Institut numerique

Section 1 –Correction de la Déficience du suivi comptable sur l’exécution du budget :

De par sa nature de représentant de toutes les couches de la société, le Parlement doit veiller à travers sa fonction de contrôle et de détenteur du « cordon de la bourse» par son pouvoir budgétaire, à ce que le budget voté corresponde aux intérêts de la société tout en tenant compte des ressources disponibles et qu’il soit exécuté de manière responsable et transparente. Une participation efficace du Parlement au processus d’exécution budgétaire est gage d’une efficacité de la démocratie, d’une ouverture au public et d’une bonne gouvernance en matière des finances publiques.

Toutefois, la réalité montre qu’il y a une déficience du suivi comptable, qu’il faut corriger, dans l’exécution de la loi de finances. Une déficience qui s’érige de la déconnexion informationnelle entre les deux pouvoirs dans le cycle d’exécution budgétaire (§1), la régulation administrative des autorisations budgétaires (§2), ainsi que le manque d’un suivi ad hoc au sein du parlement de l’exécution de la loi de finances (§3).

§1 -Déconnexion informationnelle dans le cycle d’exécution budgétaire :

L’information constitue à la fois un droit et un besoin pour chacun des organes de contrôle dont la satisfaction ne peut se faire que dans le cadre d’un système capable d’assurer une information endogène entre les organes d’information eux-mêmes et capable de diffuser une information exogène destinée à éclairer des institutions extérieures. Toutefois, l’exécution de la loi de finances est caractérisée par une déconnexion entre l’exécutif et le législatif, d’où la nécessité d’une information préalable du parlement avant de procéder à une modification du contenu ou de l’emploi de crédits prévus en loi de finances de l’année (A), ainsi que la mise en place des techniques et des moyens assurant une information efficace entre les deux pouvoirs (B).

A- L’INFORMATION PREALABLE DU PARLEMENT :

Informer le parlement avant de procéder à une quelconque modification du contenu ou de l’emploi des crédits prévus en loi de finances de l’année constitue indéniablement un préliminaire démocratique essentiel. Le respect des compétences financières du parlement exige qu’un minimum d’information lui soit adressé avant qu’une quelconque procédure ne soit engagée. Cette information constante et régulière sur l’exécution de la loi de finances ne doit-elle pas être exigée par la loi organique des finances en cours de réforme en matière d’annulation des crédits, d’ouverture des crédits supplémentaires , de transferts ainsi que de virements de crédits(285) ?

Ainsi, si on se réfère au droit comparé on constate que la loi organique relative à la loi de finances du 1er août 2001, en France, a mis l’accent sur la rationalisation des procédures d’exécution des lois de finances sous trois formes :

– l’amélioration des modalités d’information des parlementaires en privilégiant son information préalable à toute action réglementaire ;
– la nécessité pour le gouvernement de rendre-compte au parlement de l’emploi de ces crédits ;
– la limitation du montant des crédits susceptibles de faire l’objet d’une régulation budgétaire(286).

En effet, pour être fructueuse et efficiente, la discussion publique doit être éclairée. Mais cela ne peut se faire que si le gouvernement facilite l’accès à l’information sur la performance, aux mesures des résultats, aux cadres d’évaluations des impacts des programmes, aux vérifications internes et aux autres projets d’examen.

Ce sont des informations qui contribueront certainement à assurer la tenue d’un débat public éclairé, au-delà de la simple discussion sur la régularité de l’utilisation des moyens autorisés.

L’accessibilité d’une information appropriée permettrait ainsi un examen plus efficace de l’exécution du budget. Dans ce sens, le parlement devrait exiger des ministères l’élaboration d’un cadre d’évaluation qui énonce les critères permettant d’évaluer dans quelle mesure un programme aura fonctionné. Ce cadre pourrait comprendre, en outre, des énoncés clairs quant aux objectifs du programme de manière à ce que l’on puisse en évaluer les résultats. Ainsi, se manifeste le rôle que peut jouer les commissions de finances des assemblées parlementaires dont la fonction est de suivre de plus en plus l’état d’exécution de la loi de finances annuelle que ce soit sur pièce ou sur place(287) par le contrôle de l’emploi des crédits autorisés, la fourniture à la demande de ces commissions d’explication sur l’exécution de tel ou tel service ministériel, en plus des demandes par les parlementaires au gouvernement, via les questions orales ou écrites, d’éclaircissements sur tel ou tel volet du budget(288).

Afin de rehausser la reddition des comptes(289) et la transparence des rapports publics, le gouvernement devra améliorer la clarté et la pertinence de l’information, ainsi que la rapidité avec laquelle elle est transmise au parlement(290).

