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PARAGRAPHE I : VALORISER LES MOYENS DE LA CONNAISSANCE ET DE L’ANTICIPATION

Nous avons besoin d’une véritable stratégie parce que la menace terroriste n’a cessé de changer. Elle exige, si nous voulons garder toujours un temps d’avance sur les groupes terroristes, que nous adoptions en permanence nos outils et notre dispositif. Voilà pourquoi le renseignement (A) et la prévention nous paraissent impératifs pour anticiper et lutter contre le risque terroriste (B).

A- Le renseignement

Pour Jacques BAUD, le renseignement est « l’ensemble des activités visant à rechercher et exploiter des informations au profit d’un Etat et de ses forces armées. Il est exécuté aux niveaux stratégique, opératif et tactique, dans les domaines les plus variés »(444). Il s’agit de s’informer sur les intentions d’« autrui », pour disposer de l’autonomie et de la connaissance nécessaire à la prise de décision, et donc, à l’action(445). De ce fait, la maîtrise de l’information (1) accompagnée de la mise sur pied d’un cadre d’échange entre acteurs concernés par le terrorisme pourrait permettre une gestion efficace de la menace terroriste au sahel et même au-delà (2).

1- La maîtrise de l’information

La lutte contre le terrorisme au sahel se gagnera d’abord par une posture de vigilance au quotidien. Déjouer concrètement les risques d’attentats implique une mobilisation de tous les instants et une culture de la « détection précoce ». La notion de « maîtrise de l’information » recouvre la capacité, tant pour les décideurs civils et militaires, que pour les agents de l’Etat déployés sur le terrain, d’accéder en temps utile à l’information et en faire un usage opérationnel efficace. L’objectif est de garantir, en temps normal comme en temps de crise, que tous les acteurs de la sécurité nationale, régionale et même internationale puissent partager les informations pertinentes, et que les décideurs soient en mesure de formuler et de transmettre au bon moment les ordres nécessaires. Il est indispensable que les Etats du sahel puissent échangés des informations dans le cadre de la lutte contre les groupes terroristes implantés au sahel.

Mais, l’efficacité de cette action suppose au préalable une bonne connaissance des enjeux de la lutte antiterroriste par les agents de sécurité intérieure. La surveillance des frontières et le contact avec les populations sahéliennes sont des moyens privilégiés du recueil d’information.

Cela leur permettra de repérer des indices liés à une possible activité terroriste et les rendra capables de sélectionner les informations pertinentes à transmettre aux services spécialisés, mieux à même d’opérer certains recoupements et de donner la suite administrative ou judiciaire adéquate.

Les membres des groupes et filières terroristes, qu’ils soient idéologues, recruteurs, logisticiens ou qu’ils préparent directement des attentats, connaissent tout d’abord une trajectoire personnelle qui les amène vers le terrorisme. Par ailleurs, la clandestinité de leur activité ne les dispense pas d’une intégration plus ou moins grande dans la vie courante, ni même des formalités administratives qu’elle implique. Certains sont même étroitement insérés dans des activités sociales. D’autres, à l’inverse, rompent subitement avec leur milieu habituel sous l’influence d’un endoctrinement. Enfin, un acte de terrorisme est précédé par une préparation minutieuse, de l’organisation aux repérages en passant par la confection des moyens de l’attentat, toutes phases durant lesquelles, l’action clandestine peut se trahir aux yeux d’un témoin averti. Dans tous les cas de figure, il convient de disposer, d’une part, de réseaux de communication interopérables sécurisés et, d’autre part, de systèmes efficaces de partage et de traitement de l’information (aide à la décision, présentation de l’information, transmission de l’information…), réduisant les temps de traitement et renforçant le travail en réseau. Ces réseaux doivent aussi permettre les échanges avec les partenaires extérieurs et alliés. La menace terroriste n’est pas seulement imprévisible, elle est transnationale. A l’heure où le terrorisme ne connaît plus de frontière aussi bien concernant ses cibles que ses implantations, la collecte du renseignement, mais surtout la coopération entre les services concernés, que ce soit à l’intérieur de l’Etat ou entre les Etats eux-mêmes, est devenue une absolue nécessité et une priorité.

