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Section 1 – Faute intentionnelle en droit québécois

ADIAL

La faute volontaire de l’assuré a fait l’objet d’une évolution légale et jurisprudentielle
remarquable en droit du Bas-Canada. Pour plus de clarté, le propos sera divisé en deux
sous-parties, la première étant consacrée au régime de la fraude ou de la négligence
grossière de l’assuré avant la réforme de 1976, et la seconde à la faute intentionnelle
après ladite réforme.

§ 1 – Fraude ou négligence grossière de l’assuré avant 1976

Le Code civil du Bas-Canada, abrogé par la loi du 1er janvier 1994 instaurant le Code civil
du Québec, disposait à son article 2476 que « l’assurance peut être stipulée contre toute
perte provenant d’accidents inévitables ou de force majeure, ou d’évènements sur
lesquels l’assuré n’a pas de contrôle, sauf les règles générales relatives aux contrats
contraires à l’ordre public et aux bonnes moeurs ». Par ailleurs, l’article 2578 prévoyait
que l’assureur était tenu d’indemniser les sinistres qui n’étaient pas dus à la fraude ou à la
négligence grossière de l’assuré. Enfin, l’article 2505, en matière d’assurances maritimes,
prévoyait un dispositif analogue(55).

Il ressortait de ces dispositions que si l’assureur parvenait à prouver que l’assuré avait agi
avec une négligence caractérisée, rien ne s’opposait à ce qu’il refuse sa garantie. Il a
notamment été jugé en 1930(56) qu’un individu ayant mis le feu à une grange sous l’empire
d’un état alcoolique a commis une négligence grossière permettant à l’assureur de dénier
sa garantie. La sanction apparaissait toutefois quelque peu disproportionnée : en aucun
cas l’assuré n’a souhaité causer le moindre dommage ; il était simplement bien trop ivre
pour se rendre compte de ce qu’il faisait. Mais telle était la conception de l’époque : il était
considéré comme immoral de couvrir les comportements irresponsables.

A la même époque cependant, le parlement français adoptait la grande « Loi assurance »
du 13 juillet 1930, laquelle interdit la couverture par l’assurance de la seule faute
intentionnelle. Outre Atlantique, il fallut attendre la réforme de 1976 pour qu’une
disposition similaire à l’article 12 de la loi française de 1930 soit insérée au Code civil du
Bas-Canada.

§ 2 – Faute intentionnelle de l’assuré après 1976

La réforme de 1976 a inséré la notion de « faute intentionnelle » à l’article 2563 du Code
civil du Bas-Canada. Cette disposition sera ensuite reprise dans le Code civil du Québec à
l’article 2464 alinéa 1er. Ainsi, cet article dispose que « l’assureur est tenu de réparer le
préjudice causé par une force majeure ou par la faute de l’assuré, à moins qu’une
exclusion ne soit expressément et limitativement stipulée dans le contrat. Il n’est toutefois
jamais tenu de réparer le préjudice qui résulte de la faute intentionnelle de l’assuré ». Or, il
s’avère que le concept de « faute intentionnelle » était jusqu’alors inconnu du droit
canadien, puisque directement inspiré de la loi française de 1930. C’est la raison pour
laquelle cette notion a fait l’objet d’une remarquable évolution jurisprudentielle.
Cette conception de la faute intentionnelle, assimilable à la négligence grossière, a hérité
de la tradition jurisprudentielle d’avant 1974. Ainsi, pendant cette période, l’assureur a pu
se fonder sur les graves négligences commises par son assuré, y compris les enfants
mineurs, pour refuser d’apporter sa garantie. Ainsi, la Cour provinciale du Québec a pu
considérer que deux mineurs ayant mis accidentellement le feu à une maison qu’ils étaient
en train de cambrioler ne pouvaient prétendre bénéficier de l’assurance de responsabilité
civile souscrite par leurs parents, au motif qu’ils avaient commis une faute intentionnelle(57).

Cette position jurisprudentielle apparaissait extrêmement restrictive car en aucun cas la
faute intentionnelle ne peut être assimilée à une négligence. Dans la décision précitée, à
aucun moment les mineurs mis en cause n’ont souhaité incendier le bâtiment dans lequel
ils s’étaient introduits. La faute intentionnelle aurait donc dû être écartée, puisqu’à défaut,
la réforme intervenue en 1974 devenait sans objet. C’est la raison pour laquelle la
jurisprudence québécoise a par la suite modifié sa solution.