B- LES TECHNIQUES D’UNE INFORMATION PARLEMENTAIRE EFFICIENTE :

Le gouvernement peut grandement contribuer à l’affermissement de l’esprit de contrôle. Il lui appartient d’accorder des garanties particulières à l’opposition qui devrait notamment être maitresse chaque année de l’ordre du jour de plusieurs séances conformément aux spéculations des dispositions de la nouvelle constitution qui dispose dans son article 10 que: « La Constitution garantit à l’opposition parlementaire un statut lui conférant des droits à même de lui permettre de s’acquitter convenablement de ses missions afférentes au travail parlementaire et à la vie politique ». Il lui appartient aussi de favoriser le dialogue entre contrôleur et contrôlé en acceptant d’établir un échéancier précis pour la mise en œuvre des recommandations parlementaires ayant reçu son agrément. Dans ce sens, l’esprit de contrôle ne saurait prévaloir que dans un climat de coopération entre le gouvernement et les assemblées(291).

En tout état de cause, il ne peut y avoir de système démocratique sans transparence ni obligation de rendre compte par le gouvernement. De ce fait, le parlement, de par sa fonction fondamentale de contrôle, doit demander des comptes au gouvernement au nom du peuple afin que la politique et l’action du gouvernement soient aussi efficaces qu’adaptées aux attentes du public. Ainsi, le contrôle parlementaire en cours d’exécution sera crucial pour endiguer tout excès de la part du gouvernement.

Les rapports et les comptes rendus au parlement et au public sont importants du fait que les députés ont toujours besoin d’informations pour intervenir activement en ce qui concerne la gouvernance dans la gestion financière. De ce fait, il y a lieu de prévoir expressément, comme a noté le professeur H.ELARAFI(292), au niveau de la loi organique des finances objet de la réforme, la reddition systématique d’un document annuel sur les performances en faveur du parlement. Un tel document devrait faire connaître par programme les objectifs, les résultats attendus et obtenus, les indicateurs et coûts associés et la gestion des autorisations d’emploi.

Or, la réalisation de cet objectif ne dépendra non pas d’une modification des règles, mais d’un changement d’approche. Même si les gestionnaires et les responsables de l’examen font, de plus en plus, état d’une attention plus marquée aux résultats touchant la gestion, la prise de décision et l’obligation de rendre compte au public, il n’en demeure pas moins que la question ne se résuma pas à cerner et à mesurer les résultats ; il faut aussi déclencher tout un débat public sur l’importance de ces résultats.

Ce qui est à remarquer aussi, c’est que le parlement peut être mieux informé par la cour des comptes car celle-ci « préfère apporter plus d’information à l’exécutif qu’au parlement et l’opinion publique »(293). A ce niveau, il est lieu de constater que lorsqu’il s’agit des demandes de précision le parlement ne fait appel à la cour des comptes que d’une façon rare et timide. En plus, la synthèse de l’enquête, des rapports et du contrôle sur place pourrait faire de la cour des comptes, au Maroc, une institution redoutable face à l’administration(294) . Il est à noter que la cour ne doit pas se contenter de l’information que l’on veut bien lui fournir, ni se satisfaire de la communication des comptes par comptables : elle ne doit pas attendre l’information, il faut qu’elle aille à
sa recherche.

§2- Régulation administrative des autorisations budgétaires :

Dans le cadre de l’exécution de la loi de finances, le gouvernement dispose d’instruments lui permettant de moduler l’exécution budgétaire. Ces modifications apportées à l’autorisation budgétaire accordée par le parlement lors du vote de la loi de finances initiale doivent s’effectuer dans le respect des dispositions organiques(295). De ce fait, en cours d’exécution du budget, le pouvoir réglementaire connaît une intervention extrêmement large. Cela a poussé certains auteurs à parler d’un domaine réservé au pouvoir réglementaire en matière budgétaire. Ce pouvoir réglementaire se manifeste amplement au niveau de la répartition des crédits globaux (A), la pratique des régulations budgétaires infra-annuelles (B), ainsi que par la présentation des lois de finances rectificatives (C).

A- LA REPARTITION DES CREDITS GLOBAUX :

Dès la promulgation de la loi de finances, le gouvernement prend des décrets qui entérinent la répartition des crédits telle que prévu par les tableaux de la loi de finances. La répartition des crédits intervient par chapitre dans la limite des crédits ouverts en tenant compte de la spécialité budgétaire(296). C’est un domaine réservé au pouvoir réglementaire. Il s’agit des crédits globaux relatifs aux dépenses imprévues et des crédits globaux relatifs aux charges.

