L’ampleur de la menace terroriste au sahel dicte une stratégie commune entre les pays du champ (A) à côté d’une aide internationale nécessaire (B) pour briser le cycle de la violence et éviter l’enracinement de l’insécurité.
A- De la nécessité d’une vision commune entre les différents acteurs de la région
Le renforcement de la coopération régionale à travers une réelle volonté de répartition des rôles (1) et la fin des divergences entre Etats riverains permettraient de dissiper des stratégies qui, pour le moment, ne convergent pas (2).
1- Le renforcement de la coopération régionale
L’évolution des menaces qui pèsent sur la sécurité et la stabilité des pays africains met en exergue la nécessité de faire évoluer les moyens mis en œuvre par les Etats, les Organisations Régionales ainsi que la Communauté Internationale vers une stratégie commune. La mise en commun de moyens humains, militaires et de renseignement est primordiale pour lutter plus efficacement contre les menaces de déstabilisation(410). La coopération à tous les niveaux devrait être l’axe essentiel à toute démarche visant à prévenir et à éradiquer l’instabilité qui règne au Sahel et au Sahara. Les approches individuelles ou partielles, répondant à des intérêts nationaux ont démontré leur limite. Malgré le nombre considérable de dispositifs économiques, législatifs, militaires, policiers, régionaux et internationaux, mis en place pour le Maghreb et l’Afrique sahélienne et Occidentale par les africains eux-mêmes, l’UE, l’OTAN et les USA(411), les actions pour lutter contre la criminalité organisée et le terrorisme restent dispersées et atomisées en fonction d’objectifs partiels et sectoriels, et selon les priorités et les intérêts particuliers des Etats ou groupement d’Etats.
En outre, la multiplication des organisations régionales et sous-régionales et la variété des accords bilatéraux et multilatéraux, en conduisant à une certaine confusion, ont dilué les vrais enjeux de sécurité et dispersé les efforts. « L’absence de plan d’action contre le terrorisme au niveau sous-régional entrave les efforts collectifs menés pour faire face à la menace terroriste » concluait ainsi l’enquête sur la mise en œuvre par les Etats membres de l’ONU de la résolution 1373 (2001) du Conseil de Sécurité évoquant la situation en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale(412). La coopération au niveau des pays de la CEDEAO en matière de lutte contre le terrorisme est assez embryonnaire et peu institutionnalisée dans sa forme collective.
Quant à la coopération au niveau des Etats du Maghreb, elle reste morte depuis. L’UMA n’a pas pu sortir de la léthargie dans laquelle elle se trouve depuis une quinzaine d’années.
Participer à des dispositifs régionaux non coordonnés dont les domaines d’action sont multiples, ne suffit pas à combattre les flux et les activités criminelles car le propre des flux est d’avoir des effets sur des espaces qui transcendent les territoires nationaux. Leur fluidité, leur mobilité, leur capacité d’adaptation rapide, font que les flux ne connaissent que des espaces déterritorialisés. L’intégration régionale réduirait les risques de menace sécuritaire. Aussi, pour être plus efficace, la lutte contre le crime organisé, y compris contre le terrorisme, ne peut plus se concevoir à partir de catégories telles que l’intangibilité des frontières, la souveraineté, ou les rivalités pour le leadership régional ; elle doit au contraire s’articuler autour de domaine d’applications transversales et sur des aires régionales intégrées soumises aux mêmes problématiques et aux mêmes menaces, hors du prisme purement national. L’engagement d’une action concertée et coordonnée au plan régional doit permettre aux pays riverains de la bande sahélienne d’organiser de manière rationnelle et efficace, la lutte contre les groupes terroristes et criminels qui ont choisi le sahel comme leur nouveau sanctuaire. La sécurité de cet océan sahélien ne saurait comme en mer, que relever d’un effort concerté des riverains, notamment dans le partage de renseignement, et d’une perception commune des menaces afin de dissiper des stratégies, qui pour le moment, ne convergent pas. Bien au contraire, elles se croisent, voire se neutralisent, au nom des calculs étroits(413).
