Dans le domaine de l’assurance construction, la situation est délicate. Si en théorie, la procédure d’agrément unique est respectée (§1), en pratique, des difficultés nuisent à la bonne application des libertés d’établissement et de libre prestation de services. (§2)
§ 1: L’application des principes de libre établissement et de libre prestation de services en théorie
En France, une procédure d’agrément administratif est imposée à toute entreprise française. Celle-ci doit être effectuée avant tout commencement d’activité. Elle comporte trois grandes catégories de renseignements dont l’identité de l’entreprise, la nature de l’activité ainsi que les prévisions d’activités. Ce qui va retenir notre attention dans le développement qui suit est le cas des entreprises communautaires et étrangères.
Par l’adoption des directives assurances 73/239/CEE de 1973 et 79/267/CEE de 1979, « toute entreprise d’assurance a eu la possibilité d’ouvrir des établissements dans tout Etat membre(145). » Le principe de libre prestation de services a été institué par « la deuxième génération de directives assurances(146 )».
Enfin, et ce sont celles qui vont le plus retenir notre attention, les directives 92/49/CEE du Conseil du 18 juin 1992 et 92/96 du Conseil du 10 novembre 1992 qualifiées de « troisième génération(147) » prévoient des modifications aux précédentes directives.
Elles instaurent un « principe de spécialité(148) », une « harmonisation des règles prudentielles applicables à l’ensemble des entreprises d’assurance de l’Espace économique européen(149) » en matière de solvabilité ainsi qu’un agrément unique qui par le principe de reconnaissance mutuelle va permettre à une entreprise d’assurance agréée dans l’Etat membre de son siège social d’opérer soit sous le régime de la LPS(150), soit sous celui de la LE(151), dans tous les Etats membre de l’Union Européenne. Dès lors, il n’existe qu’un territoire, le territoire de l’Union européenne.
Enfin, elles instituent le principe du « Home Country control(152) » qui implique la mise en place « par l’Etat membre d’origine d’un contrôle des entreprises d’assurances communautaires depuis le siège social(153) ».
En principe, les entreprises ressortissantes de l’Union européenne, bénéficient de l’exercice des principes de libre établissement et de libre prestation de services. Aucun agrément administratif n’est requis. La procédure à suivre est la suivante :
Dans un premier temps, il est nécessaire que l’entreprise revête une forme juridique conforme à celle existant au sein de son Etat d’origine. A défaut, une autre option existe et prévoit que la société puisse adopter la forme de société anonyme européenne.
Dans un second temps, il est fait application du principe du Home Country Control permettant d’une part, « la compétence principale des autorités de l’Etat membre d’origine sur les succursales et l’activité fournie en libre prestation de services dans les autres Etats membres(154) », d’autre part, « la possibilité donnée aux autorités de l’Etat membre d’origine de procéder elles-mêmes à des vérifications sur place auprès des succursales établies dans un autre Etat membre(155). »
Puis, selon l’article 6 de la directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil sur l’intermédiation en assurance en date du 9 décembre 2002, l’entreprise communautaire souhaitant exercer en France doit notifier son intention aux « autorités compétentes de l’Etat membre d’origine. » Ce dernier, communiquera alors, l’intention de l’entreprise à l’autorité compétente de l’Etat membre d’accueil.
Enfin, après un délai d’un mois à compter de la date à laquelle l’entreprise a été informée « par les autorités compétente de l’Etat membre d’origine de la communication(156) » de la transmission de sa notification à l’Etat membre d’accueil, l’entreprise peut commencer à exercer.
Cependant, « cet intermédiaire peut commencer son activité immédiatement si l’Etat membre d’accueil ne souhaite pas en être informé(157). » Cette notification est régit par l’article R.511-2 6° du Code des assurances. Une fois cette formalité remplie, l’entreprise peut exercer au sein de l’Etat membre d’accueil, par le biais, soit de la libre prestation de services, soit du principe de libre établissement.
Les entreprises étrangères hors Union Européenne appartenant à l’Espace Economique Européen tel que la Norvège, l’Island ou le Liechtenstein, sont soumises à l’obtention d’un agrément administratif, pour pouvoir exercer au titre de la liberté d’établissement ou de la libre prestation de services.