La répartition des crédits relatifs aux dépenses, au Maroc, fait l’objet d’un chapitre spécial créé chaque année par la loi de finances de l’année « dépenses imprévues et dotations provisionnelles ». Selon l’article 42 de la LOF, actuellement en vigueur au Maroc, qui constitue la base juridique de sa création, ce chapitre spécial n’est affecté à aucun service en ce qui concerne les dépenses imprévues. Toutefois, l’objet de ce chapitre est précisé par le même article de ladite loi qui précise que « Des prélèvements peuvent être opérés en cours d’année sur ce chapitre pour assurer, par un crédit supplémentaire, la couverture des besoins urgents ou non prévus lors de l’établissement du budget ». Les prélèvements sur ce chapitre interviennent par décret pris sur proposition du ministre des finances car ces crédits complètent en quelques sortes les crédits limitatifs, ce qui exige les raisons de leur gestion par décret. Malgré ces précautions, le contrôle parlementaire sur l’utilisation de ces crédits ne peut être exclu(297). Ce contrôle est exercé également sur la destination des crédits globaux relatifs aux charges communes qui est un important chapitre des dépenses de fonctionnement.

Ces dernières sont un ensemble de rubriques des dépenses de l’Etat inscrites à la loi de finances et gérées par le ministère chargé des finances sous l’égide du chef du gouvernement. Ce budget est caractérisé par son caractère paradoxal et hétéroclite puisqu’il comprend les crédits destinés à l’ensemble des services de l’Etat ou à plusieurs d’entre eux, et qui ne peuvent être inscrits dans le budget d’un ministère particulier(298).

L’utilisation des crédits globaux autorisés par le vote parlementaire montre l’intérêt, voire la nécessité de l’exercice d’un contrôle parlementaire en cours d’exécution de la loi de finances, notamment par les commissions de finances(299). Alors que ce contrôle est limité par l’absence de l’information de la cour des comptes qui reste un acteur passif pour la certification des informations par les rapports de cette institution. La seule limite au pouvoir réglementaire en matière d’exécution de la loi de finances est la conformité de la répartition des crédits aux votes du parlement(300). Dans ce sens, même s’il peut y avoir des circonstances qui peuvent suggérer le recours à des crédits budgétaires inscrits sur ce chapitre réservoir, il convient de noter que(301) la représentation nationale doit être informée dans la plus grande transparence possible de l’utilisation qui est faite des deniers publics. D’autant plus, que ces dépenses doivent être évaluées selon leur mérite propre, au risque de donner lieu à des abus, surtout si l’on sait que ce sont l’une des sources du manque de transparence du fait que les conditions de recours aux dépenses pour imprévus ne sont pas clairement spécifiées par le législateur.

Cet état de chose exige de prendre la même posture que la LOF française de 2001 qui stipule que le parlement doit disposer d’une information complète sur les déterminants de la dépense par la justification des crédits, les coûts unitaires des prestations ou productions administratives, le coût des grands projets, les composantes et les déterminants de l’évolution des dépenses de personnels et de programmes.

B- Les régulations budgétaires infra-annuelles :

La régulation infra-annuelle est l’ensemble des transformations et des redéploiements d’emplois qui peuvent être opérés en cours d’année pour répondre aux exigences des ajustements structurels de la situation économique et l’impérative de maîtriser les programmes glissants du gouvernement(302). Les mécanismes juridiques de cette régulation sont assez divers. Il faut distinguer les virements de crédits (1), les transferts de crédits d’un chapitre à un autre (2), Les crédits additionnels (3) les reports de crédits (4), ainsi que le gel et l’annulation des crédits (5).

1- Les virements de crédits :

C’est une technique qui permet de modifier radicalement la spécialisation initiale des crédits, puisqu’ils peuvent changer la nature de la dépense autorisée par la loi de finances. De ce fait, une somme peut être prélevée d’une rubrique pour être transportée à une autre à l’intérieur d’un chapitre ; le virement peut s’analyser comptablement comme une baisse des crédits disponibles pour la rubrique débitée et une hausse du même montant pour la rubrique de destination. Ces virements peuvent être effectués soit sur dérogation du chef du gouvernement soit sur autorisation du ministre chargé des finances de ceux qui les exigent.

Il faut remarquer que la procédure de virements des crédits génère des retards considérables du fait que ceux-ci deviennent inutiles lorsque les crédits virés conduisent à un report pur et simple à la gestion suivante. Ils sont plus critiquables également lorsqu’ils correspondent à une régularisation à postériori d’engagements effectués en dépassement de crédits ouverts. De ce fait, les autorités budgétaires optent pour une approbation de virement de crédits pour augmenter la dotation d’une rubrique sur laquelle ont été engagés des crédits pour un montant supérieur à celui ouvert par la loi de finances(303). De ce fait, l’exécutif dispose d’un large pouvoir réglementaire quant aux modifications apportées aux crédits globaux initialement répartis(304)ce qui porte atteinte
à la règle de spécialité budgétaire qui commande un respect des affectations initiales des crédits.