Dans ce contexte, le renseignement, la transmission de l’information est l’élément absolument central pour supprimer l’effet de surprise sur lequel le terrorisme, cet adversaire invisible, s’appuie pour frapper et nuire.

2- La nécessité d’un cadre d’échange entre acteurs concernés par le terrorisme Afin de lutter efficacement au niveau national, régional et international contre les graves menaces transversales que sont le terrorisme, la piraterie, la criminalité organisée, le trafic de drogue et de personnes qui compromettent la paix et la stabilité, la nécessité d’un cadre échange entre acteurs chargés de la lutte contre le terrorisme de part et d’autre des frontières sahéliennes et à l’intérieur de ces dernières est indispensable. L’action en matière de lutte contre le terrorisme doit intégrée une approche anticipative et réactive multidimensionnelle.

Ainsi, les pays du champ doivent développés un partenariat durable basé sur le dialogue, la coopération et l’échange d’expertise pour faire face aux différents phénomènes liés à la sécurité au sahel et à la lutte contre le terrorisme. L’engagement d’une action concertée et coordonnée au plan régional doit permettre aux pays riverains de la bande sahélienne d’organiser de manière rationnelle et efficace la lutte contre les groupes terroristes et criminels qui pullulent la région. Les réseaux terroristes s’emploient à renforcer leur implantation en exploitant les problématiques sécuritaires propres à l’espace sahélien. C’est pourquoi il est fondamental de privilégier une stratégie commune, des analyses de sécurité communs à travers des plateformes d’échange, de renseignement, d’information afin de ne pas dispersés les efforts. Les besoins en matière de lutte contre le terrorisme au sahel imposent qu’un développement des synergies soit érigé entre les pays de la zone sahélienne et les acteurs extérieures afin d’assurer une veille permanente pour déceler les risques terroristes. Cette coopération doit prendre la forme d’échanges d’informations opérationnelles, stratégiques et techniques et d’une recherche de coordination des activités. Il y a nécessité de prendre conscience de mieux articuler la dynamique entre sécurité intérieure et extérieure, en développant des outils de coopération internationale. De la même manière, le « printemps arabe » et ses conséquences géopolitiques offrent l’opportunité à la communauté de s’intéresser davantage aux phénomènes « crisogènes » nationaux et régionaux pour lutter contre l’expansion du terrorisme international. La problématique des loups solitaires au sahel doit être résolue pour que les chances d’une réponse effective soient trouvées pour réduire l’enracinement de l’insécurité au sahel.

Enfin, signalons que le développement d’équipes communes d’enquête pour contrer le terrorisme international est aussi une possibilité. Elle recouvre les échanges, la concertation entre spécialistes, experts sur l’évaluation de la menace, les législations antiterroristes et les pratiques judiciaires. Elle se traduit par la présence des personnes en charge de la sécurité d’un Etat en liaison à l’étranger afin de permettre une meilleure coopération opérationnelle avec les instances en charge de la lutte contre le terrorisme. La coopération judiciaire internationale devra aussi se traduire par le recours à des équipes communes d’enquêtes. De telles équipes, franco-espagnoles, ont déjà permis d’obtenir des résultats dans la lutte contre l’ETA(446). La possibilité de mettre en place des équipes opérationnelles du même type entre Etats du sahel, de l’UA ou des pays extérieurs à l’UA doit être recherchée par le biais de conventions bilatérales ad hoc. L’élaboration des ententes pour permettre des échanges de renseignement rapides entre les services et les pays et favorisée une culture axée sur le partage doivent permettre de prévenir l’apparition ou l’aggravation de menaces contre notre sécurité.

B- La prévention

La prévention consiste à agir pour éviter la naissance ou l’accentuation des menaces contre la sécurité d’un Etat. Pour être efficace, la stratégie de prévention doit s’appuyer sur un système de veille et d’alerte rapide (1) et sur une surveillance étroite des frontières (2).