2- La fin des ambiguïtés entre Etats riverains du sahel
Pour empêcher AQMI de continuer à consolider sa présence au sahel, il va falloir mettre fin aux divergences d’approches, au conflit de leadership et aux incidents politico-diplomatiques entre Etats du champ. Les Etats du sahel ont pris des mesures pour faire face à AQMI mais ne sont en général pas parvenus à mettre au point une stratégie consensuelle pour lutter contre ces groupes de mieux en mieux organisés et établis. Certains leaders au sahel ont hésité à reconnaître la menace qui prend de l’ampleur. Certaines initiatives ont vu le jour, mais certains défis et désaccords qui en résultent se conjuguent à des déséquilibres de puissance qui déterminent la manière dont chaque partie appréhende la menace. Le Mali est historiquement considérée comme le maillon faible de la lutte contre AQMI, et désigné comme tel par tous ses voisins. Un des principaux reproches formulés à son encontre serait qu’il aurait délibérément choisi de préserver le pays utile, c’est-à-dire le Sud, où sont concentrées les ressources majeures, comme le coton, par exemple, au détriment d’un Nord trop grand, méconnu et peuplé, entre autres de Touareg réputés hostiles au pouvoir de Bamako.
L’Algérie pour sa part semble réticente à l’égard de tout soutien étranger extérieur au continent, qu’il considère comme prétexte pour la mise en place de bases militaires sur son territoire par des puissances étrangères. En outre, les doutes de l’Algérie quant à l’assistance étrangère ont limité le flux des ressources qui permettaient de mener des opérations de surveillance dans les vastes zones non gouvernées du sahel qui servent d’abri à AQMI. Pour garantir une gestion moins crispée et plus sereine de l’espace sahélien, la fin des dissensions entre les Etats du sahel est nécessaire et indispensable pour répondre à la problématique de l’insécurité, notamment de la drogue, du terrorisme et du banditisme transfrontalier, dans toute sa complexité. « Aujourd’hui, l’introspection est de mise : il faut être lucide sur l’aveuglement quant à la dégradation de la situation gouvernemental, institutionnelle et sécuritaire du Mali tant de la part des premiers concernés, les maliens eux-mêmes et leurs voisins »(414) que de la part des partenaires extrarégionaux, au premier rang desquels les voisins européens ; il faut admettre que l’on n’a pas vu, que l’on n’a pas su ou peut être pas voulu voir certains signes alarmants(415). Il faut dès lors tirer des leçons sur les erreurs commises et les manquements passés et s’interrogés sur les orientations des politiques futures(416).
La coopération dans le domaine de la sécurité est donc un enjeu majeur pour l’avenir de la région et il apparaît que la menace d’AQMI a, peu à peu, provoqué une prise de conscience et des comportements nouveaux parmi les acteurs régionaux. Ces actions locales, sont, cependant, loin d’être suffisantes et doivent être soutenues par la communauté internationale, laquelle mène déjà plusieurs initiatives en ce sens.
B- Un soutien international incontournable
Les faiblesses du processus de coopération dans le domaine de la sécurité engagé par les Etats du sahel rendent nécessaire l’appui de la Communauté Internationale, en particulier des pays disposant des moyens et d’une expérience suffisante en la matière. A ce titre, une implication croissante des puissances extérieures (1) ainsi que la mise en place d’un partenariat Europe-Afrique contre le terrorisme international est nécessaire pour rétablir la paix et la sécurité au sahel (2).
1- Une implication croissante des puissances extérieures
Pour être véritablement effective et efficace, en fonction précisément des causes et facteurs contribuant à l’émergence et au développement du terrorisme, la lutte contre le terrorisme au sahel doit faire intervenir des acteurs extérieurs. L’appui des puissances extérieures dotées d’une capacité sophistiqué dans le domaine du contreterrorisme permettrait de mutualiser les efforts pour lutter plus efficacement contre les menaces terroristes et les activités criminelles.
Pour empêcher AQMI et les différents groupes criminels de consolider leur présence au sahel, l’assistance internationale est indispensable dans l’ensemble de la région. Si les efforts antiterroristes des Etats du sahel ont manqué de cohérence, c’est parce qu’ils n’ont jamais été bien coordonnés. Cette situation floue a permis à AQMI de s’enraciner dans la zone sahélienne et de saper les initiatives locales, régionales pour rétablir la confiance dans cette partie du continent.
