Gagne de la cryptomonnaie GRATUITE en 5 clics et aide institut numérique à propager la connaissance universitaire >> CLIQUEZ ICI <<

SECTION 1 : Le risque médical, un risque atypique

ADIAL

Avant de s’attacher à comprendre la notion de risque médical, il convient pour rappel, de définir le terme même de risque. Sans s’intéresser à toutes les approches possibles de la notion de risque, ce débat n’étant pas l’objet du développement, le risque peut se définir comme l’évènement dommageable dont la survenance est incertaine(8). C’est donc la situation d’incertitude qui caractérise le risque(9).

De nombreux critères permettent de définir le risque. Ce sont ces différentes caractéristiques qu’il est important de mettre en évidence et d’analyser afin de comprendre en quoi et pourquoi le risque médical est si particulier. Le risque médical n’échappe, en effet, pas à la règle : c’est le caractère d’incertitude exacerbée qui fait sa singularité par rapport à des risques que l’on pourrait qualifier de plus classiques.

Le risque médical est difficile à probabiliser (§1), caractéristique parmi tant d’autres qui fait sa spécificité (§2).

§1 : Les difficultés de probabilisation du risque médical

Probabiliser un risque, c’est pouvoir anticiper et donc présumer sa survenance. Grâce aux travaux de Condorcet et Laplace sur les probabilités et les statistiques, des lois mathématiques et aujourd’hui l’actuariat sont utilisés pour analyser le risque. Pierre-Charles Pradier, maître de conférences à l’Université Paris I, a tenu un colloque intitulé « Peut-on prendre des risques quand on n’est pas sûr de savoir ? » : c’est là le challenge auquel sont confrontés aujourd’hui les assureurs de professionnels libéraux exerçant des spécialités à risque(10). Un risque difficilement probabilisable est donc sujet à réflexion avant que l’assureur ne décide de couvrir un tel risque.

Au regard des spécialités à risque étudiées, le gynécologue-obstétricien est le plus exposé à engager sa responsabilité et constitue la profession générant des dommages particulièrement importants et coûteux. C’est donc pour cette spécialité que le risque est le plus difficile à probabiliser. En effet, les spécialités de chirurgie et anesthésie-réanimation sont parvenues à canaliser leurs risques par divers moyens ce qui sera développé par la suite.

Comme l’a relevé Jacques Bichot(11), la probabilisation du risque médical requiert deux conditions : d’une part, l’importance des sinistres et d’autre part, la régularité de la sinistralité d’une année sur l’autre. Le critère de l’importance des sinistres se justifie par le fait qu’il faut être en mesure d’appliquer la loi statistique dite des grands nombres pour pouvoir anticiper le risque et a fortiori le mutualiser. De même, la régularité ou fréquence permet la prévisibilité du risque. Pour l’exemple du gynécologue-obstétricien libéral, l’une des conditions n’est pas remplie.

En effet, l’aléa qui affecte la profession est d’une certaine ampleur. Seulement – et heureusement – 129 sinistres sont déclarés en obstétrique sur 683 contrats selon la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA) dans les années 2000. Cependant, les sinistres sont d’une importance particulière ce que l’on peut observer à travers les indemnités octroyées. Jacques BICHOT poursuit sa réflexion en indiquant les causes d’une telle instabilité du risque d’obstétrique, le plus représentatif des spécialités à risque. L’une des causes est l’aléa judiciaire c’est-à-dire la variation des décisions des tribunaux, qui est également un aléa pour les assureurs concernant l’assurance de ces professions médicales à risque.

Comme le précise Irène Natowicz-Laurent, maître de conférences à l’Université de Grenoble, l’incertitude liée au risque médical est tellement prégnante que la décision du juge est d’autant plus imprévue(12). Par conséquent, la jurisprudence ayant une influence réelle sur le législateur et ses prises de position, la législation n’en est que plus changeante. Par ailleurs, la variation des indemnisations allouées est une autre cause : les praticiens formulent de plus en plus aujourd’hui leur crainte de voir le domaine médical régi par un système à l’américaine, à savoir l’indemnisation à outrance. Cette crainte est clairement fondée puisqu’il s’agit, en filigrane, d’une crainte de ne plus être assuré.

De plus, la difficulté de détermination de la cause du préjudice ajoute au malaise ressenti par les professionnels médicaux exerçant des spécialités à risque puisque l’engagement de leur responsabilité sera instable. Ils ne pourront dès lors que difficilement appréhender les cas dans lesquels leur responsabilité sera ou non mise en jeu d’où une question fondamentale : quelle protection pour demain pour ces professionnels à risque ?

On peut donc voir que le risque médical, obstétrique plus particulièrement, est quasi impossible à probabiliser par des méthodes classiques. Des mesures mises en place telles que la création d’un fond de garantie des dommages consécutifs aux actes de prévention, de diagnostic et de soins dispensés par des professionnels de santé exerçant à titre libéral en 2012 vont permettre aux assureurs et aux professionnels libéraux d’expérimenter de nouveaux dispositifs pour pallier à cette instabilité.

D’autres critères doivent également être analysés pour démontrer l’aspect protéiforme de la notion de risque médical.

