§1. Principe : responsabilité pour faute
Depuis l’arrêt « Mercier »(18) du 20 mai 1936, sur lequel reposent encore les principes majeurs de la responsabilité médicale, la relation médecin/patient est une relation de nature contractuelle.
On a assisté à partir de 1980 à une évolution du contentieux en la matière tant du fait de l’augmentation des réclamations: la société acceptant de moins en moins les échecs médicaux et perdant confiance en la médecine, que du fait de l’élargissement des principes de la responsabilité civile matérialisé par l’appréciation plus souple de la notion de « faute » et la mise en place de la responsabilité sans faute.
Tout ceci conduit à une situation complexe à la fin de l’année 1990 provoquant l’insatisfaction des médecins, dont la responsabilité civile est de plus en plus facilement engagée, mais également l’insatisfaction des patients du fait du refus d’indemnisation de l’aléa thérapeutique. Une intervention des pouvoirs publics était alors indispensable.
La loi du 4 mars 2002 a avant tout permis de donner à la responsabilité civile médicale un fondement légal: l’article L1142-1 I du Code de la santé publique. La Cour de cassation affirme ainsi que « pour les soins dispensés après le 5 septembre 2001, date d’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, la responsabilité des professionnels de santé est devenue une responsabilité légale. Les obligations de ces derniers sont en effet entièrement définies par la loi, de sorte que le fondement contractuel, qui a pu s’imposer naguère, revêt à présent un caractère artificiel. »(19)
Le principal apport de la loi du 4 mars 2002 a été la fixation et l’unification du régime de la responsabilité civile médicale. Elle a posé le principe d’une responsabilité pour faute tout en réservant l’exception d’une responsabilité sans faute dans deux cas particuliers.
Les médecins sont soumis à une obligation de prudence et de diligence (obligation de moyens), compte tenu de la nature aléatoire de l’art médical. La responsabilité de ces derniers est subordonnée à la preuve d’une faute commise dans l’accomplissement de l’acte médical.(20) Cette faute médicale ne peut pas constituer une simple erreur, toutefois toute faute même légère engage la responsabilité civile. L’exception concerne le défaut de diagnostic prénatal où dans ce cas la preuve d’une faute caractérisée est nécessaire.
La faute médicale a été définie comme l’absence de soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science et s’apprécie in abstracto au regard du comportement du praticien prudent et avisé placé dans les mêmes circonstances.
Les fautes médicales peuvent être diverses: la distinction est généralement faite entre d’une part les fautes contre la conscience médicale et d’autre part les fautes contre la science.
Ainsi, les fautes commises à l’encontre de la conscience médicale comprennent la violation de l’obligation d’information du patient ainsi que la violation du consentement de ce dernier. La première est une obligation légale: il est, en effet, expressément prévu dans la loi que « toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé »(21). S’agissant de la nature du préjudice, le juge administratif s’est rallié à la position de la Cour de cassation qui consacre l’autonomie de la réparation du manquement à l’obligation d’information en retenant l’existence d’un préjudice moral.(22)
Le consentement du patient est, quant à lui, prévu à l’article L1111-4 du Code de la santé publique : « aucun acte médical, ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne. » Notons que des cas particuliers ont toutefois été prévus notamment pour les mineurs ou incapables majeurs ou encore si la personne est inconsciente.
Par ailleurs font partie des fautes commises contre la science: la faute de diagnostic, la faute dans le choix du traitement et la faute dans l’exécution des soins. S’agissant de l’erreur de diagnostic, celle-ci n’est pas fautive en soi, le juge tient compte de la difficulté ou de l’ambiguïté des symptômes, du soin mis à l’élaboration du diagnostic et du respect des règles de l’art au moment des faits. En effet, il y a faute si le diagnostic est établi à la légère, en négligeant de solliciter les renseignements nécessaires, de procéder aux examens de contrôle ou d’investigation qui s’imposent ou de solliciter des avis éclairés.(23)
Concernant le choix d’une thérapeutique, le principe consiste en le libre choix des traitements proposés au malade. Toutefois, une faute médicale peut être reconnue en cas de non-conformité aux règles de l’art, de traitement non-adapté à l’état du patient(24) ou encore de risque disproportionné au regard de l’état de santé du patient et aux autres thérapeutiques existantes.
Enfin, la faute dans l’exécution des soins peut résulter d’une négligence, d’une imprudence ou d’une maladresse. Notons pour exemple que « toute atteinte d’un organe non visé par l’intervention est constitutive d’une faute »(25).
Pour que la responsabilité civile du médecin soit engagée, l’existence d’un lien de causalité est nécessaire. En effet l’auteur d’une faute ne peut être condamné à réparation que si sa faute a contribué de façon directe à la production du dommage.(26)
La charge preuve de la faute pèse sur le patient, aucune présomption n’est admise. En effet, la Cour de cassation a affirmé que « la preuve de la faute ne peut se déduire de la seule anormalité du dommage et de sa gravité ».(27)
En parallèle à cette responsabilité civile médicale pour faute, la loi du 4 mars 2002 a mis en oeuvre un régime dérogatoire concernant les produits de santé et les infections nosocomiales.