1- La mise en place d’un système de veille et d’alerte rapide

L’élimination du terrorisme nécessite un engagement ferme ainsi qu’une action conjointe de la part des Etats du sahel à poursuivre les objectifs communs. Les pays du sahel devraient jouer un rôle de leadership en ce qui concerne les défis de la lutte contre le terrorisme et assumer la prise en charge des capacités à cet égard. Face aux multiples dangers qui guettent ces pays africains, il est utile qu’un système de veille et d’alerte précoce puisse voir le jour en matière de terrorisme. Le système de veille et d’alerte insérera son action dans une démarche coordonné entre les Etats sahéliens mais aussi avec les partenaires extérieurs. A ce titre, l’installation d’un centre de situation contre le terrorisme est importante pour permettre l’évaluation de certaines zones nationales ou régionales de crise. Celui-ci devra être doté des moyens et d’une capacité à alerter conjointement les Etats dès les premiers signes d’une menace. Le système d’alerte rapide jouera ainsi le rôle de détecteur, d’analyse et de réaction permettant aux Etats de connaître les risques naturels majeurs et de développer leur prévention.

Pour répondre dans les quinze ans qui viennent, aux enjeux de sécurité de cette zone, une nouvelle approche plus concrète doit être mise en œuvre dans la lutte antiterroriste. Il s’agira de développer de véritables partenariats, de collaboration, grâce à des projets régionaux concrets qui concourent à la paix, la sécurité et la stabilité et à prendre des mesures collectives efficaces en vue d’éliminer les menaces qui pèsent sur la coopération, la paix et la stabilité régionale.

Cependant, il faut noter que l’architecture de paix et de sécurité de l’UA comporte un système de sécurité collective et d’alerte rapide(447), en vue de la mise en place d’une réaction rapide et efficace aux situations de conflit et de crise sur le continent. De même pour la CEDEAO, dont le Mécanisme de Sécurité a été complété par un Système d’Alerte Rapide pour la prévention des conflits structurés autour d’un centre d’observation et de suivi basé au siège de la CEDEAO, représenté et relayé sur le terrain à travers des bureaux implantés dans les quatre zones se répartissant la couverture de l’espace sécuritaire de la CEDEAO(448). Mais, ces systèmes dont celui de l’UA et de la CEDEAO ont échoué dans leur mission de prévention et de gestion des crises. La crise du Nord du Mali est un exemple tangible parmi tant d’autres de l’échec de ces deux mécanismes de sécurité. A cet effet, il semble opportun qu’un véritable système de sécurité puisse voir le jour en matière de terrorisme. Pour cela, les Etats du sahel doivent mettre sur pied une vraie politique de prévention qui exige un réel travail d’anticipation et de planification dont la finalité est d’annihiler toutes menaces de propagation du terrorisme.

Outre l’alerte précoce, les pays du sahel ont aussi intérêt à surveiller leurs frontières vastes et poreuses pour empêcher la circulation des terroristes et des marchands de la mort.

2- Le renforcement et l’accroissement de la surveillance des frontières

Le sahel et l’Afrique de l’Ouest sont incontestablement devenus une plaque tournante pour le trafic international et pour la circulation des mouvements terroristes. L’une des explications à ce dangereux phénomène, est que la région est moins risquée. AQMI évolue dans une région semblable, de par la taille, à un quadrilatère qui relierait Londres, Moscou, Odessa et Rome !

C’est là un terrain de jeu très commode pour les terroristes désireux d’échapper aux poursuites. Lorsqu’on visionne le film de l’intervention des forces françaises contre le convoi qui détenait Antoine DE LEOCOUR et Vincent DELORY, enlevé en janvier 2011 à Niamey par AQMI, il apparaît que des terroristes prennent la fuite sans être inquiétés. Les terroristes et les groupes mafieux semblent être les maîtres de cet immense désert devenu un supermarché à ciel ouvert où se déroule commerce des otages et trafics en tous genres. Traiter de la sécurité frontalière dans cette région est un problème mondial compte tenu des influences extérieures (drogues, armes et combattants) qui la pénètrent.

