prospection.
– La soumission aux procédures de sélection des MOD
Avant d’aborder les activités menées par l’agence dans le cadre de la préparation et du suivi de sa soumission aux procédures de sélection des MOD, nous procéderons à un examen du cadre juridique de la passation des conventions de MOD.
Le cadre juridique de la passation des conventions de MOD : le contrat de maîtrise d’ouvrage déléguée étant un marché public, sa passation est soumise au respect des principes fondamentaux de la commande publique que sont la liberté d’accès, le traitement équitable des soumissionnaires, et la transparence des procédures. En l’état actuel du droit, c’est l’article 11 du décret n°2003-096 du 20 mars 2003 portant conditions d’exercice des missions de MOD et de conduite d’opération qui s’applique. Ce texte prévoit trois modes de passation des conventions de MOD, en fonction du montant de l’enveloppe financière prévisionnelle, à savoir : le gré à gré pour un montant inférieur ou égal à deux cent millions (200 000 000) F CFA ; la consultation restreinte pour un montant compris entre deux cent millions (200 000 000) F CFA et un milliard (1 000 000 000) F CFA et l’appel d’offres ouvert pour un montant supérieur à un milliard (1 000 000 000) F CFA.
Ces dispositions particulières fixées par le décret mentionné ci-dessus semblent inappropriées, dans la mesure où elles dérogent au principe cardinal des marchés publics qui fait de l’appel d’offres ouvert la règle et induit la nécessité de justifier le recours à toute autre procédure, non pas par des montants ou seuils, mais par des circonstances bien précises d’ores et déjà envisagées par les textes (urgence, complexité de l’opération, monopole, etc.). Du reste, le mode de « consultation restreinte » prévu par ce texte ne correspond à aucune des procédures figurant au code des marchés publics, et ne saurait être confondu avec l’appel d’offres restreint qui suppose une phase de présélection. Il faudrait se référer à la loi n°2001-07 du 09 mai 2001 portant maîtrise d’ouvrage publique qui dispose que « le choix du maître d’ouvrage délégué est assujetti aux dispositions du code des marchés publics ». De même, le CMP reconnaît la convention de MOD comme un marché de prestations intellectuelles soumis aux procédures spécifiques à cette catégorie de marchés.
La préparation et le suivi des dossiers de soumission de l’AGETIP-BENIN : lorsque l’AGETIP-BENIN a connaissance du lancement d’une procédure de sélection d’un maître d’ouvrage délégué, le Directeur Technique instruit l’un des chefs projets de prendre en charge la préparation du dossier de soumission. Celui-ci examine les pièces administratives à fournir dans le cadre de la consultation et s’occupe de les rassembler. Les choix d’ordre technique (références techniques à présenter dans la soumission, méthodologie à adopter, etc.) et d’ordre financier (taux d’honoraire à proposer, par exemple) sont alors effectués. Les pièces et informations figurant dans le dossier de soumission sont organisées en deux rubriques : offre technique et offre financière. Dans l’offre technique, on retrouve notamment, outre les pièces administratives (attestation d’impôt, attestation de non faillite, certificat d’inscription au registre du commerce, attestation de la caisse nationale de sécurité sociale, agrément autorisant l’agence à exercer la MOD) :
– une brève description de l’agence et un aperçu de l’expérience récemment acquise dans le cadre d’une mission de nature analogue ;
– les références techniques de l’agence, en termes d’expérience générale (projets exécutés) et d’expériences spécifiques (description par projet de nature analogue déjà exécuté, des prestations fournies ou services rendus par le personnel) ;
– la méthodologie proposée par l’agence pour mettre en œuvre la mission (différentes phases d’exécution et choix des approches méthodologiques pouvant permettre d’assurer la qualité des ouvrages, avec une minimisation des coûts et une certaine implication des bénéficiaires) ;
– un planning détaillé d’exécution de la mission de maîtrise d’ouvrage déléguée, à travers une répartition par mois et par semaine, des activités à mener, s’étalant sur toute la durée prévue du projet. Le schéma est, en général, le suivant :
S = Semaine
– la composition de l’équipe à mettre en place par l’agence et les attributions respectives de ses membres, ainsi que leurs Curricula Vitae ;
– les moyens matériels et logistiques dont dispose l’agence ;
– les formulaires A et B du code d’éthique et de moralisation des marchés publics, dûment remplis.