§2. Exception: responsabilité sans faute
Avant même la loi du 4 mars 2002, la jurisprudence avait instauré une obligation de sécurité de résultat à la charge des établissements de santé ainsi que des médecins dans certaines hypothèses.
Dans un premier temps ce régime jurisprudentiel de responsabilité sans faute a concerné les fournitures de prothèses et de dispositifs médicaux. Ainsi dans un arrêt « Bismuth » la Cour de cassation a décidé qu’un chirurgien-dentiste était tenu en tant que fournisseur d’une prothèse d’une obligation de résultat l’obligeant à délivrer un appareil « sans défaut ».(28)
Puis, cette jurisprudence a été systématisée en 1999 puisqu’il a été jugé que « le contrat formé entre le patient et son médecin met à la charge de ce dernier, sans préjudice de son recours en garantie, une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les matériels qu’il utilise pour l’exécution d’un acte médical d’investigation ou de soins ».(29) Toutefois il incombe au patient de prouver que le matériel qu’il incrimine est bien à l’origine de son dommage. Cette jurisprudence avait vocation à s’appliquer à tout médecin ou établissement de santé privé qui utiliserait un dispositif médical quelconque pour donner des soins à un malade.
Une telle obligation de sécurité de résultat a également été retenue en matière de sang délivré par un centre de transfusion sanguine. Un arrêt de principe a été rendu le 12 avril 1995 sur le drame du sang contaminé en décidant que « le vice interne du sang, même indécelable, ne constitue pas, pour l’organisme fournisseur, une cause qui lui est étrangère et que les obligations des centres de transfusion sanguine quant à la conservation du sang et à sa délivrance, dont ils ont le monopole, ne les dispensent pas de réparer les conséquences dommageables dues à la fourniture du sang nocif. »(30)
La Cour de cassation est aussi intervenue dans le domaine très sensible des infections nosocomiales en retenant « une obligation de sécurité de résultat à la charge des établissements de santé privés, ainsi que des médecins, dont ils ne peuvent s’exonérer que par la preuve d’une cause étrangère. »(31)
Le dénominateur commun de toutes ces décisions est l’exigence de perfection, d’absence de tout défaut aussi bien des dispositifs médicaux que des mesures d’asepsie. Le risque « d’imperfection » pèse donc sur l’établissement de santé et/ou le médecin.
La loi Kouchner du 4 mars 2002 s’est contentée de donner un fondement légal à cette jurisprudence en instaurant un régime dérogatoire de responsabilité civile sans faute dans deux hypothèses. En effet, le domaine de ce régime comprend d’une part la responsabilité du professionnel ou de l’établissement en raison de dommages causés par un produit de santé, et d’autre part la responsabilité des établissements en cas de dommages résultant d’une infection nosocomiale.(32)
Il est important de noter que l’absence de présomption de causalité dans les régimes de responsabilité sans faute a été maintenue ce qui permet de nuancer la responsabilité objective pesant sur le professionnel ou l’établissement de santé.
18 Cass. civ. 1ère, 20 mai 1936, D 1936, 1, p. 88 À 96, note signée « E.P », rapport Josserand et conclusions Matter « attendu qu’il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat, sinon bien évidemment de guérir le malade, (…), du moins de lui donner des soins, non pas quelconque (…), mais consciencieux, attentifs, et réserve faite de circonstances exceptionnelles, conforme aux données acquises de la science (…)
19 Rapport de la Cour de cassation de 2010.
20 Cass. civ. 1ère, 4 janv. 2005
21 Art. L.1111-2 C. santé publ.
22 CE, 10 oct. 2012, n°350426, RCA déc. 2012, comm. 351
23 Cass, civ. 1ère 27 nov. 2008, pourvoi n°07-15.963, publié au bulletin: « en présence d’un doute sur son diagnostic, les articles 32 et 33 du code de la déontologie (R4127-32 et 33 C. santé publ.) font un devoir au praticien de recourir à l’aide de tiers compétents ou de concours appropriés »
24 Cass. civ 1ère, 28 sept. 2010, n°09-10.992
25 Cass. civ 1ère, 18 sept. 2008, n°07-12.170
26 Cass. civ 1ère, 9 nov. 1999, Bull. 1999, I, n°300, p.195, pourvoi n°98-10.010
27 Cass. civ 1ère, 27 mai 1998, Bull. n°187
28 Cass. civ 1ère, 29 oct. 1985, pourvoi n°83-17.091, publié au bulletin
29 Cass. civ 1ère, 9 nov. 1999, Bull. n°300
30 Cass. civ 1ère, 12 avril 1995, Bull. 1995, I, n°180, p.130, pourvois n°92-11.950 et 92-11.975
31 Cass. civ 1ère, 29 juin 1999, Bull. N°220 et 222
32 Art. L.1142-1 du C. santé publ.