L’opération juridique, cause de toutes ces discussions, est toujours le contrat
d’assurance vie souscrit à titre gratuit au profit d’un tiers bénéficiaire qui l’accepte, avec
dénouement au décès du souscripteur/assuré. En effet, cette opération est en premier lieu un
contrat d’assurance vie. Elle a été souscrite en tant que telle. Mais, comme précédemment mis
en exergue dans notre analyse, il a été conclut et admis par de très nombreux auteurs et
également par la jurisprudence que cette opération peut réaliser une libéralité indirecte.
Suite au constat qui a été fait que cette opération pouvait réaliser une libéralité, la
doctrine s’est logiquement interrogée sur la combinaison entre ces deux qualifications. Plus
précisément, l’interrogation réside dans le fait de savoir si ces deux qualifications sont
cumulatives ou si, au contraire, elles sont exclusives l’une de l’autre. Les avis des auteurs
divergent profondément sur le sujet. Quant à la jurisprudence, on ne peut qu’interpréter sa
position au vu des arrêts qu’elle rend et des qualifications qu’elle admet pour cette opération.
Certains auteurs font valoir que les qualifications d’assurance vie et de libéralité, pour
un contrat d’assurance vie souscrit à titre gratuit au profit d’un tiers bénéficiaire acceptant,
sont cumulatives. Plus précisément, pour les auteurs partageant ce point de vue, ces deux
qualifications ne seraient pas nécessairement exclusives l’une de l’autre. En effet, il vrai que
l’optique de souscription qui anime le souscripteur, c’est-à-dire l’intention du souscripteur au
moment de la souscription d’un tel contrat est de donner, de transmettre une partie de son
patrimoine au bénéficiaire. Pour fonder leur argumentation, ces auteurs recherchent l’objectif,
le but dans lequel un tel contrat d’assurance vie a été souscrit. Ils en concluent, qu’en
désignant un tiers bénéficiaire afin qu’il reçoive le capital décès au moment du dénouement
du contrat, le souscripteur a nécessairement voulu gratifier ce tiers bénéficiaire acceptant.
Le souscripteur, en concluant un tel contrat d’assurance et en désignant un tiers bénéficiaire qui a
accepté de recevoir le bénéfice du contrat, a réalisé une libéralité et dans certains cas, une
donation indirecte. De leur point de vue, c’est la souscription d’un contrat d’assurance en cas
de décès à titre gratuit et la désignation d’un tiers bénéficiaire acceptant qui constitue une
libéralité. Par conséquent, il est cohérent que ces auteurs prônent le cumul des qualifications
d’assurance vie et de libéralité car ils les considèrent comme étant interdépendantes. Si cette
opinion se conçoit en théorie, elle semble trouver sa limite en pratique. En effet, lorsque l’on
admet un cumul des qualifications d’assurance vie et de libéralité, la question vient à se poser
du régime juridique applicable en pratique. Faut-il appliquer le régime des libéralités ou celui
des assurances vie à cette opération ?
Cependant, au regard des décisions rendues récemment par le Conseil d’Etat et par la
Cour de Cassation, dont l’arrêt de la Chambre Mixte de la Cour de Cassation en date du 21
décembre 2007 est la décision la plus connue, la qualification d’un contrat d’assurance vie en
donation indirecte revêt désormais un caractère exceptionnel. Cette qualification de donation
est admise concernant un contrat d’assurance lorsque ce dernier remplit les conditions posées
à l’article 894 du Code civil(67). Il découle de ces décisions que les qualifications d’assurance
vie et de donation (libéralité) ne seraient plus cumulatives, comme la jurisprudence a pu le
penser et le dire pendant un temps, mais seraient au contraire exclusives l’une de l’autre.
Selon nous, il est vrai que ces qualifications de contrat d’assurance vie et de libéralité
doivent être exclusives l’une de l’autre si on prend en compte les conséquences que cette
qualification entraîne, à savoir, le régime juridique applicable. En effet, ces deux
qualifications possibles et envisageables ont des régimes juridiques et surtout fiscaux qui
diffèrent profondément. L’un va dans le sens d’une exonération fiscale alors que l’autre va
dans le sens d’une taxation des transmissions patrimoniales. Il semble donc, au regard de la
pratique, qu’il faille envisager ces deux qualifications comme étant exclusives l’une de l’autre
afin de pouvoir appliquer un régime juridique déterminé(68). Par ailleurs, un contrat d’assurance
vie souscrit à titre gratuit au profit d’un tiers bénéficiaire avec un dénouement prévu au décès
du souscripteur/assuré traduit toujours l’intention libérale du souscripteur.
