La culture… ce qui a fait de l’homme autre chose
qu’un accident de l’univers
André Malraux
Observatoire du communautarisme*
Fondé par 3 anciens chevènementistes (Julien Landfried, Fréderic Beck et François Devoucoux du
Buysson) peu après l’élection présidentielle de 2002, en juillet 2003, ce site de presse se présente
comme : « un observatoire indépendant (notamment des groupes politiques) d’information et de
réflexion sur le communautarisme, la laïcité, les discriminations et le racisme » L’ambition étant de
« mettre à disposition de citoyens les faits portant atteinte à l’universalisme républicain »
De part les moyens dont il dispose (10 animateurs du site), la qualité des travaux d’une soixantaine de
chercheurs mis en ligne, le référencement qui le fait apparaître en tête de liste dans les moteurs de
recherches, ainsi sans doute que de son goût prononcé pour la polémique, l’Observatoire connait un
franc succès avec une moyenne de 40 000 connections par mois. Certaines anecdotes peuvent prêter à
sourire mais illustre la méconnaissance du fait religieux et la tyrannie de la crainte de la confrontation.
Ainsi, un établissement scolaire anglais avait-il décidé de remplacer les 3 petits cochons dans un
spectacle par 3 petits chiens pour ne pas heurter les parents musulmans, à la grande stupéfaction de
ceux-ci puisque l’interdit est uniquement alimentaire.
La position radicale de son fondateur-directeur, Julien Landfried, est pourtant loin d’être consensuelle et
moins encore de favoriser les échanges dans un climat d’échanges serein même si le site ménage une
place pour la contradiction. Pour lui, toutes les communautés seraient des systèmes de croyances à
l’appartenance non-choisie. Pourtant balayées par la Révolution française, elles auraient été réactivées
par « la nouvelle droite et la gauche multi culturaliste », pour entrer finalement dans un processus de
généralisation menaçant les valeurs républicaines.
Quant au communautarisme, les critères en sont larges et reprennent ceux du sociologue Pierre-André
Targuieff :
· auto-organisation d’un groupe social fondé sur une «parenté ethnique» plus ou moins fictive,
· vision essentialiste des groupes humains,
· politique en faveur des identités de groupe,
· usage politique d’un mythe identitaire fondé sur l’absolutisation d’une identité collective.
Ces critères de choix permettent d’inclure largement toutes les formes de revendications sociales de
groupes, à une forme de communautarisme. Et de fait, les articles dénoncent avec virulence, tour à
tour tous les « extrémismes » : religieux (musulmans, juifs, catholiques), ethniques (noirs), sionistes,
féministes, régionalistes (Bretons, Basques, Corses), homosexuels…
Dans ce contexte, il était inévitable que des dérapages viennent grever le crédit de l’observatoire. Ainsi
en 2005, une brève intitulée : « Les violences conjugales : une priorité gouvernementale ? », donnait
l’occasion aux rédacteurs de qualifier de marginal le phénomène des violences conjugales, estimé à
0,00026 % des femmes et résultat d’un lobbying féministe qui n’aurait pour seule finalité que de
détourner l’attention des problèmes économiques.
Son Directeur écrit dans une tribune le 3 février 2011 : « on assiste ainsi, dans les vieilles démocraties
libérales, à un rétrécissement stupéfiant de la liberté d’expression, pourchassée jusque devant les
tribunaux par des associations groupusculaires. L’ «envie du pénal »… est la passion dominante de la
nouvelle ploutocratie du monde associatif et militant, intégrée à la société du spectacle dans ce qu’elle a
de plus méprisable et médiocre, usant de la « reductio ad hitlerum » comme d’autres en leur temps, de
l’accusation de « fascisme » »
Seules les personnes handicapées, ou âgées ne sont pas concernées par le sujet, même si l’on aurait pu
s’interroger sur les quotas de travailleurs handicapés dans les entreprises de plus de 20 salariés. Tout au
plus, trouve-t-on une critique de la discrimination positive qui n’est évoquée que pour les femmes.