En effet, le régime marocain est très souple quant à la procédure des virements de crédits puisqu’il habilite le ministre des finances, autorité détentrice du pouvoir réglementaire, à prendre des décisions sur propositions des ministres intéressés pouvant modifier la dotation des articles, des paragraphes et lignes à l’intérieur de chacun des chapitres du budget général relatif aux dépenses de fonctionnement. Alors, que cette technique fait l’objet d’une stricte réglementation dans le droit budgétaire français car :

– Le virement ne peut intervenir qu’à l’intérieur du même titre du budget d’un ministère.
– Le virement ne peut dépasser le 1/10 de la dotation de chacun des chapitres intéressés.
– Aucun virement ne peut être opéré d’un chapitre provisionnel au profit d’un chapitre limitatif(305).

Quant au Maroc, la seule limite relative à l’utilisation des virements de crédits est que la décision doit être signée par le ministre des finances ce qui paraît comme une prérogative normale de cette autorité financière. De ce fait, la latitude laissée au pouvoir réglementaire qui porte atteinte à la règle de spécialité budgétaire limite, par conséquence, le pouvoir financier du parlement. Sur ce point la cour des comptes est évidemment concernée pour relever l’utilisation abusive et systématique des techniques de virements des crédits.

2- Transfert des crédits d’un chapitre à un autre :

Ces virements peuvent être classés en trois catégories en fonction de leur cause : les transferts qui résultent de l’absence entre les structures du budget et celles de l’administration ; les transferts portant sur des dotations de stimulation ou de contrôle ainsi que les transferts découlant des mesures exceptionnelles(306).

Le transfert de ces crédits dégage des anomalies car le montant des crédits transférés à certains budgets représente parfois une proportion excessive par rapport aux crédits votés. Ce qui exige d’inscrire une partie de ces crédits transférés directement aux chapitres bénéficiaires dans les prévisions de la loi de finances.

3- Les crédits additionnels :

Les crédits inscrits dans la loi de finances sont limitatifs, sauf stipulation contraire : les ministères dépensiers ne peuvent dépasser les plafonds de crédits qui leur sont ouverts. Par cette règle, le législateur a entendu donner sa pleine signification à l’autorisation budgétaire donnée par le parlement au gouvernement : le premier autorise préalablement le second à dépenser un montant donné, c’est-à-dire un plafond maximum. Appliquée strictement, cette règle interdit toute modification ultérieure dans le sens d’une majoration de crédits et non en cas de réduction de ces crédits(307).

Malgré tout, il est souvent nécessaire d’ouvrir en cours d’année des crédits additionnels à ceux ouverts par la loi de finances. En principe, seul le parlement devrait procéder à une augmentation des dotations budgétaires ; mais le parlement ne siège pas d’une manière permanente et la procédure législative est assez longue. Pour assurer la continuité de l’activité du gouvernement, le pouvoir réglementaire doit donc ouvrir, lui-même, en cas d’urgence, les crédits indispensables.

4- L’ouverture des crédits supplémentaires :

En vertu de l’article 43308 de la LOF, en cas de nécessité impérieuse d’intérêt national, des crédits supplémentaires peuvent être ouvert par décret, en cours d’année. A ce titre, l’article 14 du décret relatif à l’élaboration et l’exécution de la loi de finances précise que « les décrets portant ouverture de crédits supplémentaires sont pris sur proposition du ministre chargé des finances ».

Le gouvernement est donc autorisé à dépenser plus que le montant des crédits ouverts : il peut dépasser en toute régularité la dotation inscrite, mais les dépassements doivent rester exceptionnels puisque les facilités accordées à l’administration ne sauraient dispenser de l’effort d’une prévision aussi exacte que possible des besoins.

C’est l’usage politique des crédits additionnels qui est contestable et non l’existence juridique de tels crédits car les sous évaluations systématiques et délibérées qui octroient au gouvernement une réévaluation, en cours d’années, lui permettent de présenter un équilibre budgétaire artificiel.

Dans ce sens, il est lieu de mentionner qu’aucune limite n’est encore prévue pour diminuer le risque de remise en cause de l’équilibre de la loi de finances établi par les dépassements trop importants de crédits en cours d’année. Dans cette optique, les ministères qui demandent des crédits additionnels sont tenus de proposer, dans toute la mesure du possible, des économies correspondantes dans d’autres domaines(309).

5- Le gel ou annulation des crédits :

La procédure du gel des crédits se présente comme une forme de mettre en réserve provisoirement des crédits. Les crédits ouverts sont considérés comme non utilisables par les ministres concernés sur ordre du ministre chargé des finances.