Néanmoins, cette affirmation doit être tempérée. La loi distingue selon que le principe de libre prestation de services est exercé passivement. Cela signifie que l’initiative de souscrire une police d’assurance appartient au client. Dans ce cas, l’entreprise peut exercer librement.
In contrario, lorsque la libre prestation de service est exercée de manière active, tel est le cas en faisant du démarchage, alors un agrément spécial administratif et financier doit être obtenu.
En ce qui concerne les entreprises étrangères ne faisant ni partie de l’Union européenne ni de l’Espace Economique Européen, l’obtention d’un agrément administratif de base et celle d’un agrément spécial visant les informations financières est requis.
Cet agrément spécial est subordonné à l’acceptation par l’autorité de contrôle d’un mandataire général qui, soit, résiderait en France, soit y aurait son siège auquel cas, le représentant légal de cette personne morale doit résider en France. L’autorité de contrôle peur exiger la constitution d’un cautionnement par réciprocité avec le pays d’origine.
Malgré la mise en place de cette procédure d’agrément adressée aux entreprises d’assurance ressortissantes de l’Union européenne souhaitant exercer en France, des difficultés ont tout de même été soulevées notamment, par la Fédération des assureurs allemands, Gesamtverband Der Deutschen Versicherungswirtschaft, qui regrettait « l’existence de problèmes rencontrés par certains assureurs allemands pour accompagner leurs clients en France(158). »
La situation nous interpelle dans le sens où les obstacles rencontrés par les constructeurs européens conduiraient au désintérêt de ces derniers, du marché français de la construction.
§ 2: Les atteintes aux principes de libre établissement et de libre prestation de services en pratique
Cette partie de notre étude portera sur les différents problèmes que soulève cette obligation d’assurance décennale vis-à-vis des constructeurs, ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne souhaitant exercer en France.
Tout d’abord, l’Euro-Info-Consommateurs, « association franco-allemande de droit allemand implantée à Kehl(159) » et « créée en 1993 à l’initiative de la Chambre de Consommation d’Alsace et de la Verbraucherzentrale du Bade-Wurtemberg (160)» a indiqué dans une note(161) que les assureurs français demandaient aux constructeurs européens avant de leur accorder leur garantie décennale, la création d’un établissement sur le territoire français.
Toutefois, il semble que malgré la mise en place de cet établissement, les constructeurs européens se voient opposer un refus verbal de garantie.
Ils se voient contraint d’avoir recours au Bureau Central de Tarification compétent pour connaître des dossiers de personnes qui se sont vus opposer un refus de souscription d’une police d’assurance obligatoire.
Après désignation par l’intéressé, de la compagnie d’assurance auprès de laquelle il souhaite s’assurer, ce bureau fixe « le montant de la prime moyennant laquelle l’entreprise d’assurance intéressée est tenue de garantir le risque qui lui a été proposé(162). »
La décision du bureau est notifiée à l’entreprise d’assurance qui ne peut persister dans son refus, sous peine de retrait d’agrément. Cependant, selon ce centre de consommateurs, ce recours parait « illusoire(163) » dans la mesure où les délais de procédures sont longs et le coût des primes d’assurance est onéreux. Il semble que cette situation décrite par ledit centre, ne soit pas un cas isolé.
Déjà en juin 2009, le Comité mixte Suisse-Union Européenne relatif à l’Accord sur la libre-circulation des personnes s’interrogeait quant à la compatibilité dudit accord avec le système de garantie décennale. Afin de trouver des réponses à ces questions, la Suisse a sollicité de la Commission de procéder à l’examen de cette éventuelle compatibilité. Un an après, cette dernière affirmait la compatibilité de la garantie décennale avec l’Accord sur la libre-circulation des personnes.
En effet, dans une lettre(164)en date du 2 octobre 2009, adressée à Madame Marie-José Palasz, en sa qualité de Chef de Mission de Contrôle Général Economique et Financier, Monsieur Philippe Poiget, Directeur des affaires juridiques, fiscales et de la concurrence de la Fédération Française des Sociétés d’Assurance, indiquait que le gouvernement allemand aurait révélé au gouvernement français que les constructeurs allemands désirant exercer en France, rencontraient des difficultés quant à la souscription d’une police d’assurance décennale.