Charles Conte réagissait en mars 2006 dans le mensuel de la Ligue d’enseignement en écrivant : « le
communautarisme ne commence que lorsque le libre choix d’appartenir ou de ne pas appartenir à une
communauté disparaît. Il n’y a communautarisme que lorsqu’il y a contrainte. »
L’analyse de ce site confirme les propos de Monsieur Zribi, sur les « thèmes bloquants », les réactions
extrêmes. Il existe donc un véritable écueil à vouloir traiter le sujet des identités communautaires sous
l’angle du communautarisme. Dès lors, il existe un risque de voir les éléments pertinents discrédités par
des propos trop virulents, exacerbant encore plus les susceptibilités.
En soi, l’anti communautarisme est lui-même une forme de communautarisme puisqu’il a son système
de règles et de valeurs qu’il prétend imposer, et qu’une élite bien pensante en agrée ses membres ou les
exclut. Même si certains revendiquent une liberté de parole et un ton volontairement provocateur, il
semble que les personnes âgées ou handicapées soient exclues d’un tel débat, alors même que certains
partis extrêmes ont compris l’intérêt politique de courtiser la population âgée.
Faute de prendre en compte l’identité culturelle, celle-ci peut se transformer en culte de l’identité avec
ce que suppose de malsain le culte des origines27.
Mais quels sont les risquent mis en avant pour justifier une menace communautariste ?
Les revendications communautaires, qualifiées ici de communautaristes, constitueraient une menace
pour les valeurs universelles sur lesquelles est fondée la République (Liberté, Egalité, Fraternité), et
envers la cohésion nationale par la remise en cause d’une langue commune (le français). En effet, les
droits des individus peuvent évoluer différemment (par exemple dans la discrimination positive, en
faveur des femmes ou par la reconnaissance d’un délit spécifique d’homophobie par exemples…) et, au
final, remettre en cause le principe d’égalité des citoyens au regard de la loi.
D’autre part, toute identification à un groupe s’avérerait stigmatisante et susceptible de renforcer les
réactions de rejet, de racisme ou tout autre forme de haine. Cette notion de communauté enfermerait
l’individu dans un espace restreint, limitant la diversité des contacts sociaux, qualifiés ici de richesse.
L’adhésion à une communauté est susceptible d’entrainer une limitation de la réversibilité des choix, et
donc la liberté de l’individu, sans nécessairement s’accompagner d’un sentiment d’appartenance. A titre
d’exemple, le site rappelle l’orientation toujours valide du Conseil Français du Culte Musulman qui
dénie à tout pratiquant le droit de renier l’Islam, et évite d’aborder cet aspect dans sa charte nationale
pour un Islam de France, afin de ne pas heurter les susceptibilités.
Plus généralement, la sur-institutionnalisation des différences contribuerait à réifier les différences entre
les groupes, et par là-même à étouffer l’individu.
Pour les partisans d’une plus large prise en compte des communautés et de leurs spécificités, l’anticommunautarisme,
en niant les différences, contribuerait à développer des réponses standards,
uniformisées, ne répondant pas à des personnes mais à un modèle théorique mais économiquement
viable.
Cette négation autoritaire de la diversité culturelle contribuerait aussi à renforcer l’exclusion de certaines
catégories de personnes en refusant le principe de discrimination positive (« Donner plus à ceux qui ont
moins »17).
Le citoyen dans l’histoire de la société française
La vision empruntée ici à quelques auteurs est sans doute contestable mais offre une perspective
séduisante pour situer les notions d’individualisme et d’identité collective dans la culture française.
