Il existe donc en germe un véritable travail de construction théorique, appuyé sur la promotion de la criminologie, et rhétorique, construit sur la notion de pluridisciplinarité, pour créer un nouveau « coeur de métier » pour les CPIP et proposer, en moins de deux ans, une identité professionnelle nouvelle pour un groupe professionnel qui a 53 ans d’histoire.
Ce travail de construction, au sein de l’Administration Pénitentiaire, accompagne, en notre sens, des évolutions latentes du travail social où « la logique du devoir remplace la logique de la dette. L’assistance n’est plus le geste de la société, incarnée par l’État, vers le « citoyen malheureux », selon la belle expression de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, désormais « l’individu », « l’usager », doivent apporter la preuve de leur désir et de leur volonté de s’insérer dans la société » [AUTES, 2004, p289]. Pour les CPIP, cela se traduit par la « subordination de la notion d’insertion qui reposait sur une responsabilité collective à la notion de récidive qui repose sur une responsabilité individuelle » [RAZAC, 2011].
La notion de traitement pénal, induite par les programmes de prévention de la récidive, « flirte de plus en plus avec des prises en charge de type sanitaire ou thérapeutique, d’un autre côté le développement social, nom contemporain de l’action collective, se rapproche de plus en plus du traitement sécuritaire de la question sociale » [AUTES, 2004, p291].
Pour les CPIP, cela se traduit par « une individualisation basée sur les risques portés par les individus dans une perspective de traitement plutôt que sur leur demande dans une perspective d’accès aux droits (en particulier aux protections collectives) » [RAZAC, 2011].
Le secteur sanitaire et social voit son mandat modifié et « réduit au strict minimum. Conséquence de la procéduralisation du droit et des mesures, le travail social se résume à du traitement de dossiers et à la gestion de dispositifs. Une logique de construction de l’offre domine sur une logique de réponse à la demande » [AUTES, 2004, p292].
Peut-on dire que la référence à la criminologie participe d’une telle « construction de l’offre » pour l’Administration pénitentiaire ? Comment interpréter ces déplacements des sphères d’intervention des CPIP, des assistant(e)s sociales et des surveillants pénitentiaires autour de la notion de dangerosité ?
De quelle manière renseignent-ils sur la relation entre Travail social et Administration pénitentiaire ? Comment la notion de dangerosité a-t-elle créé ces nouvelles catégories de pensées chez les acteurs de l’exécution des peines ?
Ces questions ouvrent des perspectives intellectuelles qui compléteraient opportunément les constats décrits dans notre étude. Il s’agirait d’inscrire notre propos dans les champs théoriques de la communication institutionnelle et de la sociologie de l’Action Publique afin de prolonger notre travail dans une visée explicative complémentaire, et ce, en explorant de quelle manière s’est opéré le processus de construction rhétorique autour de la promotion, en interne, de la criminologie. Comment s’est déroulée l’abandon de la terminologie « travailleurs sociaux de l’Administration pénitentiaire » entre la première mention d’expertise en criminologie, dans le décret du 6 mai 2005 créant les DIP, et la circulaire de mars 2008 ? Dans quelle mesure peut-on dire que l’invisibilité du groupe professionnel des CPIP est un facteur essentiel qui est partie prenante de cette évolution très rapide du mandat des CPIP ?
Autant de questions qui permettent d’ouvrir ce travail de recherche à de nouveaux champs de réflexion, suivant, par là, les transformations d’un métier en lien direct avec l’évolution du Système Pénitentiaire en particulier .mais peut être aussi avec certaines rationalités traversant le secteur sanitaire et social dans son ensemble.