L’efficacité de la lutte contre le terrorisme doit prendre en compte la question de la sécurisation des frontières. Le contrôle des frontières au sahel est une nécessité pour réduire les activités des groupes terroristes et criminels dans la région. Cela doit s’accompagner d’une surveillance effective des autorités frontalières qui pour la plupart sont corrompues. L’Afrique est pour diverses raisons, « le foyer des Etats les plus faibles du monde, en termes de capacité à faire respecter l’autorité de la loi sur leur territoire »(449). En conséquence, le crime organisé peut déstabiliser les Etats en les gangrenant par la corruption, en s’accaparant des régions entières, en produisant de la violence et de l’insécurité chronique, et en étant une menace pour la population. Répandue à tous les échelons des sociétés, elle concerne aussi bien les élites proches du pouvoir, que les cadres et les fonctionnaires intermédiaires, les forces de sécurité et tout agent de l’Etat. A chaque palier, les acteurs prélèvent leur part de la rente, que celle-ci provienne du commerce de produits licites, de la contrebande de cigarettes, de l’exploitation ou du pillage des ressources naturelles, des gains du trafic de drogue ou d’armes, ou des flux humains clandestins(450).

Cela étant, sachant que les procédures qui facilitent les déplacements et les échanges culturels et économiques sont également mises à profit par les terroristes, les mesures visant à lutter contre le terrorisme devraient être aujourd’hui clairement liées à la gestion et à la régulation des mouvements transfrontaliers. Ainsi, la mise en place de systèmes intégrés de contrôle des passagers aux frontières, la délivrance de titres de voyage sécurisés, la promotion de l’échange d’information entre parties intéressées, la formation et le renforcement des capacités des autorités frontaliers en équipement, en système de surveillance (de patrouille, d’évaluation du renseignement) est important pour réduire la perméabilité des frontières des Etats du sahel. Ces mesures pourront permettre de renforcer les dispositifs de sécurité et d’immigration tout en facilitant la circulation transfrontalière des personnes. Il faut que les autorités compétentes mènent de concert les activités de contrôle nécessaires pour faire face aux risques que posent les frontières ouvertes.

Toutefois, la coopération et le renforcement juridique et judiciaire est inéluctable pour mieux coordonner les efforts et pour mieux lutter contre le terrorisme.

444 Jacques BAUD, Encyclopédie du Renseignement et des Services Secrets, Lavauzelle, 2002.
445 Romain FOLIARD, « Renseignement et lutte contre le terrorisme international : De la fin de la guerre froide jusqu’à nos jours », Institut Français d’Analyse Stratégique (IFAS), Université Paris 13, sous la direction de Stéphane Folcher (Université Paris 13/Ministère de l’intérieur), François Géré (Président de l’Institut Français d’Analyse Stratégique – IFAS), p. 7.
446 EUSKADI TA ASKATASUNA (ETA) pour « pays basque et liberté » en basque, est une organisation armée basque indépendantiste qui réclame l’indépendance du pays basque en Espagne.
447 Conformément à l’article 12 (1) du Protocole relatif à la création du Conseil de Paix et de Sécurité Africaine.
448 Intervention de Massaër DIALLO, « La Sécurité en Afrique de l’Ouest : Enjeu de gouvernance et développement », Réunion du Groupe d’Orientation des Politiques (GOP) du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO/OCDE), 25 et 26 janvier 2007 GTZ, Berlin, p. 4.
449 Rapport de l’ONUDC, Le Trafic de drogue comme menace à la sécurité en Afrique de l’Ouest, octobre 2008.
450 Laurence AIDA AMMOUR, « Flux, Réseaux et Circuits de la Criminalité organisée au Sahara-Sahel et en Afrique de l’Ouest », Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM), Paris, Cahiers du CEREM, Spécial Sahel, n° 12, décembre 2009, p. 17.

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