§2 : Le risque médical, un risque difficilement saisissable

Les spécificités du risque médical doivent être envisagées successivement afin de saisir sa particularité, à savoir qu’il s’agit d’un risque concentré (A) dont la volatilité est élevée (B) et évolutif (C).

A) Un risque concentré

Le risque médical concerne, certes, l’ensemble des professions médicales mais peut être considéré comme un risque concentré13 c’est-à-dire affectant quelques spécialités médicales dites à risque comme l’obstétrique, la chirurgie ou encore l’anesthésie-réanimation. En effet, ce sont les spécialités qui recensent les sinistres les plus graves. Pour pallier à cet inconvénient, les assureurs pratiquent une très forte segmentation et donc une sélection de leur risque rigoureuse.

Cette caractéristique du risque médical a pour conséquence la faible présence d’assureurs sur le marché de l’assurance de la responsabilité civile médicale. La Société Hospitalière d’Assurances Mutuelles (SHAM), leader dans le domaine de l’assurance des établissements de santé, n’a étendu son offre de responsabilité civile aux professionnels de santé libéraux que depuis 2006 : c’est dire la difficulté de la démarche de gestion et de prévention des risques. La concentration du risque médical est donc à l’origine du caractère étroit du marché de l’assurance de responsabilité médicale. En plus d’être un risque concentré, le risque médical est volatile.

B) Une volatilité élevée

Le caractère plus ou moins volatile d’un risque fera que l’assureur aura plus ou moins tendance à vouloir l’assurer. La volatilité constitue un outil de mesure de l’amplitude des variations d’un risque, qui sera plus ou moins élevée. Cela permet d’anticiper la performance d’un risque c’est-à-dire le gain futur que pourra espérer l’assureur. L’assureur peut alors anticiper le comportement du risque dans le futur en s’inspirant notamment de sa sinistralité
passée : le coût moyen d’un sinistre est très variable d’un exercice sur l’autre d’où la nécessité d’une réforme tendant à l’encadrement des indemnisations(14). Il est tout de même un indicateur intéressant pour établir des prévisions au sein d’une entreprise d’assurance.

Le risque médical étant particulièrement volatile de par son intensité et sa faible fréquence, la décision pour un assureur de le prendre ou non en charge dépendra aussi de son aversion pour le risque. En effet, comme on l’a déjà souligné, le risque médical est peu fréquent mais intense lorsqu’il survient. On recense, contre un gynécologue obstétricien, une réclamation tous les cinq ans(15). L’intensité, quant à elle, se ressent au niveau des variations de l’indemnisation de la victime entre cinq et six millions d’euros selon la FFSA notamment durant les années 2004 et 2005(16), indemnisation qui peut d’ailleurs s’étendre dans le temps.

C) Un risque évolutif

Le risque médical est qualifié à juste titre de risque évolutif ou long ou de risque à développement long(17). Cette caractéristique se rencontre surtout pour le risque obstétrique dans la mesure où les dommages causés à la victime ne peuvent se déclarer que quelques années après la survenance du risque ou même s’aggraver. La victime est protégée dans la mesure où le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir de la consolidation du dommage ou de sa majorité si elle est mineure et consolidée.

De même, en cas d’aggravation du dommage après la consolidation, le juge est en mesure de réévaluer l’indemnisation en fonction de cette aggravation considérée comme un dommage nouveau et ce, au détriment de l’assureur de responsabilité civile professionnelle du professionnel de santé. L’anticipation est donc largement réduite à nouveau pour l’assureur, le contrat d’assurance couvrant l’indemnisation étant celui en vigueur au moment de la réclamation, la loi du 31 décembre 2002 ayant instauré le dispositif de base réclamation pour les contrats de responsabilité civile professionnelle des professionnels de santé.

On peut donc observer, au regard de l’analyse de l’ensemble de ces critères, que le risque médical est atypique dans la mesure où l’assureur ne peut que difficilement maîtriser ce risque. Ces éléments étaient impératifs à rappeler pour comprendre les sources notamment de la crise de la responsabilité civile médicale et de la problématique de l’assurabilité qui se pose quant au risque médical.

8 Vocabulaire juridique de l’Association Capitant, PUF, 8ème éd., avr. 2007, p. 833.
9 Luc Mayaux, Les grandes questions du droit des assurances, LGDJ, Lextenso éd. 2011, p. 5.
10 « Peut-on prendre des risques quand on n’est pas sûr de savoir ?, Juger pour agir depuis Condorcet », Pierre-Charles Pradier, Prisme N°16, oct. 2009, Centre Cournot pour la recherche en économie.
11 Le risque responsabilité civile du gynécologue obstétricien : problèmes et solutions in Responsabilité, assurance et expertise médicales, éd. Dalloz 2008, p. 121.
12 Idem, p. 123.
13 Rapport SHAM, fév. 2012, p. 11.
14 Responsabilité, assurance et expertise médicales, Rapport de l’IGAS, éd. Dalloz 2008, p. 158-159.
15 Idem.
16 Idem.
17 Idem, p. 155.

Retour au menu : L’assurance des professions médicales à risque : Le cas des anesthésistes, chirurgiens et gynécologues-obstétriciens