« Au plan économique, un déchet peut être défini comme une marchandise à prix négatif »(1),
c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’échange monétaire pour acquérir l’objet mais, au contraire, échange
monétaire pour se débarrasser de l’objet (le flux physique et le flux monétaire vont dans le même
sens). Cependant, il n’en a pas toujours été ainsi et chacun s’accorde à dire que le gaspillage est un
mal inhérent à nos présumées sociétés d’abondance(2). Ainsi, il nous semble essentiel de retracer la
genèse de la gestion des excreta, notamment urbains, d’étudier notre rapport aux ordures à travers le
temps et ainsi tenter de déconstruire notre lien actuel aux déchets afin de le saisir dans sa
singularité(3). Adopter une approche historique de la problématique de la gestion des déchets nous
permet de rendre plus intelligibles les changements qui se sont opérés depuis cette époque jusqu’à
l’avènement progressif de « l’ère du jetable » et de la société de consommation(4). En d’autres termes :
comment sommes-nous passés d’une réutilisation quasi-systématique des matières usagées – avec un
modèle de production en cycles fermés – à un abandon généralisé caractérisé par l’ouverture du
cycle des matières ?
1 BERTOLINI Gérard, Économie des déchets, Paris : Technip, 2005, p. 8
2 Sur ce point, voir Marshall Sahlins qui affirme que les seules sociétés d’abondance qui aient pu exister dans l’histoire
de l’Humanité sont les chasseurs-cueillieurs car ils ont beaucoup moins de besoins à satisfaire qu’un homme
occidental. SAHLINS Marshall, Âge de pierre, âge d’abondance, Paris : Gallimard, 1976, 415 p.
3 Dominique Lhuilier et Yann Cochin parlent de « construction sociale du problème de la gestion des déchets ».
LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op. cit., p. 13.
4 La notion de « société de consommation » est utilisée pour désigner une société au sein de laquelle les
consommateurs sont incités à consommer des biens et services de manière abondante. Elle est apparue dans les
années 1950-60, dans les ouvrages de l’économiste américain John Kenneth Galbraith (1908-2006) pour rendre
compte de l’émergence des critiques du mode de vie occidental.
Jean Baudrillard considère que, dans les sociétés occidentales, la consommation est un élément structurant des
relations sociales dans le sens où cette dernière n’est plus un moyen de satisfaire les besoins mais plutôt une fin qui
permet à l’individu de se différencier afin d’exister socialement. BAUDRILLARD Jean, La société de
consommation, Paris : Folio essais, 2010 (1970), 318 p.