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Question 14 : Qu’est-ce que vos expériences affectives ont permis, dans votre vie de tous les jours ?

Cette question a été posée en dernier pour voir si l’expérience de la détention a fait évoluer leurs directions de sens ou leur affectivité à leur sortie.

Woody commence par parler de sa vision de la liberté, il dit : « (…) Ça vaut de l’or la liberté, c’est la première découverte en me promenant tout seul (…) ».
Il poursuit par son angoisse de voir du monde, en précisant que Noël a été une période difficile à digérer.

Il précise qu’il se contente de beaucoup moins de choses.

Pour finir, il se permet de nous raconter qu’après deux mois, il est allé à la rencontre d’une prostituée qui lui a apporté de l’affectivité selon lui. C’était son premier contact avec une femme depuis des années de détention. Heureusement pour lui, dit-il, elle a été compréhensive, « sympa » et gentille et il exprime qu’il a été très ému.

Il semblerait que Woody une fois la privation de liberté terminée ait pu vivre une expérience affective alors qu’en détention ses expériences apparaissent la plupart du temps comme sensibles.

Charles, s’est rendu compte qu’il voulait rester fidèle. Il explique qu’avant sa détention lorsqu’il avait un problème conjugal, il allait facilement voir ailleurs en précisant : « (…) Et avant, j’étais plus exigeant, ce que je ne pouvais pas avoir à la maison, je vais le chercher dehors (…). (…) c’est de savoir que je peux tenir aussi longtemps sans femme. (…). ». Maintenant, il ne veut plus aller trouver quelqu’un pour une nuit. Il se dit bien et que depuis sa sortie, il a tout changé. Il ajoute comme mentionné avant qu’il a eu un suivi thérapeutique. Il a utilisé ce dernier en pensant à sa sortie car il souhaitait être un exemple pour ses enfants.

Dans ce témoignage nous retenons le mot « tenir ». En prison, le côté affectif leur semble imposé et c’est pourquoi il faut « tenir » pour ne pas montrer ses sentiments et son affectivité en prison à une autre personne qu’à sa femme.

Doe dès le début de l’entretien dit que la prison n’est pas un hôtel, il le répétera plusieurs fois. Pour la dernière question, il raconte son besoin de renforcement de lui, s’être « endurci » pour les mauvais moments qu’il pourrait vivre dehors. Il dit : (…) « On a toujours des… pas des combats mais toujours moyen de… toujours une petite embrouille, on a toujours quelqu’un qui nous prend la tête, avec qui on s’prend la tête. J’pense ça m’a encore plus renforcé… les mauvais côtés de la prison, m’ont bien renforcé. ». Puis il ajoute « (…) Faut toujours qu’on se renforce un minimum pour pas s’faire bouffer. Parce qu’y’a toujours des imbéciles qui jouent qu’à ça, c’est de démolir les autres. Donc si on, si on se renforce, ils nous ont pas. ».

Il rajoute à la fin de notre rencontre qu’il doit vérifier sans arrêt s’il a toutes ses affaires sur lui en exprimant : « C’est p’t’être la méfiance de tout et de tout le monde. (…) ».

Doe pense qu’il a pris certaines habitudes en prison et cela l’énerve car il n’arrive pas à s’en débarrasser.

Il nous semble que Doe doit d’abord s’assurer du lien pour pouvoir exprimer ses besoins, ses émotions. Il semblerait qu’à cause de ses expériences sensibles vécues en prison, il ne se permet pas de se montrer tel qu’il est maintenant qu’il est sorti de prison.

Doe pense qu’il a muri pendant son incarcération, il raconte : « Ben, disons que j’ai énormément muri. J’suis rentré là-bas avec une mentalité d’ado et encore… J’suis ressorti avec une mentalité d’homme de mon âge. (…) Même une gardienne, elle-même qui m’a dit, p’t’être quoi, p’t’être au bout d’un an, elle m’a dit en ouvrant la porte, ben on s’est mis à parler avec la gardienne, elle m’a dit : « t’as bien changé toi ». En arrivant, t’étais un vrai con. ».