Pour T. Collin30, nous sommes passés d’une société des anciens, basée sur un contrat social que décrit
Rousseau : l’homme répond avant tout spontanément aux forces naturelles pour assouvir son amour
personnel. Il appartient au « législateur » de dompter ces forces, en s’appuyant sur la qualité de
perfectibilité, pour le seul bien commun. (« Il faut en un mot qu’il ôte à l’homme ses forces propres pour
lui en donner qui lui soient étrangères, et dont il ne puisse faire usage sans le recours d’autrui. Plus ses
forces naturelles sont mortes et anéantis, plus les acquises sont grandes et durables, plus aussi
l’institution est solide et parfaite », le Contrat social) Dès lors l’individu peut s’identifier dans de
nouveaux symboles collectifs comme l’armée, le drapeau, l’école…
Chaque système culturel est à l’image d’une langue : il doit être appris, possède ses propres règles, sa
propre sémantique qui propose un découpage et une compréhension de l’univers. Sa perception du
monde se trame avec des éléments aussi divers que sa cuisine, son rapport au temps, ses rites de
passages, ses modes de pensées, sa vision politique et religieuse…
Un sentiment d’appartenance caractérisait les sociétés primitives et serait le stigmate de la relation
symbiotique entre la mère et l’enfant. Mais ce sentiment d’appartenance correspond aussi à des
sentiments d’identité, d’unité, de cohérence, de valeur, d’autonomie et de confiance, organisés autour
d’une volonté d’existence et de permamence12.
Si la Révolution française de 1789, est venue apporter son idéal de liberté, d’égalité et de fraternité, elle
n’en générera pas moins une crainte persistante de voir ce rêve menacé par le retour des privilèges et
n’aura de cesse de combattre les particularismes notamment régionaux.
La promotion des droits de l’homme, alliée au principe d’égalité, portaient déjà en eux, à la fois une
contestation de l’autorité (contestation Nietzschéenne), et une victimisation du citoyen face à la
puissance publique. C’est certainement Mai 68 qui réalise la prédiction du philosophe Tocqueville, en
extériorisant bruyamment la contestation de l’autorité gouvernant/gouverné (« la grandeur
gaullienne »), enseignant/enseigné (et plus généralement la « discipline napoléonienne »). Mais aussi, le
rapport homme/femme (féminisme)… Face à la machine étatique, on verra dès lors apparaitre des
phénomènes de judiciarisations et de repentances.
Paradoxalement, le système libéral, loin de rejeter cette philosophie libertaire, saura l’intégrer en le
mettant au service de l’entreprise : désormais l’individu devient un potentiel, qui au travers d’un
parcours personnel peut espérer un accomplissement autonome. L’esprit de compétition va désormais
remplacer progressivement l’esprit de coopération : l’autre n’est plus la source de mon
accomplissement, comme l’affirmait le christianisme qui avait eu le tort de justifier une organisation
sociale jugée désormais injuste.
Ce passage d’une société de citoyens à celle d’individus consommateurs-porteurs-de-droits, n’a
bénéficié que tardivement aux personnes vulnérables avec les lois rénovant l’action sociale de 2002, et
celles de 2005*, notamment avec la publication de la charte des droits de la personne accueillie.
Martucelli 23 note que la nouvelle législation a entrainé un changement dans les relations entre
professionnels et usagers, mais que persiste une double demande : à la fois de prestations
individualisées, mais aussi standardisées donc impersonnelles. Désormais, la plainte des usagers des
dispositifs sociaux et médico-sociaux, n’est plus tant d’être victime d’une injustice, puisque ses droits
sont garantis, mais d’une humiliation.
L’individualisme, occupe désormais la place du sentiment d’appartenance qui permettait à l’individu de
se constituer sans avoir à se situer ni à se choisir.
Mais les mécanismes qui permettent de se situer par rapport à l’autre, et par là même de se situer soimême,
n’ont pas été bouleversés. L’identification d’autrui se fait d’abord sur deux critères
(connu/inconnu, bon-mauvais) Dès lors, le groupe offre au sujet un répertoire de catégories
culturellement signifiantes et de représentations qui lui permet de construire son identité et de réguler
ses rapports aux autres.
L’identité est donc une dynamique sociale et culturelle. « Il n’y a rien de plus collectif que l’identité »31.