Théoriquement, un ensemble de partenaires extérieures au sahel apporte des réponses à la menace grandissante que constitue le terrorisme dans la région. La France, les Etats-Unis, l’UE ainsi que d’autres donateurs offrent une assistance, des capacités de communication et de formation nécessaires à la restructuration et à l’amélioration des forces de sécurité et des sources de revenu au sahel. Un grand nombre de rançons payées à AQMI viendrait de pays européens, dont au moins 12 millions d’euros versés par l’Espagne, l’Allemagne et la Suisse en 2009 et 2010(417). C’est la raison pour laquelle les pays du sahel ne sauraient décider seuls de la réponse face à AQMI. Une étroite coordination avec d’autres Etats du continent et au-delà est essentielle pour comprendre et contrecarrer la stratégie sahélienne d’AQMI. Cependant, les moyens mis en œuvre restent relativement faibles au regard de la détresse des populations locales et de la fragilité institutionnelle des Etats. L’approche sécuritaire a été globalement reconnue comme n’ayant eu que peu d’effet et ayant même été contre productive, conduisant à l’exacerbation des tensions déjà existantes. C’est pourquoi les partenaires extérieurs des Etats du sahel doivent prendre acte de cette réalité et collaborer plus étroitement en y renforçant des initiatives ou en procédant à des améliorations pour éviter que des groupes terroristes et criminels ne s’y installent davantage. Le secteur de la sécurité doit certes être réajusté et amélioré pour répondre aux attaques et cibler les unités et bases d’AQMI, mais les Etats concernés doivent en parallèle protéger les moyens de subsistance de leurs populations et créer des opportunités économiques pour maintenir l’écart qui existe entre les communautés sahéliennes autochtones et les groupes terroristes salafistes qu’AQMI tente vivement de combler. A l’image de la lutte contre Al-Qaïda en Afghanistan et en Irak, un appui extérieur, voire une solidarité internationale semble donc indéniable et essentielle pour la survie de la région sahélienne. Il faudra réunir beaucoup d’atouts et de bonnes volontés pour éviter que le sahel ne sombre.
2- La mise en place d’un partenariat Europe-Afrique contre le terrorisme international
Depuis plus de 30 ans, les Etats africains et l’UE œuvrent ensemble au développement de nouveaux modèlent de responsabilisation mutuelle dans le cadre de leurs relations. De Yaoundé à Cotonou, l’UE et l’Afrique, à travers la signature de traités internationaux, se sont engagés dans des accords communs de coopération et de partenariat. Même si le constat qui en découle révèle des tendances négatives dans cette relation entre l’UE et l’Afrique, aujourd’hui, l’un des principaux défis concerne la lutte contre le terrorisme international. L’intensité croissante des instabilités et l’imbrication entre violences, terrorismes et trafics, appellent à l’élaboration de politiques intégrant une vision commune face à une menace commune. La diffusion des dynamiques à l’œuvre dépasse désormais l’espace sahel. L’Europe et l’Afrique, avec comme cordon ombilical la Méditerranée, ont des liens d’interdépendance extrêmement forts. En ce sens, ce qui se passe dans cette zone affecte directement le continent européen.
Le terrorisme dans le sahel est mondial et non régional. A cet effet, l’entraide entre les pays africains et les pays européens est indéniable pour trouver une réponse adéquate au terrorisme internationale. Les méthodes de lutte contre le terrorisme doivent être proactives, communes compte tenu de l’évolution de la menace. Il ne s’agit pas ici, de se laisser aller à de grandes envolées sur un avenir « eurafricains » fragile, abstrait, même illusoire, comme si l’Afrique, dans la mondialisation, ne pouvait exister qu’en s’arrimant à l’Europe(418) ; mais de proposer une vision, un plan stratégique et d’évaluer la pertinence face à une insécurité qui ne cesse de progresser à grand pas au sahel et qui peut d’une manière ou d’une autre avoir des répercussions sur le vieux continent. A titre d’exemple, la France peut être comme le premier pays européen victime de l’impact de l’insécurité dans le sahel. Avec les sept touristes capturés au Cameroun, au total quinze français sont désormais otages au sahel(419). Et il n’est pas exclu que des ramifications entre groupes terroristes puissent existés entre ceux installés en Afrique et d’autres basés en Europe ou que des cellules d’activités liés à AQMI puissent être mis en place en s’appuyant sur des extrémistes européens convertis. Ce qui pourrait à terme constitué une menace pour l’Europe.