Quant à l’annulation des crédits, elle intervient lorsque la conjoncture économique et financière l’exige puisque le gouvernement peut en cours d’année surseoir à l’exécution de certaines dépenses d’investissements après avoir informé les commissions parlementaires compétentes en la matière. Dans ce sens, tout crédit qui devient sans objet, en cours d’année, peut être annulé par décret pris sur proposition du ministre chargé des finances après accord de la commission chargée des finances.

De ce fait, la technique de dépassement de crédits s’est devenue une tradition dans la pratique budgétaire marocaine par ce que le gouvernement peut ouvrir, en cours d’année, des crédits supplémentaires par simple décret. Ensuite, le pouvoir réglementaire se voit accorder la possibilité de créer par décret de nouveaux comptes spéciaux de trésor. Dans ce sens, le parlement n’est pas tenu d’examiner et de ratifier les initiatives de ce type mais de les ratifier en différé. D’où l’apport du rapport de la cour des comptes sur l’exécution de la loi de finances sur la base des informations et des documents qui lui sont transmis par le ministre des finances. Ces documents et ces informations permettent à la cour d’analyser les conditions d’exécution de la loi de finances310 et permettront d’éclairer le parlement sur les irrégularités commises lors de cette exécution s’ils ont été bien exploités.

Il résulte, de tout ce qui a été avancé, que le gouvernement a la possibilité d’user de certaines manoeuvres techniques pour modifier l’affectation initiale. Il en ressort une nette diminution de la portée de l’autorisation parlementaire(311).

C- REGULATION DISCRETIONNAIRE PAR LES LOIS DE FINANCES RECTIFICATIVES :

L’autorité exécutive dispose en matière budgétaire d’une procédure de dépassement de crédits par les lois de finances rectificatives qui peuvent être définies comme les lois votées en cours d’année pour modifier la loi de finances initiale conformément à ce qui ressort de l’article 4 de la loi organique des finances qui dispose que: «Seules des lois de finances dites rectificatives peuvent en cours d’année modifier les dispositions de la loi de finances de l’année ».

Le régime juridique de ces lois est le même que les lois de finances de l’année(312) quant aux modalités de leur discussion et de leur vote(313). Toutefois, leur mise en œuvre intervient par décret-loi soumis à la ratification parlementaire conformément à ce qui ressort de l’article 75 de la constitution marocaine de 2011 dans son troisième alinéa(314) et ce que ressortait de la constitution marocaine de 1996 dans son article 51.

L’objet des lois rectificatives de finances est souvent dicté par les nécessités ou le changement de la conjoncture économique. Ces lois permettent de modifier la politique budgétaire et de réajuster les recettes et les dépenses.

Ce qui caractérise la discussion de ces lois c’est son caractère accéléré, voire simplifié(315) car les parlementaires ne peuvent rejeter la ratification des crédits déjà consommés. Les lois rectificatives mettent, en fait, les parlementaires devant le fait accompli. Les députés souvent chargés de travail par l’examen d’autres textes n’ont ni le temps, ni la disponibilité d’examiner un texte au demeurant truffé de détails techniques(316).

En réalité, si la procédure des lois rectificatives ne porte pas atteinte à l’autorisation parlementaire elles permettent, toutefois, d’introduire des dispositions qui ne peuvent être que ratifiées par le parlement. Le rôle du parlement s’apparente alors à une chambre de ratification car ces lois ratifient, d’abord, des décrets d’avance. Les crédits concernés étant alors par définition déjà consommés. Le parlement ne peut que les autoriser rétroactivement. Quant aux crédits supplémentaires qui sont demandés, le parlement ne peut guère les modifier dès lors qu’ils sont calculés en fonction des plus-values fiscales réalisées ou des recettes créées(317). Dès lors, l’adoption parlementaire est acquise à l’avance car l’accord de la commission des finances est formel et la plupart des amendements sont rejetés. De ce fait, ces lois sont un moyen commode d’introduire des dispositions sans rapport avec l’objet financier qui s’apparentent à des « cavaliers budgétaires »(318). En plus, ces lois peuvent être un moyen discret de faire avaliser le déficit budgétaire(319) et d’obtenir des crédits supplémentaires.

Rien n’est moins sûr que d’affirmer que les lois de finances rectificatives épargnent l’altération du budget dans sa version initiale et permettent un contrôle efficace sur le gouvernement. Deux raisons principales expliquent l’inefficacité du contrôle par des lois de finances rectificatives, selon le DR. OUJMAA Saïd :

« La première est commune aux débats budgétaires en général dans la mesure où les lois de finances rectificatives sont discutées et votées dans les mêmes conditions que la loi de finances initiale et se trouvent, de ce fait, assujetties aux mêmes limitations que celle-ci. La seconde raison est propre aux lois de finances rectificatives qui sont beaucoup plus un document entérinant des décisions déjà prise que comme un acte de prévision et d’autorisation(320) ».