Cette identité que le sujet construit est donc porteuse de deux valeurs : celle que le sujet s’attribue
(valeur ontologique), et les valeurs qu’il projette sur son monde (valeurs pragmatiques)
Toute menace envers l’une de ses valeurs devient une menace identitaire et se traduit par un jeu de
réactions variées possibles annexe 8.
C’est ce qui fait dire à Beji27, que l’appartenance étant une machine de survie qui utilise le passé et le
futur pour conforter le présent, le dialogue des cultures serait en soi un leurre puisqu’il ne pourrait
aboutir qu’à la sensation de menace identitaire, avec pour conséquence la confrontation. Pour preuve :
l’inassimilable est toujours le dernier arrivé (immigré maghrébin plus qu’italien par exemple) et celui
qui fait peur, pas forcément le plus structuré mais celui qui sait s’inviter dans le débat public (la
communauté asiatique est la mieux structurée et la moins bien assimilée, alors que nombre de
maghrébins ont adopté des aspects du mode de vie occidental ce qui ne les empêchent pas d’être
régulièrement la cible des propos populistes) 29
De nos jours, l’appartenance est choisie, l’individualisme pousse le sujet à se singulariser. Il faut bien
constater simplement que si la vision du monde telle qu’elle existait auparavant, sans en faire ni la
critique ni l’éloge, s’est désacralisée, on ne resacralisera pas ce qui a été désacralisé. Individualisme et
communautarisme renvoient à un même mal : « la crise du lien humain »30.
C’est pourquoi on voit apparaître un éloge de la diversité. Désormais s’affirme une conception de la
société qui n’est plus conçue sur le modèle du « melting-pot » mais sur celui du « salad-bowl », où les
différences se combinent sans pour autant s’effacer.
Il n’y aurait donc pas une montée du communautarisme, d’une « fièvre identitaire », mais une recherche
de ce sentiment d’appartenance. Cette recherche se manifeste par des aspects moins stigmatisés et plus
consensuels : la revalorisation, voire la réinvention des traditions locales, des fêtes et patrimoines
locaux32… Il est possible d’y voir aussi, un niveau de confiance, et une faculté d’appartenance des
français plus élevés pour l’échelon local et la proximité, plus que pour l’Etat et plus encore l’Europe32.
Dans cette perspective, « vieillir au pays », c’est-à-dire en intégrant plutôt une structure locale, pourrait
sembler la meilleure solution. Pourtant, S. Olivier33, montre dans une étude auprès de professionnels et
d’usagers d’EHPAD ruraux, qu’il n’en est rien. Bien au contraire, du fait d’une part d’une attente trop
importante des résidents, et d’autre part de la sous-estimation de la rupture par les professionnels. Les
usagers ne se sentent pas plus en sécurité, pas moins isolés et même sensiblement moins bien. De leur
côté, les professionnels se montrent plus en difficulté en ce qui concerne les soins au corps de personnes
connues antérieurement, et sans nécessairement avoir un effet apaisant sur les personnes agitées.
D’autres facteurs peuvent certes être identifiables comme des niveaux de formations moins élevés dans
les petites structures locales.
Les propos d’A. Memmi27 situent la sagesse dans une appartenance multiple et relativement détachée:
« La sagesse réside vraisemblablement dans un attachement et un détachement modérés, à une certaine
distance un peu ironique envers le groupe et ses valeurs, envers la culture dans ce qu’elle comporte de
fictionnel… l’imaginaire est un indispensable recours pour respirer, lorsque l’air se fait rare… quelque
soit les avantages du resserrement des membres d’un groupe qui les réchauffent l’un par l’autre, il vaut
mieux compléter cette solidarité organique et psychique par des dépendances à d’autres groupes et à
d’autres systèmes, qui permettent à chacun de sauvegarder une déjà trop difficile liberté »
* http://www.communautarisme.net/
* Loi n°2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, loi no 2005-102 du 11 février 2005 «
pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées»