Institut numerique

Section 1 : L’environnement sujet de droits

Les conséquences dommageables de la survenance de catastrophes technologiques relèvent du domaine de la responsabilité civile de l’entreprise et en droit français, plusieurs fondements étaient envisageables ( A) jusqu’à la promulgation de la loi de responsabilité environnementale et des autres sources juridiques issues du droit communautaire (B).

A- Les entreprises et la responsabilité environnementale : les fondements précédents

La responsabilité civile de l’exploitant ou de l’entrepreneur ayant pour origine une atteinte à l’environnement trouve plusieurs fondements et les plaignants appréciaient la piste la plus adaptée au moment du recours en responsabilité. En effet, le droit commun de la responsabilité était applicable en la matière, ce qui signifie que différents régimes de responsabilité civile étaient possiblement applicables :

– La responsabilité pour faute selon les articles 1382 et 1383 du code civil(204) ;
– La responsabilité du fait des choses sur la base de l’article 1384 alinéa 1 du code civil(205) ;
– La responsabilité contractuelle lors d’une cession d’un site industriel ou d’un terrain pollué qui est fondée sur l’article L.514-20 du code de l’environnement ;
– La responsabilité civile née de la théorie des troubles du voisinage par extrapolation de l’article 1382 du code civil.

La jurisprudence retenait ce dernier fondement en matière de pollution industrielle depuis un arrêt de la Cour de Cassation du 27 novembre 1844. Il est caractérisé par les éléments suivants :

– il existe des troubles « normaux » du voisinage qui sont la résultante de l’activité économique et sociale. Des seuils d’atteintes à l’environnement sont donc admissibles et par conséquent, ils ne sont pas indemnisables quand bien même ils causeraient un préjudice. Pour être reconnu comme préjudiciable en raison de son anormalité, le trouble est analysé in concreto et doit excéder les mesures ordinaires du voisinage, de manière fréquente, et présenter un certain degré de gravité apprécié en fonction des circonstances de lieu et de temps

D’après la doctrine(206), cette analyse est primordiale car la personne victime du trouble ne devrait pas bénéficier d’une réparation équivalent à un enrichissement sans cause ; et l’exploitant bénéficiait du cas exonératoire de la théorie de la préoccupation(207) en supplément des cas exonératoires de droit commun(208).

– la faute n’est pas exigée et la responsabilité de l’exploitant est alors présumée, sans pour autant intégrer la réalité des dommages tels qu’ils existaient.

Les fondements précités semblent néanmoins inadaptés aux risques d’atteintes à l’environnement d’autant plus que la prescription extracontractuelle en droit commun de la responsabilité est passée de dix à trente ans (à partir du moment où le fait dommageable survient) en raison de la loi 2008-561 du 17 juin 2008. Les actions en responsabilité civile du fait des dommages à l’environnement(209) sont ainsi recevables durant un délai étendu, ce qui accroit la vulnérabilité des entreprises à toute cette période. La volonté sous-jacente était donc de faciliter les recours et de durcir les sanctions relatives à la responsabilité civile et pénale des entreprises en raison de leurs activités et de leurs impacts sur l’environnement.

La majeure partie des Etats dits « occidentaux »(210) ont alors instauré des régimes de responsabilité civile objective, dans lesquels la victime est légalement dispensée de prouver la faute. La responsabilité sans faute a par ailleurs pour avantage principal d’inciter à la prévention puisque l’exploitant ne peut s’exonérer en prouvant l’absence de faute.

Sous l’impulsion de l’Union Européenne, la France s’est dotée d’un régime de responsabilité objective pour ce qui relève des atteintes à l’environnement. Ce régime va même plus loin car il consacre la reconnaissance du préjudice écologique pur.

B- La Loi de Responsabilité Environnementale et les autres sources juridiques

La première évolution législative notable quant aux risques de dommages causés à l’environnement date de la directive européenne du 21 avril 2004 qui énonce que tout préjudice à l’environnement peut être sanctionné qu’il y ait victime physique ou non. Cette directive a été transposée en droit français par la loi dite LRE(211), qui peut être qualifiée de régime hybride(212) :

– le responsable, donc l’exploitant, est par définition(213) , toute personne physique ou morale, publique ou privée qui exerce ou contrôle effectivement à titre professionnel une activité économique ou non-lucrative. Pour les activités réputées dangereuses(214), les exploitants sont responsables dès lors qu’un lien de causalité est prouvé entre leurs activités et le dommage à l’environnement ;

– la responsabilité environnementale est invocable indépendamment d’un préjudice patrimonial subi par une personne, ce qui est novateur et qui étend la responsabilité civile des entreprises exploitant des sites à vocation industrielle, commerciale, artisanale, ou agricole ;

– la LRE n’est applicable qu’aux dommages survenus après la date du 30 avril 2007. Elle consacre la position jurisprudentielle de reconnaissance du préjudice écologique pur et lui confère un statut légal. L’arrêt le plus remarquable sur le sujet est celui de la Cour d’appel de Paris rendu le 330 mars 2010 dans le cadre du procès de la catastrophe du naufrage de l’Erika qui énonçait le principe d’une réparation en nature et plus uniquement économique ;

– le principe du « pollueur-payeur » distingue deux cas : l’exploitant d’une activité dangereuse est tenu de réparer tous les dommages environnementaux alors que l’exploitant d’une activité non-dangereuse n’est tenu que de réparer les dommages causés aux espèces protégées et à leur habitat.(215) ;

– la réparation d’un préjudice écologique est effectuée selon trois formes : la réparation primaire, soit en nature ; la réparation complémentaire, soit à défaut de la première afin de recréer sur un autre site des ressources naturelles inexorablement détruites ; ou une réparation compensatoire ayant pour objectif de compenser les pertes des ressources ou de services entre le moment de l’atteinte à l’environnement et la remise en état du milieu naturel.

D’autres évolutions sont à noter, comme le règlement européen REACH et l’article 84 de la loi Grenelle II.

D’une part, le règlement Européen REACH, transposé en droit français par l’ordonnance du 26 septembre 2009, impose que les producteurs, importateurs, utilisateurs de substances chimiques participent à une procédure de recensement et d’enregistrement de ces matières et de leurs activités. Les acteurs en présence sont dans l’obligation de prouver la maîtrise des risques inhérents à ces matières et substances chimiques. Cette législation oblige également ces mêmes acteurs à procéder à une veille technique et juridique sur l’évolution des connaissances de l’impact sanitaire de ces matières et substances. Le non-respect de ces dispositions implique des sanctions administratives et pénales.

D’autre part, l’article 84 de la Loi Grenelle II(216), instaure une prise en charge volontaire de la part des sociétés-mères, même en l’absence de comportements fautifs, des obligations incombant normalement à l’une de leurs filiales défaillantes(217)quant au respect de l’article L.160-1 du code de l’environnement.

Ces évolutions légales témoignent de l’élargissement du champ de la responsabilité des entreprises en raison d’une atteinte qu’elles pourraient causer à l’environnement ainsi qu’à ses composantes. De facto, la couverture assurantielle de la responsabilité civile s’est également étendue et il convient de démontrer les conséquences de ces évolutions pour les assureurs au sens large (Section 2).

204 La preuve de la faute est facilitée dans la mesure où l’exploitant ne respecte pas les obligations réglementaires auxquelles il doit répondre, arrêt de la 2ème chambre civile de la Cour de Cassation du 25 Mai 1993.
205 L’exploitant est réputé gardien de ses rejets, arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de Cassation du 9 juin 1993.
206 Martin et Caballero
207 Article L.112-16 du code de la construction et de l’habitation : la loi refuse toute indemnité à celui qui s’installe dans une zone où il existait déjà une activité agricole, industrielle, artisanale ou commerciale exercée en conformité avec la loi et dans des conditions identiques.
208 Force majeure, fait de la victime ou fait d’un tiers.
209 Au sens de l’article L.152-1 et suivants du code de l’environnement.
210 Aux Etats-Unis : Le Comprehensive Environmental Response, Compensation and Liability Act (CERCLA), date de 1980, et oblige d’assurer le nettoyage effectif des sites sur lesquels des substances dangereuses ont été libérées, que ce soit de manière directe par les pollueurs ou bien indirectement par le gouvernement ou des personnes privées.
Loi Belge du 20 janvier 199 qui instaure en son chapitre X, une responsabilité sans faute.
211 Loi de responsabilité environnementale n°2008-757 du 1er août 2008.
212 M. Quezel-Ambrunaz RCA 2012 dossier 12
213 Article L160-1 du code de l’environnement
214 Article R.160-1 du code de l’environnement
215 Articles L.162-22 du code de l’environnement et suivants
216 Loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 dite Grenelle 2
217 Complément de l’article L.233-5 du code de commerce.
Source : http://2007-2012.nosdeputes.fr/loi/2449/article/84.

Retour au menu : LES RISQUES ENVIRONNEMENTAUX : COMMENT LES COMPAGNIES D’ASSURANCES APPREHENDENT-ELLES LES ENJEUX DU RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE ? COMMENT ANTICIPER LES FUTURS RISQUES LIES A LA MUTATION DE L’ENVIRONNEMENT ?