A ce propos CATHELINEAU Jean disait : « En matière de lois de finances rectificatives, peut-être plus que dans d’autres domaines, les prérogatives du parlement sont de nos jours particulièrement amoindries(321) ». Dans le même sillage, le professeur ELARAFI (Hassane) avance que « les représentants de la nation se trouvaient souvent désarmés devant le fait accompli dans lequel les met le gouvernement : les réorientations majeures qu’elles comportent ne permettent pas que le gouvernement laisse au parlement une grande marge pour débattre les modifications envisageables.

D’autant plus que les délais d’examen impartis au parlement sont très brefs par rapport à la loi de finances initiale (322)».

§3- Absence d’une structure de suivi ad hoc au sein du parlement :

Les commissions parlementaires permanentes, commissions sectorielles ou encore commissions ad hoc sont des commissions spécialisées selon les secteurs dont elles ont la charge. Elles peuvent être définies comme : « des organismes spécialisés dans l’étude des problèmes généraux ou ponctuels, notamment d’ordre législatif avant leurs examens en séance publique(323) ». Ce type de commissions est un type de travail et de contrôle parlementaire consacré par toutes les constituions marocaines, y inclus celle de 2011, dans ses articles 69, 80(324) et 102. En effet, le parlement s’organise en commissions spécialisées afin de permettre une surveillance de l’action du gouvernement. Chaque commission devra prendre en charge des affaires d’un ou de plusieurs secteurs de dépenses suivant une répartition que doivent stipuler les règlements intérieurs(325).

Leur existence se justifie par l’impossibilité pratique où se trouve le parlement pour examiner de façon détaillée et sérieuse les nombreux textes soumis à son approbation. Elles sont spécialisées et correspondent aux différents domaines d’action du gouvernement(326). Considérées comme un instrument privilégié du travail parlementaire et un rouage essentiel du fonctionnement de l’institution législative, elles participent à la fonction législative par l’étude des projets et des propositions de lois, proposent des amendements, rédigent des rapports destinés à l’information des parlementaires bousculés par les contraintes du temps.

Le rôle principal de ces commissions est législatif, mais ce dernier a permis l’émergence d’un rôle de contrôle exercé par ces commissions sur le gouvernement.

Dans ce sens, MOAATASSIM M. affirme que : « le travail législatif requiert de la part des commissions d’obtenir le maximum d’informations possibles relatives au texte législatif en cours d’étude (327)».

Ce qui est, d’ailleurs, observé lors de l’examen du PLFA puisque les membres des commissions concernées peuvent demander au ministre des finances de fournir toutes les informations nécessaires à l’étude du projet du budget du département ministériel relevant de sa compétence. Dans ce sens, le professeur ZHIRI (F.) affirme que : « avant le vote final, c’est durant toute la procédure de l’examen des budgets des différents ministères, par les commissions parlementaires compétentes, que celles-ci peuvent revendiquer une information précise et exercer ainsi un contrôle direct sur chaque département ministériel(328) ». Dans ce sens, il est lieu de mentionner que la constitution de 1996 indiquait dans ces articles uniquement le rôle législatif des commissions et ne s’est pas prononcée sur le rôle du contrôle. Toutefois, la nouvelle constitution a institutionnalisé ladite fonction dans son article 102 qui stipule que : «Les commissions concernées dans chacune des deux Chambres peuvent demander à auditionner les responsables des administrations et des établissements et entreprises publics, en présence et sous la responsabilité des ministres dont ils relèvent ».

Parmi les moyens de contrôle des commissions figure le recours aux auditions, ainsi que le rôle d’enquête et d’information. De ce fait, les réunions des commissions avec les ministres, pour discuter des sujets précis, constituent des moments forts du contrôle des travaux du gouvernement car ces réunions ne souffrent d’aucune limitation de temps en comparaison avec les quelques minutes accordées lors des questions orales et ne sont soumises à aucune contrainte spécifique. Ceci amène les parlementaires à aller au fond des dossiers pour chercher le maximum d’information(329). Toutefois, le procédé d’audition est peu utilisé pour ne pas dire quasi-absent dans la pratique, ce qui montre la portée limitée de suivi d’exécution des lois de finances par ces commissions ad hoc.