Dès le début de son récit, il dit qu’il faut montrer une certaine force aux autres détenus. Ce qu’il semble avoir fait tout au long de son incarcération en se retenant pour ne pas entrer dans des conflits, parce que plusieurs fois, il nous a dit qu’il n’avait pas un tempérament calme mais de « foncer dans le tas ».

Il apparait pour Doe que c’était bien de s’endurcir, de « tenir » en prison. Car à l’extérieur quand il existe des situations difficiles, il semble les gérer différemment. En même temps, il se dit être méfiant pour tout maintenant qu’il est dehors.

Cet exemple illustre ce qu’a décrit Maldiney : « C’est l’événement qui exige après coup d’être intégré dans une nouvelle configuration de possibles et non pas nous qui décidons librement de changer la tournure du monde. » (78) Doe a pris les « mauvais côtés de la prison » pour les utiliser en sa faveur à l’extérieur. En même temps, il est énervé de garder des habitudes de détenu.

En ce qui concerne Raphael, il y a eu une incidence dans sa relation avec les femmes.

Il pense qu’il a découvert une dépendance à la relation. Il dit s’être aperçu que si une relation se termine, ce n’est pas grave.

Il nous confie : « (…) Ça veut pas dire que je n’ai pas besoin mais je sais que je peux vivre sans, et donc euh…voilà…si ça doit se casser si j’ai une relation qui casse, je vais moins être à cran, comme on dit comme un drogué qui…je me dis bon ben voilà je vais retrouver quelqu’un d’autre, il faut attendre un laps de temps(…) ».

Puis il raconte ses premières sorties, la difficulté de contenir son corps. Il illustre son expérience avec l’histoire d’une fille rencontrée dans une discothèque et avec qui il danse et se rend compte qu’il n’arrive pas à se contrôler, il parle de son érection et se sent vraiment mal, il nomme cela la honte.

A une de ses sorties de prison, une femme lui a dit qu’elle le trouvait « cochon ». Quant à lui, il ne sait pas si c’est l’âge ou ses expériences de privation de liberté.

Il précise que lors de sa première libération il était plus facile de rencontrer quelqu’un. Il n’avait pas de problème à raconter son expérience carcérale car son acte avait été médiatisé. Maintenant, c’est plus difficile pour lui d’en parler avec une femme, il dit : « (…) Voilà les deux dernières fois je trouve que c’est trop, trop.

C’est ce qui… je veux pas dire qui m’angoisse mais quand je connais une fille je me demande ce que je vais bien pouvoir lui dire. Déjà, si elle me demande de découcher un soir de semaine, je ne peux pas, il faut que je m’arrange avec Monsieur Theler et le week-end c’est limite car je travaille encore le week-end. (…) Mais d’un autre côté, si je lui dis, elle va avoir peur de moi, direct. ». Plus loin, il se dit être dans l’insécurité et trouve que c’est un frein pour sa sexualité et son affectivité.

Quand Raphael dit : « ce n’est pas que je m’angoisse » est-ce que peut-être, nous ne nous trouvons pas face à la finitude d’Heidegger (paragraphe 4.2 page 28) ?

Son expression d’une angoisse fondamentale (une angoisse face à la mort) qui le place face au néant. Rappelons-le, le néant n’est pas considéré par Heidegger comme négatif mais plutôt comme un potentiel « d’Etre ». Raphael est probablement dans cette situation puisqu’il se trouve dans l’insécurité et se demande comment il va pouvoir raconter ses expériences carcérales aux personnes de sexe féminin.

Pour finir avec ce chapitre des questions suivies par un fil rouge, nous rappelons que nous avons vu les personnes interrogées avant les entretiens et que nous avions déjà pu aborder le sujet de l’affectivité et de la sexualité. Nous avons repris certaines questions qui étaient ressorties durant le repas et qui semblaient importantes car elles avaient déjà suscité un vif débat entre les personnes vivant en semi-liberté et nous.

78 Texte publié dans Les Lettres de la Société de Psychanalyse Freudienne, Questions d’espace et de temps, n° 20, 2008, p. 45-55. Dastur, F., Temps et espace dans la psychose selon Henri Maldiney. Récupéré le 2.03.2012. http://af.bibliotherapie.free.fr/Article%20F.Dastur.htm

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