Après avoir informé les différents acteurs du secteur de la construction et de l’assurance, d’une éventuelle réforme du régime d’assurance construction par le Gouvernement, la nouvelle révéla une volonté ardente des professionnels français de la construction, de conserver leur système actuel d’assurance décennale, estimant qu’il n’y a pas lieu de procéder à un remaniement du dispositif français qui se veut stable juridiquement et économiquement. D’autres solutions peuvent être trouvées grâce aux travaux et dialogues engagés.
D’ailleurs, l’avis d’un Professeur de droit sur le sujet, a été sollicité et permet « d’affirmer que la transposition de la directive services n’implique pas de modifier le régime français de l’assurance construction(165). » Cette position aurait été confortée par un arrêt rendu par la Cour de Justice des Communautés Européennes daté du 11 juin 2009, relatif à « l’opposabilité d’une assurance obligatoire dès lors qu’elle protège les destinataires des services concernés(166) ».
De plus, il est précisé que la rédaction de l’article 23 de la directive relative aux services dans le marché intérieur, il est permis de maintenir un régime d’assurance de responsabilité professionnelle, lorsqu’il en va de « la santé ou la sécurité du destinataire ou d’un tiers ou pour la sécurité financière du destinataire(167) ». Le débat resta ouvert.
Quelques jours plus tard, Madame le Ministre Christine Lagarde, dans une lettre(168)en date du 26 octobre 2009, adressée au Président de la Fédération française des Sociétés d’Assurance, Monsieur Bernard Spitz, faisait part des difficultés rencontrées par les constructeurs allemands et suisses.
Ces derniers se verraient imposer pour obtenir une assurance de responsabilité civile décennale, par certains assureurs français « la constitution d’une filiale en France(169) ». Elle invitait alors, à débuter un dialogue entre la Fédération Française des Sociétés d’Assurance et les professionnels de la construction français, allemands et suisses.
Cet écrit n’est pas resté sans réponse et a trouvé écho auprès du Président de la Fédération Française des Sociétés d’Assurance, qui répondit en date du 10 novembre 2009, d’une part, que « l’obligation d’assurance construction s’impose aux constructeurs français et étrangers et ne constitue pas une condition discriminante à l’accès au marché français(170) ».
D’autre part, que « la majorité des constructeurs européens obtient sans difficulté une couverture d’assurance, sans même avoir nécessairement à recourir à un assureur français puisque leur assureur local peut souvent délivrer cette garantie(171) » et que les « échanges interprofessionnels se poursuivent afin d’identifier précisément les besoins d’assurances et d’y apporter rapidement des réponses concrètes(172). »
Au-delà des problèmes pratiques (difficultés à trouver un assureur qui accepte de garantir le risque décennal, le coût de la prime et la durée de la procédure relative au bureau central de tarification) rencontrés par les professionnels européens de la construction existent des désordres législatifs qui sont la source de toute cette polémique. En effet, la compatibilité des articles 1792 du Code civil et L.241-1 du Code des assurances avec le droit communautaire en particulier, la directive 2006/12/CE relative aux services dans le marché intérieur, avait déjà retenu l’attention du comité construction lors de ses réunions(173).
Celui-ci s’attache à considérer que l’article 1792 du Code civil devrait recevoir le caractère de loi de police. Par conséquent, les règles communautaires prônant la suppression des obstacles au marché unique, ne trouveraient pas à s’appliquer.
Si l’objectif premier de ses réunions est de solutionner les problèmes rencontrés par nos confrères européens, il est surtout opportun de souligner qu’au vu des compte-rendus susvisés, la volonté originelle des autorités françaises est de conserver le système légal français actuel d’assurance décennale.
