Le 12 décembre 1999, la nature essuie l’une des pires pollutions marines par
hydrocarbures qu’elle ait connue : le naufrage du pétrolier Erika. Le pétrolier, qui transportait
37 000 tonnes de fioul lourd en direction de l’Italie, échoue au large de la Bretagne, déversant
en mer sa cargaison. Le bilan du sinistre est lourd : des espèces entières d’oiseaux décimées,
les côtes françaises souillées sur près de 400 kilomètres, etc. De nombreuses collectivités
locales et associations portent plainte avec constitution de partie civile. Un feuilleton
judiciaire qui va durer plus d’une décennie s’ouvre.
Après de longues années d’instruction, le TGI de paris se prononce le 16 janvier 2008.
L’entreprise Total, propriétaire de la cargaison, le propriétaire et le gestionnaire du navire
ainsi que la société de certification sont reconnus coupables de délit de pollution maritime,
réprimé par l’article 8 de la loi n° 83-583 du 5 juillet 1983. Il est reproché à Total
particulièrement une faute d’imprudence consistant en la mauvaise exécution de son activité
de vetting, qui constitue, selon les juges, le non respect d’un engagement unilatéral de
volonté, pris par la société pour une plus grande sécurité. Cette procédure de vetting consiste
en un contrôle renforcé des navires transportant des cargaisons, contrôle excédant les
exigences des textes internationaux en la matière. Au vu des enjeux environnementaux en
cause, cet engagement prend force normative contraignante pour son débiteur, son non respect
entrainant ipso facto une sanction. Les amendes maximales sont prononcées au pénal contre
les prévenus (375 000 pour les personnes morales et 75 000 euros pour les personnes
physiques). Même si l’on reconnaît au juge répressif le mérite d’avoir consacré le dommage
écologique en Droit Français, il n’en demeure pas moins que les sanctions pénales sont
plafonnées et donc mal adaptées aux pollutions d’une telle ampleur.
Nous nous souvenons que les plaintes ont été déposées avec constitution de parties
civiles. C‘est donc sur le volet civil que les argumentations vont s’étendre à l’infini.
A l’époque où le TGI rendait son jugement, il n’existait pas en Droit français de
procédure spéciale de réparation du dommage écologique. Les juges ont donc fait preuve
d’innovation, en rendant autonome le préjudice résultant des atteintes à l’environnement. En
accueillant l’action en réparation du préjudice écologique pur, ils ont essayé d’affranchir la
réparation d’un tel préjudice des classiques de la responsabilité civile, applicables jusqu’à
l’hors (le caractère personnel du préjudice par exemple). C’est la nouveauté de cette décision.
Le TGI tente même de définir négativement ce préjudice. C’est un préjudice distinct du
préjudice social dont la réparation est assurée par l’exercice de l’action publique. Ce qui
restera en mémoire comme preuve d’un changement radical, c’est le prix accordé à la
réparation de la nature : 1 315 000 euros. L’on regrettera juste que cette décision ne soit pas
assortie d’une affectation automatique des indemnités à la réparation de l’environnement
dégradé. C’est d’ailleurs ce qu’ont critiqué les auteurs, qui dénient à ce préjudice écologique
une substance véritable, trouvant qu’il s’agit d’une double indemnisation du préjudice moral.
Il semble aussi que le Droit civil ne soit pas très adapté à la réparation de tels dommages. La
loi du 1er Aout 2008, prenant en compte toutes ces critiques, essayera de réparer ces lacunes,
notamment en instituant un régime de police administrative pour la réparation du dommage
écologique et en privilégiant la remise en état de l’environnement pollué.
La cour d’appel de paris le 30 mars 2010, en confirmant la décision des juges
d’instance, a conforté la reconnaissance du préjudice écologique pur. Elle a même admis
l’action en réparation de ce préjudice à un panel de personnes plus étendu que le TGI.
Désormais, les collectivités locales peuvent aussi l’exercer, lorsqu’elles ont une mission
particulière de préservation de l’environnement, car l’article L142-4 du code de
l’environnement issu de la loi LRE (d’application immédiate), leur donne compétence pour
exercer l’action civile en réparation du dommage écologique. Mais la cour d’appel écarte la
responsabilité civile de Total. Ceci va provoquer la polémique et plusieurs pourvois seront
formés devant la cour de cassation. Elle se prononcera le 25 septembre prochain. Les
conclusions de l’avocat général laissent planer le doute sur les possibilités d’annulation pure
et simple de l’arrêt d’appel et ainsi, le blanchiment de Total. Autant dire que cette décision est
très attendu car c’est elle qui fixera la jurisprudence.
En attendant, et afin de donner une véritable consistance à ce préjudice qui fait tant de
polémique, les auteurs proposent une nomenclature des préjudices réparables en cas d’atteinte
à l’environnement.