Dans l’offre financière, on retrouve généralement :
– une lettre de soumission signée par le Directeur Général de l’agence, dans laquelle celui-ci accepte les conditions figurant dans le dossier de consultation et engage l’agence à réaliser, si son offre est retenue, les missions qui font l’objet de la consultation, dans un délai précis ;
– une caution de soumission ou cautionnement provisoire, à travers laquelle une banque s’engage à être garante de l’agence, jusqu’à concurrence d’un montant correspondant à une fourchette de pourcentages (2 à 3% par exemple) du montant Toutes Taxes Comprises (TTC) de la soumission ; il n’est pas difficile pour l’agence d’obtenir cette caution car les banques lui font extrêmement confiance en raison de son patrimoine en matériel, immobilier et produits financiers ;
– la proposition des honoraires : les honoraires représentent la rémunération du maître d’ouvrage délégué. En effet, le MOD ne réalise aucun bénéfice sur les travaux : il perçoit du maître d’ouvrage, les sommes correspondant exactement aux prestations des bureaux d’études et des entrepreneurs. La contrepartie des services du MOD représente ses honoraires, dont le montant est déterminé selon un pourcentage du montant total des sommes à payer aux différents prestataires (4 – 5,5%, aux termes de l’article 15 du décret n°2003-096 du 20 mars 2003 ci-dessus mentionné). Ainsi, la précision, dans son offre financière, du taux d’honoraires que désire percevoir l’agence, est très déterminante, dans la mesure où ce taux représente le prix de l’offre : moins il est élevé, plus le candidat a de chances de gagner le marché, à condition d’avoir une offre technique recevable.
Une fois le dossier de soumission monté par la Direction Technique, il est remis au Directeur Général pour signature, multiplié en cinq (5) exemplaires et l’original est déposé, sous pli fermé, au lieu indiqué par le maître d’ouvrage pour recevoir les offres. Le chef projet en charge du dossier assiste à l’ouverture des plis.
L’analyse des offres et l’attribution du marché sont faites au sein de la Cellule de passation des marchés publics du maître de l’ouvrage, sur la base des critères et modes d’évaluation retenus dans le dossier de consultation. Elle consiste, en général, à attribuer à chaque soumissionnaire une note technique, une note financière et une note générale (somme des deux premières notes préalablement pondérées de coefficients initialement précisés dans le dossier de consultation). Ensuite, il est fait notification aux candidats, dont l’AGETIPBENIN, du choix ou du rejet de leur offre. A cette étape, deux observations s’imposent :
– d’une part, les conditions dans lesquelles sont attribués les marchés de maîtrise d’ouvrage déléguée ne présentent pas toujours la transparence requise pour être reconnues comme fiables. Dans de récents rapports d’activité de l’AGETIP-BENIN (2008, 2009), il a été indiqué que l’agence avait perdu certains marchés, dans des conditions qui font douter qu’un traitement équitable ait pu être réservé à tous les concurrents. En effet, les rapports ont fait état de l’insertion, dans les dossiers de consultation, de critères sélectifs ou orientés vers un concurrent déterminé. Nous noterons donc qu’il subsiste des suspicions d’orientation des critères d’attribution des marchés de MOD.
– d’autre part, la concurrence entre les agences de MOD n’est encore que théorique. En effet, deux agences de MOD (AGETUR et AGETIP-BENIN) détiennent des références techniques et capacités financières largement au-dessus de celles des autres et se partagent la quasi-totalité des marchés. Les autres agences (celles qui se sont installées après l’ouverture à la concurrence) ne trouvent que très peu à faire dans le domaine de la MOD, et vivent essentiellement des autres activités qu’elles mènent (maîtrise d’œuvre, promotion immobilière, etc.). Or, si ces agences n’obtiennent pas de marchés, elles ne pourront acquérir aucune expérience dans le domaine.