De ce fait, l’utilisation ciblée et rationnelle, par les commissions ad hoc, de leur pouvoir d’audition des membres du gouvernement concernant la gestion des deniers publics constituera un moyen d’efficacité du contrôle parlementaire et gage de la transparence en matière de gestion des services de l’Etat puisque chaque commission a le droit d’auditionner n’importe quel membre du gouvernement ou un représentant d’un conseil supérieur, un délégué spécial ou un directeur d’un organisme public ou semi public ou une société d’Etat en présence du membre du gouvernement ayant la tutelle du secteur en question. Quant à la chambre des conseillers la commission peut demander via son président l’audition de n’importe quel membre du gouvernement. Ce qu’il faut mentionner, à ce niveau, c’est que le contrôle d’exécution de la loi de finances par les commissions ad hoc reste un moyen peu utilisé par rapport aux procédés des questions.

Tout en sachant que le contrôle effectué par ces commissions est un travail beaucoup plus approfondi et pouvant être beaucoup plus efficace que celui des questions orales ou écrites.

A côté de l’audition, les commissions parlementaires ont une mission d’information puisque ces commissions peuvent confier à certains de leurs membres une mission d’information au sujet d’exécution d’un projet ou d’une politique publique ou un sujet intéressant la société(330). Un rapport est établi et présenté aux commissions pour discussion. Il faut noter que ces missions exploratoires provisoires constituent un outil qui permet au parlement, avec ces deux chambres, de contrôler le travail gouvernemental, et ce en récupérant à la source, les informations nécessaires sans passer par le gouvernement. Ainsi, ces missions participent à l’élargissement du champ du suivi du travail gouvernemental et renforcent les fonctions de l’institution législative dans la consécration de la pratique démocratique(331). Toutefois, Ces deux procédés restent peu utilisés.

Toutefois, la pratique parlementaire a montré au Maroc que la marge d’influence de ces commissions que ce soit sur les propositions du gouvernement ou en ce qui concerne le suivi d’exécution du budget était très souvent mitigée. D’une part, le grand nombre des commissions est susceptible de briser l’homogénéité dans l’action parlementaire dans la mesure où chaque commission pourrait avoir sa propre interprétation et sa propre acception de l’intérêt collectif. Pourtant, cet élément risque de paralyser l’accomplissement d’un travail de synthèse et d’analyse des politiques publiques qu’exige une action concordante de toutes les commissions parlementaires ad hoc. D’autre part, une commission peut connaître des affaires relevant des domaines de deux ou plusieurs ministères entre lesquels il n’y a pas forcément des liens fonctionnels.

Or, il aurait été plus opportun si le travail parlementaire consistait à faire correspondre les compétences des commissions permanentes à celles des divers départements ministériels. Cela signifie qu’il faut se fonder essentiellement sur les critères fonctionnels et examiner les finances de l’Etat particulièrement en termes de politiques publiques et sur la base de critères macroéconomiques(332). Il faut mentionner que les commissions sectorielles sont loin d’être un acteur pourvu de véritables compétences susceptibles d’influencer raisonnablement le sort de l’argent du contribuable(333).

Pourtant, il parait substantiel de réhabiliter le rôle de ces commissions, surtout si l’on sait qu’elles ont, sans aucun doute, des éléments de réponse pour les questions débattues en leur qualité de représentants de la volonté générale de la nation. Ainsi, pour répondre aux exigences de la teneur organisationnelle d’examen financier, il faut améliorer le travail des dites commissions aussi bien au niveau de l’examen que d’exécution du budget.