La situation dans le sahel, tombé aux mains de groupes islamistes, n’est pas qu’une affaire africaine, voire franco-africaine. Pour Jean Yves LE DRIAN(420), « on ne peut pas laisser s’installer un sanctuaire terroriste majeur à nos portes, à 1200 km de la rive Sud de la Méditerranée ». Par ailleurs, les entreprises européennes installées au sahel ne sont pas épargnées de la menace terroriste. La prise d’otages sur le site gazier de Tiguentourine, près de la localité d’In Amenas (Sud-est de l’Algérie), est un incident sécuritaire majeur pour les compagnies pétrolières européennes présentes au sahel et en Afrique de l’Ouest. Alors que les réserves prouvées en hydrocarbures ne cessent de s’accroître dans la région, qualifiée en 2011 « de nouvel eldorado » par le directeur Afrique du Nord de Total(421). Cette prise d’otages rappelle la menace sérieuse qui pèse sur les industriels du secteur présents dans la zone(422). Dès lors, une approche intégrée entre l’Europe et l’Afrique contenant des défis et questions ainsi que les réponses est importante pour anticiper la menace terroriste et limiter le risque d’enlèvement dans les pays touchés par la criminalité et le terrorisme. A terme, il en va de l’efficacité des moyens de l’anticipation et de la prévention pour lutter contre la propagation de l’extrémisme religieux.
410 Intervention de M. Ali BOJJI, Ambassadeur de sa Majesté le Roi du Maroc au Gabon, « le Sahel-Sahara : danger des espaces de non droit », 4e édition de la Conférence Internationale « Marrakech Security Forum », 25 et 26 janvier 2013, p. 3.
411 Voir la liste en annexe de l’Institut de Recherches Stratégiques de l’Ecole Militaire (IRSEM).
412 Enquête sur la mise en œuvre par les Etats membres de l’ONU de la résolution 1373 (2001) du Conseil de Sécurité S/2011/463, 1er septembre 2011, para 63, p. 22.
413 Mehdi TAJE, « La réalité de la menace d’AQMI à l’aune des révolutions démocratiques au Maghreb », Géostratégiques n° 32, 3e Trimestre 2011, p. 293.
414 Propos tenus par un participant africain lors du séminaire d’Abuja organisé par la Friedrich Ebert Stiftung et approuvé par d’autres participants africains.
415 Bérangère ROUPPERT, « Les Etats Sahéliens et leurs partenaires extrarégionaux : le cas de l’Union Européenne en particulier », Note d’Analyse du GRIP, le 06 décembre 2012, p. 7.
416 Bérangère ROUPPERT, ibid.
417 Michael PETRON, “Germany and Switzerland paid ransom for kidnapped Canadian diplomats”, Maclean’s, 29 avril 2009. Voir également: ‘’Spain paid ransom to free hostages held by Al-Qaeda North Africa’’.
418 Afrique et Europe : néocolonialisme ou partenariat ?, Actes du Colloque de la Fondation Gabriel Péri, 24-26 janvier 2008, p. 11.
419 « Sept touristes capturés au Cameroun ; au total 15 otages français au sahel », www.ouestfrance.frlignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/enligne/2013/02/19/sahel-7-nouveaux-otagesfrançais-ils-ont-été-capturés-au-cam-html.
420 Yves LE DRIAN est l’actuel Ministre de la Défense Française.
421 Elisabeth Studer, « Quand le pétrole et le Qatar s’invitent au Mali et au Sahel », www.leblogdelafinance.com, 10 juin 2012.
422 Arthur MESSEMACKERS, « In Amenas : Quelles conséquences pour la sûreté des groupes pétroliers au sahel ? », CF2R, Tribune Libre N° 26, 03 mars 2013, p. 1.
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