Cet état de choses, quoique favorable à l’AGETUR et à l’AGETIP-BENIN, du moins pour l’instant, constitue une entrave à la viabilité de l’activité de maîtrise d’ouvrage déléguée, qui ne saurait se développer en étant la chasse gardée de deux agences. Il faut craindre que la situation de quasi-monopole soit à terme préjudiciable à la pérennité de l’exercice de la maîtrise d’ouvrage déléguée par l’AGETUR et l’AGETIP-BENIN. Du reste, l’actuel Président Directeur Général de l’AGETUR et le Directeur Général de l’AGETIP-BENIN ont reconnu, dans un entretien qu’ils ont accordé à des consultants, en vue de l’établissement d’un rapport sur la MOD en Afrique(2), que la concurrence n’était pas effective et qu’il fallait œuvrer à ce qu’elle soit réellement instaurée. Nous retiendrons donc comme menace à l’exercice de la MOD par l’AGETIP-BENIN, l’ineffectivité de la concurrence, préjudiciable à la viabilité de l’activité de MOD.
Lorsqu’au terme d’une consultation et après la validation du processus par la Direction Nationale de Contrôle des Marchés Publics, l’AGETIP-Bénin est sélectionnée en tant que maître d’ouvrage délégué, une convention de MOD est élaborée pour définir l’étendue des missions déléguées et régir les rapports avec le maître d’ouvrage.
2. L’élaboration, la signature, l’approbation, et l’enregistrement de la convention de maîtrise d’ouvrage déléguée
La loi n°2001-07 portant MOP dispose en son article 2, alinéa 3, que la délégation de la maîtrise d’ouvrage publique « fait l’objet d’une convention de maîtrise d’ouvrage déléguée ». La nature contractuelle de la délégation impose que les conditions dans lesquelles s’exerceront les missions du maître d’ouvrage délégué soient convenues entre les parties. C’est ainsi que des négociations ont lieu entre les représentants de l’agence et ceux du maître d’ouvrage, afin d’amender et d’adopter le projet de convention. La rédaction de la convention se fait sur la base de l’offre de l’agence, éventuellement corrigée lors de son évaluation. Après son élaboration, la convention est multipliée en vingt exemplaires et signée par le Directeur Général de l’AGETIP-BENIN, avant que ne soit entamé le processus de son approbation et de sa signature par les organes et autorités compétentes. Les conditions d’élaboration, d’approbation et de signature, par l’administration, des conventions de MOD, représentent une réelle entrave au démarrage et à la bonne exécution des projets. Ce problème très récurrent a souvent été signalé dans les rapports d’activités de l’agence, sans grand succès. Nombre de conventions et d’avenants aux conventions sont en cours d’élaboration et/ou de signature et bloquent l’avancement des projets : ce qui constitue un facteur de perte de temps et de surcoûts. Le tableau suivant donne une idée du nombre de conventions de MOD et d’avenants auxquels l’AGETIP-BENIN est partie et dont le processus d’élaboration ou de signature n’est pas encore achevé au 30 septembre 2010.
Tableau n°1 : Point des conventions de MOD de l’AGETIP-BENIN au 30 septembre 2010
Source : Etat d’avancement des projets au 30 septembre 2010, Rapport trimestriel d’activités de la Direction Technique (juillet à septembre).
A la lecture du tableau, on se rend compte qu’en dehors des projets clôturés ou qui sont sur le point de l’être (lesquels ont démarré, pour la plupart, avant l’année 2010), un nombre important de projets sont encore non opérationnels. Cette situation est préjudiciable, non seulement pour l’agence, mais aussi pour le maître d’ouvrage. En effet, du côté du maître d’ouvrage, le temps nécessaire à l’élaboration du programme de l’opération et à la détermination de son enveloppe financière, auquel s’ajoute le processus de sélection du MOD et la lente phase d’élaboration et de signature de la convention font que le projet ou programme ne devient opérationnel que vers la fin de l’année budgétaire pour le compte de laquelle il est inscrit : ce qui explique, en partie, les problèmes de financement des opérations. Quant à l’agence, pour éviter les conséquences d’un démarrage tardif du projet, elle est parfois amenée à préfinancer l’opération, contrevenant ainsi à deux principes fondamentaux, à savoir d’une part l’obligation de financement de l’opération incombant au maître d’ouvrage (et interdisant que le MOD soit amené à assurer le financement, même s’il compte récupérer les sommes investies) et d’autre part l’interdiction de la signature d’un marché public à titre de régularisation (la convention n’étant pas signée, le MOD n’est juridiquement pas fondé à poser des actes dans le cadre d’un mandat inexistant). On notera donc comme difficulté le retard dans l’opérationnalisation des projets et programmes en maîtrise d’ouvrage déléguée.
Une fois la convention élaborée, signée et approuvée, elle est soumise par l’agence à la formalité d’enregistrement à la Direction des Domaines, de l’Enregistrement et du Timbre, de la Direction Générale des Impôts et des Domaines. Après cette étape, et conformément à ce qui est retenu dans la convention, une avance, représentant un pourcentage du montant délégué (montant total prévisionnel des études et travaux, sans intégrer les honoraires), est mise à la disposition de l’agence, de même qu’une tranche de ses honoraires, afin qu’elle puisse engager les premières dépenses. Aussi les activités prévues dans le cadre du mandat peuvent-elles être entamées.
B- LES ACTIVITÉS MENÉES DANS LE CADRE DE LA CONVENTION DE MAÎTRISE D’OUVRAGE DÉLÉGUÉE
En se substituant au maître d’ouvrage, l’objectif fondamental de l’AGETIP-BENIN est d’exercer efficacement, pour le compte de son mandant, d’importantes prérogatives de la maîtrise d’ouvrage, en faisant réaliser les travaux publics par des entreprises, dans le cadre de marchés de travaux. Nous distinguerons, dans cette partie, les activités mises en œuvre par l’agence avant l’exécution des travaux (1) de celles qui sont menées au cours et à la fin de ladite exécution (2).
1. Les activités menées avant l’exécution des travaux
Dans la mesure où le maître d’ouvrage délégué a reçu le pouvoir d’agir au nom et pour le compte du maître d’ouvrage, il exerce pleinement les attributions de celui-ci. Ainsi, son mandat l’autorise à se faire assister par un (ou des) maître(s) d’œuvre, qu’il aura sélectionné(s) lui-même, et à conduire la procédure de passation et d’attribution des marchés à un (ou des) entrepreneur(s). Aussi le Directeur Technique instruit-il le chef projet responsable de l’opération, dès lors que la convention est signée et l’avance versée, de préparer les dossiers de consultation des maîtres d’œuvre.
– La sélection des maîtres d’œuvre3 (cabinets et bureaux de contrôle)
L’exécution d’un marché de travaux fait intervenir des maîtres d’œuvre ayant pour mission d’apporter, à travers des études préalables, une réponse architecturale, technique et économique aux besoins du maître d’ouvrage exprimés dans son programme et d’assurer le contrôle de l’exécution des travaux.
Après avoir défini les coûts objectifs, délais et termes de références des études techniques, le chef projet désigné par le Directeur Technique procède au lancement de la consultation, sur la base du dossier de consultation qu’il a mis au point. Toutefois, en application des dispositions du MPT, la consultation n’est pas ouverte à tous les bureaux et cabinets. En effet, la sélection des maîtres d’œuvre par l’agence se fait sur la base d’une liste restreinte d’au moins trois et d’au plus six consultants ayant fait l’objet de qualification et de classement. Cette liste est obtenue en sélectionnant, à partir du répertoire de l’agence, les consultants qu’elle a qualifiés et classés. La qualification et le classement sont effectués, à la suite de campagnes d’information périodiques (trimestrielles, semestrielles ou annuelles), à travers lesquelles il est demandé aux prestataires, dans le cadre d’un avis d’appel d’enregistrement ou de candidature publié par voie de presse, de solliciter une attestation de qualification ou de classement renouvelable tous les deux ans. Les décisions de qualification et de classement sont prises par la commission des marchés, sur la base de l’examen des statuts, des capacités financières, des expériences du postulant ainsi que des compétences de son personnel permanent. Ainsi, dès lors qu’il y a une consultation, l’agence sélectionnera un maximum de six consultants, qui seront approuvés par le maître d’ouvrage, auxquels sera exclusivement adressé le dossier de consultation. Le processus aboutissant à la constitution de la liste restreinte, qui du reste échappe au code des marchés publics, nous semble limiter quelque peu la concurrence, dans la mesure où la qualification et le classement des candidats se font, non pas par rapport à leur capacité à exécuter une mission précise, mais en raison de considérations d’ordre général qui pourraient les défavoriser par rapport à d’autres. Ainsi, un cabinet pourrait avoir des références générales plutôt réduites et ne pas être qualifié par l’agence, alors que dans un domaine précis, il possède des ratios plus importants. Par ailleurs, la limitation à six du nombre de consultants auxquels doivent être adressés les dossiers de consultation, nous semble infondée et d’ailleurs, le MPT ne donne aucune justification de ce choix. Cependant, dans le cadre de prestations complexes, le MPT de l’agence prévoit qu’une liste restreinte internationale soit élaborée, à la suite d’un appel à l’expression d’intérêt.
Les procédures de sélection des maîtres d’œuvre, par l’AGETIP-BENIN, sont au nombre de cinq, à savoir : la sélection fondée sur la qualité technique et le coût (procédure la plus fréquente), la sélection basée sur le moindre coût, la sélection basée sur un budget déterminé (choix du soumissionnaire ayant la meilleure note technique, si son offre financière est inférieure ou égale au budget fixé par le MO), la sélection fondée sur la qualification du consultant, et l’entente directe, utilisée de manière exceptionnelle. Ces procédures s’inspirent largement de celles des bailleurs de fonds (Banque Mondiale, Banque Africaine de Développement, etc.). Dès lors qu’il est sélectionné et son contrat signé, le maître d’œuvre est amené à réaliser les études techniques nécessaires à la réalisation des travaux, et ce, sous le contrôle de la Direction Technique de l’agence.
– Le contrôle et l’approbation des études
Les études réalisées par le maître d’œuvre se concrétisent par l’élaboration de documents indispensables à la réalisation des travaux. Il s’agit de :
– l’avant-projet sommaire (APS) qui constitue une étude chiffrée des solutions techniques possibles pour la réalisation du projet ;
– l’avant-projet détaillé (APD) qui fait une description des dispositions techniques du projet incluant les plannings prévisionnels de toutes les phases de réalisation des travaux ;
– le projet d’exécution des ouvrages (PEO) qui détaille notamment les spécifications techniques, les plans d’exécution et le programme d’encadrement de l’exécution des travaux ;
– le dossier d’appel d’offres (DAO) qui contient, outre les éléments du PEO, les pièces administratives que devront fournir les entreprises, dans le cadre de la passation des marchés de travaux.
Le chef projet chargé de l’opération examine et formule des avis écrits sur ces différents documents et les soumet à un comité technique mis en place par l’agence. A cette phase, il importe de relever que le profil du Directeur Technique et des chefs projets (ingénieurs expérimentés en génie civil) permet d’assurer la qualité des études et partant, du DAO destiné aux soumissionnaires. Par ailleurs, le maître d’ouvrage est associé à l’approbation des études, car, dans les cas où il n’a pas de représentant au comité technique de l’agence, son avis est tout de même requis pour la validation des études.
– La passation des marchés de travaux
Les seuils et procédures internes de passation Conformément au MPT de l’agence, il existe quatre niveaux de marchés auxquels correspondent des procédures déterminées de consultation. Il s’agit des marchés :
– de niveau 1 (micro-réalisations), dont le montant est inférieur ou égal à dix millions (10 000 000) F CFA ;
– de niveau 2 (marchés de petite taille), dont le montant est compris entre dix millions (10 000 000) F CFA et trente-cinq millions (35 000 000) F CFA ; la procédure appliquée à ces deux catégories de marchés est celle de la consultation restreinte. Ainsi, l’agence fait appel à un certain nombre d’entreprises qu’elle a déjà qualifiées (selon le processus décrit pour la sélection des maîtres d’œuvre) et recueille seulement auprès d’elles des devis et non pas d’offre technique. L’entreprise ayant proposé le prix le plus bas est retenue, sous réserve de la simple vérification que sa situation lui permet toujours de réaliser les travaux.
– de niveau 3 (marchés de taille moyenne), dont le montant est supérieur à trente-cinq millions (35 000 000) F CFA et inférieur à trois cent cinquante millions (350 000 000) F CFA ; la procédure utilisée pour passer ces marchés est l’appel d’offres national ouvert à toutes les entreprises éligibles au financement du bailleur de fonds (en cas de financement extérieur) et disposant des compétences requises ; l’attribution est faite à l’entreprise la moins-disante, sous réserve de la vérification de sa capacité et de ses compétences ;
– de niveau 4 (marchés de taille internationale), dont le montant est supérieur à trois cent cinquante millions (350 000 000) F CFA et qui font l’objet de la procédure d’appel d’offres international, sur la base des directives et documents-types des bailleurs de fonds.
La procédure de gré à gré n’est utilisée qu’avec l’autorisation du maître d’ouvrage et du bailleur de fonds, et dans des cas extraordinaires (urgence, difficulté particulière, absence prouvée de compétition) rendant inutile ou contre-productive, la mise en concurrence.