A – Faute intentionnelle et accident

Les juges québécois ont abandonné la notion de négligence grossière pour se référer à la
notion d’accident. En effet, dès lors que le sinistre survenu peut être qualifié d’accidentel,
en ce sens que le dommage n’avait pas été souhaité par son auteur, la faute intentionnelle
est exclue, et l’assureur tenu à garantie.

Sachant que la Cour suprême du Canada a défini l’accident comme « une mésaventure
inattendue ou un malheur qui n’est ni prévu, ni recherché »(58), les juges québécois se sont
fondés sur cette définition pour considérer comme accidentel le sinistre causé par deux
enfants jouant avec le feu à proximité de bâtiments commerciaux(59). En effet, ceux-ci n’ont
à aucun moment souhaité la réalisation du dommage, et plus encore, ils ne l’ont pas
envisagé. Il semble donc que cette nouvelle position jurisprudentielle se rapproche de la
conception française de la faute intentionnelle, mais elle s’en détache encore car la Cour
de cassation exige non seulement un geste volontaire, mais aussi une volonté tendue vers
la réalisation du sinistre effectivement survenu.

B – Faute intentionnelle et dommage intentionnel

Ce troisième courant est contemporain. Il exige, pour retenir la faute intentionnelle, que le
dommage ait été recherché par l’assuré ; la preuve de cette volonté doit être rapportée par
l’assureur. Ainsi, dans une affaire jugée en 2000(60), un automobiliste avait pris le volant de
son véhicule sous l’empire d’un état alcoolique et cocaïnomane. Il ne manqua donc pas
d’entrer en collision avec un engin de déneigement. Or, son assureur invoqua la faute
intentionnelle de l’article 2464 du Code civil du Québec pour dénier sa garantie. Les juges
de première instance, comme les juges d’appel, n’ont pas suivi cette argumentation. Ils ont
en effet considéré que « le fait de s’enivrer ou de conduire en état d’ébriété implique une
faute, voire une faute lourde ou même une négligence grossière mais cela ne suffit pas
pour conclure à une faute intentionnelle ». Dans cette affaire, les juges semblent s’être
inspirés de la conception française de la faute intentionnelle : une négligence est
insuffisante, il faut avoir voulu causer le dommage.

L’intention de l’assuré est alors au coeur du débat : il ne suffit pas de prendre en compte
les conséquences prévisibles de la faute, encore faut-il analyser l’état d’esprit de son
auteur. Ainsi, dans une affaire jugée en 2000 par la Cour d’appel de Montréal(61), un
individu ayant tenté de se suicider a provoqué une explosion, puis un incendie au sein de
son immeuble. Le matin précédant le drame, il avait acheté et ingurgité une douzaine de
bières, puis était rentré chez lui pour ouvrir le gaz de la cuisinière. Il traversa ensuite le
salon et alluma une cigarette. Les juges de la Cour d’appel de Montréal contredisent le
raisonnement des premiers juges en considérant dans cette affaire que la pleine
conscience de l’assuré quant au dommage qui surviendrait nécessairement n’est que
présumée, et que ces présomptions sont insuffisantes pour affirmer que l’assuré a
souhaité, en toute conscience, à la fois le fait dommageable, et le dommage effectivement
survenu. Il semble plutôt qu’il n’ait pas anticipé les dommages causés à l’immeuble. Dès
lors, la faute intentionnelle ne peut pas être retenue et l’assureur est tenu à garantie. A
noter que depuis les années 2000, la Cour suprême du Canada a fixée la jurisprudence
en la matière(62) : « l’assuré doit non seulement rechercher la réalisation du risque, mais
aussi celle du dommage lui même ». Cette conception de la faute intentionnelle semble
très proche de celle choisie par le droit français des assurances.

55 Cl. Belleau, Faute intentionnelle et acte criminel en droit québécois des assurances, Mélanges H. Groutel,
Litec 2006, p. 23.
56 Larose c/ Corporation d’assurance Mutuelle de la Paroisse de Verchère (1930) 68 CS 331.
57 Groupe Desjardins Assurances générales c/ Dufort (1985) CP 174.
58 Canadian Indemnity Company c/ Walkem Machinery and Equipment LTD (1991) 1 RCS 309, 318
59 La Royale du Canada c/ Légaré (1991) RJQ 1991 (CS).
60 Général Accident, Compagnie d’assurance du Canada c/ Le Groupe Commerce Compagnie d’assurance,
(2000) REJB 2000-16651.
61 La Royale du Canada, Compagnie d’assurance c/ Curateur public, (2000) RRA 594 (CA).
62 Compagnie d’assurance vie Transamerica du Canada c/ Goulet, (2002) 1 R.C.S. 719, 2002 CSC 21, 2002
CSC 21 (2002).

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