Il existe aujourd’hui une littérature abondante traitant la relation entre la croissance économique, les inégalités de revenus et la pauvreté. L’analyse des effets de la croissance et de la distribution des revenus sur le niveau de vie a préoccupé les différents courants économiques. La théorie traditionnelle de la croissance établit une relation directe entre croissance économique et niveau de vie. La première thèse, développée par Kuznets (1955), indique que la relation entre le produit intérieur brut par tête (PIB/tête) et inégalité est sous forme d’un U-inversé.
Paragraphe 1 : Les travaux de Kuznets
Kuznets (1955) partait de l’idée qu’il existe un seul type de relation entre les inégalités de revenus et la croissance du PIB. A partir de l’analyse de l’évolution historique des inégalités au cours de l’industrialisation de l’Allemagne et du Royaume-Uni pendant la première moitié du XXème siècle, Kuznets propose une loi générale qui détermine le lien entre croissance et inégalité sous la forme d’une courbe en U-inversé où en abscisse se trouve le PIB par habitant et en ordonnée se situe les inégalités exprimées par le coefficient de GINI.
Cette courbe traduit la faiblesse du PIB lors des premières phases du développement. De manière concomitante, les inégalités s’accroissent davantage jusqu’au moment où le pays atteint un certain niveau de développement à partir duquel les inégalités se stabilisent, puis diminuent. La courbe ci-dessous illustre cette situation.
Graphique 1 : Courbe en U-inversé (l’hypothèse de Kuznets)
Source : Bourguignon F., (2003)
Cette courbe montre l’idée que le processus du développement économique traduit une transition d’une économie agraire à faible productivité vers une économie industrielle à forte productivité. Kuznets explique ce principe par l’hypothèse du dualisme où il considère deux secteurs agricole et non agricole (très inégalitaires). Selon cette hypothèse, l’évolution des inégalités au cours de cette période est attribuée à la réduction de la part du secteur agricole – secteur traditionnel à faible productivité – dans l’économie et à son remplacement par le secteur industriel. Cette relation, qui semble avoir été vérifiée sur la période 1960-70, est actuellement remise en cause par les réalités de nombreux pays. De nombreux travaux empiriques se sont intéressés à l’analyse de la loi de Kuznets à partir de données transversales par pays (Deininger et Squire, 1996)(8). Leurs travaux rejettent l’hypothèse de Kuznets dans 90% des cas.
Paragraphe 2 : Les travaux récents
Les courants de pensée traditionnels sur la dynamique du développement considèrent que toute croissance économique peut provoquer un effet d’accroissement du revenu moyen (réduction de la pauvreté) et un effet de distribution des revenus (augmentation ou réduction des inégalités).
L’hypothèse de Kuznets explique ce lien par une relation systémique et positive entre croissance économique et revenu des pauvres. Compte tenu de la courbe en U-inversé de Kuznets, la part des pauvres dans la distribution des fruits de la croissance tendait à baisser lors des premières phases de développement puis augmente dans le long terme. La bonne politique serait donc celle visant à accélérer la croissance économique à travers une politique volontariste d’industrialisation qui permettrait de passer plus rapidement les différentes étapes du développement.
Mais, Dubois (1997) explique que l’augmentation des inégalités apparaît avec la croissance du fait que les pays très pauvres comme les pays très riches ont des structures de revenu relativement égalitaires. Le passage d’une situation à l’autre implique en premier temps une hausse des inégalités et une baisse de celles-ci ensuite. On observe également que la croissance économique n’agit pas de la même façon sur les inégalités en raison des différences du niveau de revenu.
Dans les pays en développement, la croissance accroît les inégalités alors qu’elle les réduit dans les pays à revenu élevé.
Cette conclusion a été confirmée par de nombreuses études réalisées ces dernières années en Afrique subsaharienne.
En effet, la disponibilité des données d’enquête sur les ménages dans de nombreux pays du continent, a permis de réaliser d’importantes études sur l’effet de la croissance et de l’inégalité sur la pauvreté en Afrique. La majorité de ces études ont mis en évidence un lien significatif entre croissance économique et l’amélioration des indicateurs de pauvreté non monétaire. A cet égard, les travaux de Dorothée Boccanfuso et Samuel Tambi sur le Sénégal et le Burkina-Faso (2003) ont montré, dans ces deux pays, que l’inégalité a un effet défavorable sur la pauvreté qui se révèle plus fort que celui de la croissance. De même, de l’étude réalisée sur les méthodes quantitatives d’analyse de la pauvreté au Bénin par Balaro O. Grégoire (2004), il ressort que « le processus de croissance de l’économie au Bénin, induit un accroissement des inégalités qui serait à l’origine du maintien de la pauvreté ou de son aggravation car les effets redistributifs de la croissance notamment, ceux liés à l’inégalité dominent considérablement les effets revenus »
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