285 DAMAREY (Stéphanie), « Exécution et contrôle des finances publiques », op.cit, p.161.
286 ELARAFI (H.), « Gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p.81.
287 CHABIH (J.), « les finances de l’Etat au Maroc », op.cit, p 319.
288 FIKRI (Abdelkbir), « le parlement marocain et les finances…. », op.cit, p 51 ; OUJMAA (Saïd),” les contrôle des finances publiques …», op.cit, p.36 et s. ZEMRANI (BENSALAH Anas), « Les finances de l’Etat au Maroc, Tome I : politique financière et droit budgétaire », op.cit, p.149.
289 Article 154 de la constitution de 2011.
290 ELARAFAI (H.), « Gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p.553.
291 FABRE (Francis-J), « Le contrôle des finances publiques », op.cit, p.192.
292 ELARAFI (Hassane), « Gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p.553.
293 HARAKAT(M.) « réflexion sur l’adaptation et l’application des contrôles de la cour des comptes au Maroc», op.cit, p.255.
294 KHOUDRY (Driss), “Le contrôle des finances de l’Etat au Maroc”, op.cit, p.169.
295 Ibid. p.160.
296 FIKRI (A), « le parlement marocain et les finances de… », op.cit, p. 46.
297 Ibid. p.47.
298 FIKRI (A), « le parlement marocain et les finances de… », op.cit, p.47.
299 Supra, section deuxième de ce chapitre.
300 HAOUARI (Sanae), « le pouvoir financier du parlement au Maroc/cas des bureaux d’analyse du budget à la lumière des expériences étrangères », op.cit, p. 176.
301 ELARAFI (Hassane), « Gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p.125.
302 ELARAFI (Hassane), « Gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p.126.
303 ELARAFI (Hassane), « Gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p.128.
304 HAOUARI (Sanae), « le pouvoir financier du parlement au Maroc/cas des bureaux d’analyse du budget à la lumière des expériences étrangères », op.cit, p. 176.
305 Ibid. p.177.
306 Cf. ELARAFI (Hassane), « Gestion des finances de l’Etat… », op.cit, pp.128-129.
307 Ibid. p.129.
308 Ledit article stipule que : « En cas de nécessité impérieuse d’intérêt national, des crédits supplémentaires peuvent être ouverts par décret en cours d’année en application de l’article 45 de la Constitution».
309 ELARAFI (Hassane), « Gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p.130.
310 MANSOURI (Hajer), « Le parlement évaluateur ; les leçons des expériences étrangères », p.53.
311 ELARAFI (Hassane), « Gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p.133.
312 CHABIH (J.), « les finances de l’Etat au Maroc », op.cit, p. 318 ; CAMBY (Jean-Pierre), « la réforme du budget de l’Etat. La loi organique… », op.cit, p.237 et s.
313 Supra, pour voir les modalités de vote et de discussion consulter la première section de ce travail.
314 Seul le gouvernement est habilité à déposer des projets de loi tendant à modifier le programme ainsi adopté.
315 FIKRI (A.), « le parlement marocain et les finances de l’Etat », op.cit, p.51.
316 Ibid. p.52.
317 MARTINEZ J.C.), DI MALTA (P.), « droit budgétaire », librairie technique, Paris, 1982, p.285.
318 Un cavalier budgétaire est une disposition insérée dans une loi de finances mais qui n’a aucun rapport avec l’objet de cette loi. Elles peuvent être insérées à l’initiative du Gouvernement ou à l’initiative du Parlement.
319 FIKRI (A.), « le parlement marocain et les finances de l’Etat », op.cit, p. 54.
320 OUJMAA (Saïd),” le contrôle des finances publiques …” op.cit, p.37.
321 CATHELINEAU(Jean), « les lois de finances rectificatives », Ed. Cujas, Paris, 1964, p.94.in Saïd OUJMAA, op.cit, p. 37.
322 ELARAFI (Hassane), « Gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p.81.
323 BOUTALEB (Hanae), «le contrôle parlementaire sur le gouvernement au Maroc : étude des trois premières années de la huitième législature », op.cit, p.33.
324 Ledit article stipule que : «Les projets et propositions de lois sont soumis pour examen aux commissions dont l’activité se poursuit entre les sessions ».
325 Pour la neuvième législature et conformément à ce qui ressort de l’article 35 du RICR tel que révisé en 2011, huit commissions sont crées au sein de la chambre des représentants qui sont :
1- la commission des affaires étrangères, de la défense nationale, des affaires islamiques et les marocains résidents à l’étranger.
2- la commission de l’intérieur, des entités territoriales, de l’habitat et la politique de la cité.
3- la commission de la justice, de la législation et des droits de l’homme.
4- la commission des finances et de développement économique.
5- la commission des secteurs sociaux.
6- la commission des secteurs productifs.
7- la commission des infrastructures, de l’énergie et de l’environnement.
8- la commission de l’enseignement, de la culture et la de la communication.
– Ces commissions sont au nombre de six à la chambre des conseillers conformément à ce qui ressort de l’article 48 du règlement intérieur de ladite chambre.
326 OUJMAA (Saïd), « le contrôle des finances publiques au Maroc », op.cit, p.40.
327 MOOTASSIM (Mohamed), « le rôle de contrôle des commissions parlementaires durant les trois premières sessions de la cinquième législature », revue marocaine d’administration locale et de développement », 11 avril, 1995, p.13 ( arabe).
328 ZHIRI(Fouzia), « les fonctions de législation et de contrôle de la chambre des représentants (étude de la législature 1977-1983 », thèse pour le doctorat d’Etat en droit public, p.239.
329 BOUTALEB (Hanae), «le contrôle parlementaire sur le gouvernement au Maroc : étude des trois premières années de la huitième législature », op.cit, p.35.
330 Voir à ce niveau l’article 40 du RICR et l’article 67 du RICC.
331 BOUTALEB (Hanae), «le contrôle parlementaire sur le gouvernement au Maroc : étude des trois premières années de la huitième législature », op.cit, p.40.
332 ELARAFI (Hassane), « Gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p.310.
333 Ibid. p.311.

Page suivante : Section 2 – Réparation des Manquements du suivi politique d’exécution budgétaire :

Retour au menu : Le pouvoir financier du parlement à la lumière de la nouvelle constitution : Exigences de mise en oeuvre