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Section 1 – Débat sur la titularité du pouvoir d’arbitrage – le rattachement au critère légal risque qui continue de peser sur le souscripteur

Après avoir évoqué les critères en concours, il conviendra de désigner celui qui semble
correspondre le plus à l’économie générale du contrat d’assurance vie multisupport.

§1 Critères exclus

La faculté d’arbitrage est née de la pratique. La loi ne régissant que de manière très parcellaire
le contrat d’assurance vie en unités de comptes, elle n’a pas encadré cette faculté, d’origine
purement contractuelle.

A/ Critère exclu du débiteur de la prestation d’assurance

La question mérite pourtant d’être posée. Me DEPONDT82, notaire, énonce ainsi la
problématique : « Qui est habile à gérer le passif (la dette de l’assureur envers le
souscripteur) ? […]Le ver était dans le fruit du jour où l’on a commencé à permettre aux
souscripteurs de choisir entre les unités de compte et par conséquent entre les supports
financiers de la créance du souscripteur. Qui va le faire ? Le souscripteur ? Mais alors,
l’assureur est-il autre chose qu’un dépositaire, au mieux un fiduciaire ? » Nous aurons
suffisamment exprimé l’analyse selon laquelle l’assureur gère son actif, les développements
qui précèdent auront écarté l’hypothèse dans laquelle l’assureur serait habilité à gérer son
passif, sauf à lui accorder un pouvoir léonin, que la rigueur juridique ne peut qu’écarter (voir
ci-dessus).

B/ Le critère exclu de la compétence technique

Compétence et pouvoir ne se confondent pas nécessairement en une même personne. Prenons
une comparaison simpliste, mais pourtant évocatrice : le propriétaire d’un terrain possède sur
celui-ci le pouvoir d’en user, d’en tirer les fruits et d’en abuser (l’usus, le fructus et l’abusus).
Il fera néanmoins appel à un entrepreneur du bâtiment pour y édifier un immeuble, à un agent
immobilier pour lui en confier la gestion locative et à un notaire pour en rédiger l’acte de
cession. En bref, point n’est besoin d’être assureur pour arbitrer entre les unités de compte en
« contemplation » desquelles s’établit la prestation d’assurance.
Point n’est besoin d’être spécialiste des assurances ou des supports financiers pour déterminer
les intérêts qui doivent présider aux arbitrages. Car c’est une chose de déterminer un objectif,
un autre est de choisir le bon cheminement pour l’atteindre. En bref, détenir la faculté
n’implique pas de savoir l’exercer.

C/ Le critère exclu de l’intérêt à la prestation

Si l’on adopte une démarche empirique et observe qui, dans les intervenants et intéressés au
contrat, est susceptible de détenir ce pouvoir, il apparaît au premier chef des intéressés, que le
créancier de la prestation d’assurance serait à titre principal intéressé à l’arbitrage, qui vise
essentiellement à revaloriser celle-ci.
A ce titre, le bénéficiaire désigné au contrat en cas de décès pourrait légitimement estimer être
le premier intéressé. Par le mécanisme de la stipulation pour autrui, énoncé à l’article L 112-1,
le bénéficiaire est doté d’une action directe d’origine légale pour l’exécution de la prestation
d’assurance : c’est consolider le droit de la personne désignée volontairement par le
souscripteur pour bénéficier de la prestation en cas de décès.
Est-ce à dire que l’arbitrage se fait pour le compte du bénéficiaire ? Il convient pour le
déterminer de se référer à l’intention de l’arbitre. Cette solution, pour concevable, fera l’objet
d’une preuve difficile à apporter tant est prégnante l’existence du droit de rachat, faculté
offerte au seul souscripteur et qui fait de l’assurance vie multisupport l’instrument d’épargne
souple que l’on connaît.
Quand le preneur d’assurance arbitre au contrat, est-ce par l’effet de la gestion d’affaires au
profit du bénéficiaire ? Cette hypothèse semble devoir être exclue, dans la mesure où quand
on arbitre, on cherche essentiellement à définir, dans les termes les plus avantageux possibles,
la prestation rachetable en cas de vie (et ce d’autant plus clairement que les contrats proposent
souvent une garantie plancher en cas de décès, qui a pour effet de rassurer le preneur sur la
teneur de cette seconde garantie) : le preneur cherche à protéger son propre intérêt.
On peut donc admettre que l’arbitre ne gère pas les affaires du bénéficiaire, à supposer que le
droit de créance conditionnel de ce dernier existe avec certitude (ce serait le cas en présence
d’une acceptation au sens de l’article L 132-9). Admettons toutefois que le contrat puisse, dans
des cas exceptionnels, être arbitré dans le but de gérer la dette de l’assureur comme étant
l’affaire du bénéficiaire désigné au contrat.
Il convient toutefois d’observer que le bénéficiaire le plus probable est généralement le
souscripteur lui-même : s’il n’est pas situé trop haut dans la pyramide des âges, il apparaît qu’il
ait généralement plus de chances de survie que de risque de décès dans le courant de la vie
contractuelle. Ce critère statistique est-il nécessaire pour nous convaincre que le bénéficiaire
en cas de décès n’est que rarement au coeur des préoccupations d’arbitrage ? Et ce d’autant plus
que les contrats prévoient généralement à leur profit une clause de garantie minimum en cas
de décès, propre à exclure cette préoccupation dans le processus des choix d’arbitrage.