Mais, il est à constater qu’il est des cas dans lesquels ce contrat ne réalise pas pour autant une
libéralité ni même une donation indirecte. En effet, comme on vient de le voir, pour que la
qualification de donation indirecte soit admise concernant un tel contrat d’assurance vie, il faut que
ce dernier remplisse les conditions de l’article 894 du Code civil. Ce contrat doit traduire la volonté du
donateur de se dépouiller irrévocablement en faveur du donataire qui, lui, devra accepter cette
stipulation faite à son profit. Or, il est effectivement des circonstances dans lesquelles un
contrat d’assurance en cas de décès souscrit à titre gratuit au profit d’un tiers bénéficiaire ne
remplit pas ces conditions précédemment énoncées.
C’est notamment le cas pendant la période entre la souscription de ce contrat d’assurance vie par le
donateur et l’acceptation par le bénéficiaire de recevoir le bénéfice du contrat d’assurance lors du
décès dusouscripteur/assuré(69). Pendant cette période, l’intention du souscripteur de gratifier le
donataire est certes présente mais l’opération ne peut pas être qualifiée de donation indirecte
car elle n’est pas irrévocable. En effet, tant que le bénéficiaire n’a pas accepté la stipulation
faite à son profit, le souscripteur peut changer d’avis et modifier la désignation du bénéficiaire
qu’il avait pu faire. Tant que le bénéficiaire n’a pas accepté le bénéfice du contrat d’assurance
vie, le souscripteur ne stipule pas irrévocablement envers le bénéficiaire. Une donation n’est
consentie qu’au moment où le tiers bénéficiaire accepte le bénéfice du contrat d’assurance
vie.
Par ailleurs, même une fois que le bénéficiaire a accepté de recevoir le bénéfice du
contrat d’assurance vie, si l’on va dans le sens des thèses de Jérôme Kullmann, le souscripteur
peut continuer à procéder à des rachats partiel ou total de son contrat et ainsi, indirectement,
diminuer le montant de la donation qu’il aura auparavant consentie au bénéficiaire. Il existe
donc des cas dans lesquels l’intention libérale du souscripteur même si elle est toujours
présente, la qualification de donation indirecte ne peut pas être appliquée car la donation n’est
pas irrévocablement acquise au bénéficiaire.
Si on se concentre sur la qualification plus généraliste de libéralité, la conclusion
semble être la même. L’appauvrissement du souscripteur, du donateur est établi, il est
irrévocable à partir du moment où ce dernier a souscrit son contrat d’assurance vie. Mais, en
revanche, tant que le bénéficiaire désigné n’a pas accepté le bénéfice du contrat, son
enrichissement qui doit être nécessairement corrélatif de l’appauvrissement du souscripteur,
n’est pas certain car le souscripteur/donateur peut changer d’avis et décider de gratifier une
autre personne, qu’il désignera alors comme nouveau tiers bénéficiaire.
Une fois constaté qu’il existe des situations dans lesquelles un contrat d’assurance vie
en cas de décès souscrit à titre gratuit au profit d’un tiers bénéficiaire peut ne pas réaliser une
donation indirecte et même plus généralement peut ne pas réaliser une libéralité, on ne peut,
en conséquence, pas considérer qu’un cumul de qualification soit possible. En effet, la
qualification d’un contrat d’assurance vie en libéralité n’étant pas systématique, cela signifie
pour nous que les deux qualifications doivent être exclusives l’une de l’autre.
Par ailleurs, nous pensons que ces deux qualifications ne peuvent pas non plus être considérées comme
cumulatives uniquement dans le cas où la qualification de libéralité est applicable au contrat
d’assurance vie car une telle situation serait ingérable en pratique. Il ne serait en effet pas
possible de déterminer un régime juridique applicable à cette situation particulière.
67 Cf supra.
68 Cf infra.
69 Annexe 7 : La vie d’un contrat d’assurance vie en cas de décès souscrit à titre gratuit au profit d’un tiers
bénéficiaire