En effet, dans le compte-rendu du comité construction en date du 31 mars 2009, est affirmé que « la volonté des pouvoirs publics de défendre le système français dans le débat européen à charge pour les assureurs de justifier l’efficience du dispositif face aux critiques récurrentes formulées par nos voisins européens(174). »
Il est ajouté que « sur ce sujet les questions transfrontalières sont particulièrement sensibles et mettent en cause certaines pratiques de marché jugées discriminantes pour les constructeurs non nationaux opérant en France(175). »
Dès lors, le débat peut se transformer en dialogue de sourds.Tel est le cas lors de la réunion en date du 22 septembre 2009, où il est précisé que « les représentants des différentes organisations professionnelles ont réclamé, sans succès, communication de cette étude interne pour pouvoir développer un argumentaire en réponse. Face à cette volonté politique de réformer le système, les acteurs ont rappelé leur attachement au dispositif et l’absence de justification juridique à cette réforme(176). »
C’est sûrement la raison pour laquelle la France est parfois accusée de protectionnisme. Toutefois, nous ne pouvons qu’approuver cette détermination qui est animée par la volonté de protéger le système d’assurance décennale français, régime stable et soucieux de ses citoyens.
145 DANA-DEMARET Sabine et REINHARD Yves et SERRAS Françoise, « Droit communautaire et international des groupements », JCP, éd. Entreprise et affaires, n°25, 23 juin 1994, 369.
146 Pour l’assurance non-vie, Directive 88/357/CEE du 22 juin 1988 ; Pour l’assurance-vie, Directive 90/619/CEE du 8 novembre 1990.
147 Sénat, « Projet de loi relatif à la transposition par ordonnances de directives », www.sénat.fr, septembre 2013.
148 Ibid.
149 Sénat, « Projet de loi relatif à la transposition par ordonnances de directives », www.sénat.fr, septembre, op. cit., 2013.
150 Libre prestation de service.
151 Liberté d’établissement.
152 Sénat, « Projet de loi relatif à la transposition par ordonnances de directives », www.sénat.fr, septembre, op. cit., 2013.
153 Ibid. Sénat, « Projet de loi relatif à la transposition par ordonnances de directives », www.sénat.fr, septembre , op. cit., 2013.
154 PARTSCH Philippe-Emmanuel, « Droit Bancaire et Financier Européen », éd. LARCIER, p.293.
155 Ibid.
156 Article 6, §2, directive 2002/92/CE du Parlement Européen et du Conseil d 9 décembre 2002 sur l’intermédiaire en assurance.
157 Ibid.
158 Compte-rendu du comité construction, 16 février 2012, p.2.
159 La Commission Intergouvernementale franco-germano-suisse et la Conférence du Rhin Supérieur, Préfecture de la région Alsace, www.bas-rhin.pref.gouv.fr, p.5.
160 Ibid.
161 Note, Les laissés pour compte de la libre circulation des services et des marchandises dans le secteur de la construction : la situation franco-allemande, Euro-Info-Consommateurs, Centre Européen des Consommateurs France, novembre 2008, p. 4.
162 Article L.212-1 du Code des assurances.
163 Euro-Info-Consommateurs, « Les laissés pour compte de la libre circulation des services et des marchandises dans le secteur de la construction : la situation franco-allemande », Centre Européen des Consommateurs France, novembre 2008, note, p. 4.
164 Lettre adressée par M. Philippe Poiget, 2 octobre 2009, Ministère du Budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat. .
165 Lettre adressée par M. Philippe Poiget, 26 octobre 2009, Ministère de l’économie de l’industrie et de l’emploi.
166Ibid.
167 Article 23, dir. 2006/123/CE du Parlement Européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur, 12 décembre 2006.
168 Lettre adressée par M. Philippe Poiget, 26 octobre 2009, Ministère de l’économie de l’industrie et de l’emploi.
169 Lettre de Madame le Ministre Christine Lagarde à l’attention de Monsieur Bernard Spitz, §2, 26 octobre 2009.
170 Lettre de Bernard Spitz adressée à la Ministre Chistine Lagarde, §2, 10 novembre 2009.
171 Lettre de Bernard Spitz adressée à la Ministre Chistine Lagarde, §3, 10 novembre 2009.
172 Lettre de Bernard Spitz adressée à la Ministre Chistine Lagarde, §6, 10 novembre 2009.
173 Compte-rendu du comité construction, 31 mars 2009, p. 5. ; Compte-rendu du comité construction, 22 septembre 2009, p.4.
174 Compte-rendu du comité construction, 31 mars 2009, p. 5.
175 Compte-rendu du comité construction, 31 mars 2009, p. 5.
176 Compte-rendu du comité construction, 22 septembre 2009, p.4.
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