D/ Le critère exclu du porteur du risque viager

L’assuré désigné au contrat est celui dont le décès causera immédiatement la survenance du
terme du contrat. Le porteur du risque de vie ou de mort n’est pas nécessairement le
souscripteur. N’omettons pas que le Code des assurances a encadré strictement le cas de
l’assurance sur tête d’autrui, dont la licéité est soumise au consentement de l’assuré83. Dans
cette mesure , le contrat d’assurance vie peut être légitimement souscrit sur tête d’autrui. A
titre d’exemple, un grand-père peut décider de souscrire un contrat d’assurance vie sur la tête
de son fils au profit de son petit-fils.
Quand bien même cette opération semblerait légitime (ce que tend à vérifier l’accord
nécessaire de l’assuré), c’est néanmoins sur la tête de ce dernier que l’on spéculera sur les
unités de compte au contrat. Imaginons que l’on arbitre en faveur d’unités de compte à
rendement à court terme si l’on craint le décès prématuré de l’assuré (sans pour autant le
souhaiter). Imaginons que l’on arbitre sur des unités de compte correspondant à un horizon à
plus long terme si – hypothèse moins alarmante – l’assuré sort guéri d’une longue maladie.
En définitive, et qu’importe ce que dicte la morale, l’assuré au contrat pourrait considérer
comme légitime de déterminer le type d’unités de compte en arbitrant au contrat. Ce n’est
toutefois pas le critère déterminant, puisque nous nous laisserons convaincre par le critère
posé incidemment par le législateur, celui du risque patrimonial.

§ 2 – Le critère légal : le risque patrimonial

L’on déduit des termes de l’article L. 131-1 Code des assurances que dans les assurances vie
multisupport, le souscripteur reste le porteur du risque financier. En contrepartie de
l’engagement de l’assureur, le souscripteur réduit son patrimoine pour verser les primes ; c’est
lui dont le patrimoine est le premier affecté par l’existence du contrat d’assurance vie souscrit.
En contrepartie de l’engagement de l’assureur, le souscripteur verse les primes, qui
constituent le prix de la prestation d’assurance.
C’est à ce titre qu’il paraît le plus enclin à détenir la faculté d’arbitrage entre les unités de
compte.
Le souscripteur84 est le cocontractant de l’assureur. En aménageant la clause d’arbitrage, l’on
aménage donc ses droits au titre du contrat d’assurance. Notons d’ailleurs que le souscripteur
est souvent le bénéficiaire du contrat en cas de vie, et celui qui bénéficiera des opérations de
rachat.
Celui qui engage ses deniers sous forme de prime détient le pouvoir de déterminer la
contrepartie de son obligation. C’est ainsi que l’article A132-4 (dans une annexe destinée à
préciser les informations obligatoires au contrat), impose, dans les « contrats comportant des
garanties exprimées en unités de compte : [l’]énonciation des unités de compte de référence
et pour chaque unité de compte sélectionnée par le souscripteur […l’]indication des
caractéristiques principales[…] » (souligné par nous). C’est lui reconnaître expressément
cette faculté. C’est à ce titre également que les clauses contractuelles aménagent cette faculté.
Citons à titre d’exemple une clause énoncée, comme généralement, dans les conditions
générales du contrat (en l’espèce dans un contrat collectif) :
“ARBITRAGE (modification de répartition)
L’adhérent peut effectuer à tout moment un arbitrage et modifier ainsi la répartition de
la valeur de rachat de son adhésion. […]”
Le critère ainsi posé désigne le porteur de risque patrimonial et non le porteur de risque
viager.
Le critère légal s’attache, plus qu’à des qualités financières, à la faculté du souscripteur de
jauger l’opportunité de prendre un risque, à sa plus ou moins grande aversion au risque, aux
objectifs individuels qui évoluent naturellement en fonction de sa situation personnelle – un
jugement que le souscripteur seul pourra porter, au plus proche de ses intérêts patrimoniaux.
Plutôt que de s’attacher à la compétence financière susceptible de valoriser au mieux un
portefeuille, il s’attache en amont à la faculté de déterminer quel profil de risque mérite d’être
adopté. De même que le propriétaire assuré d’un local continue de porter le risque d’incendie
contre les conséquences duquel il s’assure, le souscripteur continue de porter le risque, comme
dans toute autre assurance.

82 Axel DEPONDT, “La gestion sous mandat dans les contrats d’assurance-vie en unités de compte : un non-sens
juridique “, OMNIDROIT, Newsletter N°93, 07 avril .2010, portée en ANNEXE aux présentes
83 L 132-2
84 Nous retenons ici le souscripteur comme cocontractant en assurance vie individuelle, auquel il convient
d’assimiler l’adhérent d’un contrat multisupport collectif.

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