A ce stade, nous pouvons relever les mêmes observations au sujet de la consultation restreinte, dont les conditions nous semblent limiter la concurrence.
Toutefois, nos observations nous ont permis de relever que la procédure la plus utilisée par l’agence, pour la passation des marchés de travaux, est l’appel d’offres ouvert. En conséquence, on enregistre un faible recours à la procédure de gré à gré.
Les activités liées à la passation des marchés de travaux
Après le lancement de la consultation, les offres sont reçues et le chef projet chargé de l’opération organise la séance publique d’ouverture des plis, qui se déroule en présence des membres de la commission des marchés (voir supra) et des représentants des soumissionnaires. Aucune décision de rejet n’est prononcée à cette étape, qui est sanctionnée par un procès-verbal.
L’évaluation des offres se fait dans un délai maximum de quinze (15) jours, par le comité d’analyse (voir supra), qui propose une décision d’attribution à l’entreprise ayant proposé le prix le plus bas et dont l’offre technique est jugée conforme pour l’essentiel au DAO. Un rapport d’analyse est dressé et soumis à la commission des marchés, qui l’approuve. Dès lors, le chef projet prépare une demande d’avis de non-objection, à adresser au maître d’ouvrage, pour requérir son approbation. C’est seulement après cette non-objection que notification pourra être faite aux soumissionnaires, du sort réservé à leurs offres.
On note souvent, à ce stade, une célérité dans le processus de passation des marchés, compromise dans bien des cas par le défaut de promptitude des maîtres d’ouvrage dans la formulation de leur avis de non objection.
En dépit de l’importance que requièrent toutes ces activités de passation des marchés publics, il est à déplorer l’absence de spécialiste en gestion des marchés publics au sein de l’agence, même si cette carence est relativement comblée par la participation du Directeur Technique et des chefs projets à des modules de formation dans ce domaine.
En définitive, on peut aisément constater que l’agence ne soumet pas ses activités liées à la passation des marchés aux contrôles a priori exercés par les structures nationales compétentes. Elle continue, de ce fait, de déroger au code des marchés publics, en violation de l’article 9 de la loi portant MOP qui dispose que « le maître d’ouvrage délégué est soumis aux mêmes règles que celles applicables au maître d’ouvrage public » et que « la réglementation des marchés publics lui est applicable dans les mêmes conditions ».
A la suite de la notification de l’attribution au titulaire, le marché est établi et signé par ce dernier et le Directeur Général de l’agence. La remise de site est effectuée et le début des travaux est matérialisé par un ordre de service.
2. Les activités menées au cours et après la fin de l’exécution des travaux
La phase d’exécution est marquée par la supervision et le contrôle des travaux et prestations par l’agence, le suivi administratif et financier de l’exécution et la production de rapports périodiques. A la fin des travaux, les réceptions sont organisées. L’achèvement de la mission du MOD est matérialisé par la délivrance d’un quitus.
– La supervision et le contrôle des travaux et prestations
Au cours de l’exécution des travaux, la Direction Technique de l’agence assure le suivi et le contrôle des travaux, à travers des missions de supervision, organisées de façon régulière (au moins une fois par mois) et inopinée. Ces actions, organisées par le chef projet, permettent également de s’assurer du contrôle effectué par le maître d’œuvre et de le renforcer. Il résulte de telles visites des chantiers, un meilleur encadrement des entreprises. Pourtant, il n’est pas rare que ces actions échouent, face à des entreprises mal organisées, techniquement défaillantes, et des bureaux de contrôle peu efficaces, dont le personnel envoyé sur le terrain n’est pas conforme aux termes de référence. En tout état de cause, l’application rigoureuse des pénalités par l’agence permet, dans certains cas, de remédier à de telles défaillances. Enfin, les visites de chantiers tendent à se raréfier, dans un contexte où le chef projet est occupé à gérer les tâches d’ordre administratif de plusieurs projets à la fois, et où le blocage de la plupart des projets (qui traînent pendant des années) en élève le coût.
– Le suivi administratif et financier de l’exécution
La Direction Technique tient et met à jour la documentation nécessaire au suivi de l’exécution des travaux. Il s’agit notamment de documents relatifs aux conventions, projets et marchés, en ce qui concerne leur gestion financière et leurs éventuelles modifications (avenants, par exemple). Entrent dans ce cadre, la tenue d’un plan de classement des conventions, projets et marchés, ainsi que les données introduites et actualisées dans le logiciel « perfecto », qui a été particulièrement adapté aux activités relevant de la maîtrise d’ouvrage déléguée ; dans ces deux registres, on retrouve des informations liées à la gestion des marchés publics de chaque projet : procédure de sélection, paiement et modalités de remboursement de l’avance de démarrage, caution de garantie, factures et décomptes, réceptions, etc.
Au fur et à mesure de l’avancement des travaux, les entreprises introduisent des factures et décomptes, qui doivent être traités par le chef projet concerné, dans un délai maximum d’une semaine, validés par le Directeur Technique et transmis à la Direction Financière et Comptable, pour prise en compte. On note ainsi une célérité dans la procédure de paiement des décomptes. Cependant, le paiement des entreprises dépend du sort réservé aux appels de fonds adressés aux MO. En effet, la convention de MOD prévoit que les crédits nécessaires à la réalisation des études et travaux seront versés à l’agence, par tranches, soit, en général : trente pour cent (30%) dès la signature du contrat ; puis quarante pour cent (40%) et enfin trente pour cent (30%), après appel de fonds justifiant respectivement les soixante-dix pour cent (70%) du montant perçu à la (aux) tranche(s) précédente(s).
Ainsi, les appels de fonds adressés aux maîtres d’ouvrage ne sont pas traités à temps, ce qui entraîne des problèmes de trésorerie pour l’agence, qui se trouve incapable de payer à temps les entreprises. Ce problème très récurrent est à l’origine du blocage d’un nombre important de projets.
– Les rapports d’activités aux maîtres d’ouvrage
La convention de MOD prévoit la périodicité et le contenu des rapports d’activité que l’agence doit produire et adresser au maître d’ouvrage.
L’élaboration et la transmission de ces rapports sont assurées par le chef projet concerné, au plus tard le dixième jour de chaque mois, suivant la périodicité retenue. Dans la pratique, ces rapports ne sont pas régulièrement envoyés au maître d’ouvrage concerné.
– Les réceptions provisoire et définitive des travaux
Les réceptions provisoire et définitive sont organisées par l’agence, notamment par le chef projet ayant conduit les activités liées au projet. La réception provisoire fait suite à une pré-réception, au cours de laquelle on s’assure du parfait achèvement des travaux. La réception se fait en présence d’un représentant de chacune des structures suivantes : la Direction Nationale de Contrôle des Marchés Publics, le Contrôle Financier, la Direction Générale du Budget, la Présidence (Cellule de contrôle des projets publics), la Caisse Autonome d’Amortissement (en cas de financement extérieur) et l’agence. A l’issue de cette opération, les participants formulent d’éventuelles réserves que l’entreprise s’engage à lever. Il existe, pour la plupart des projets, un gap important entre la date prévue de la réception provisoire et la date à laquelle elle a effectivement lieu. Ceci démontre que, malgré le souci de célérité qui gouverne le recours à la MOD, l’agence n’est pas à l’abri des retards d’exécution des marchés de travaux.
Un an après la réception provisoire, s’organise, dans les mêmes conditions, la réception définitive des travaux. Cette réception est parfois organisée de manière tardive.
– L’achèvement de la mission et la délivrance du quitus
La mission de l’agence s’achève par la délivrance, à sa demande, d’un quitus, après la réception définitive, la mise à disposition de l’ouvrage, l’expiration du délai de garantie de parfait achèvement, la transmission des dossiers complets de l’opération et l’établissement d’un bilan général et définitif accepté par le maître d’ouvrage.
L’état des lieux de l’exercice de la maîtrise d’ouvrage déléguée par l’AGETIP-BENIN, auquel nous avons procédé, a permis de mettre en exergue les observations qui s’en dégagent. Il en résulte également la problématique de l’amélioration des conditions de délégation de la maîtrise d’ouvrage publique au Bénin, dont l’importance pour l’efficacité de la commande publique mérite d’être soulignée.
2 Annexes au rapport intitulé : « La délégation de la maîtrise d’ouvrage en Afrique en 2007, Bilan, enjeux et perspectives », Christian Diou, Michel Henry, Babaly Deme.
3 Voir définition dans le glossaire de l’étude.