La faute intentionnelle n’a pas été définit par la loi mais par la jurisprudence. La conception classique de celle-ci est de considérer la faute intentionnelle comme celle qui est commise volontairement dans l’intention délibérée de causer le dommage tel qu’il est survenu. Ainsi, deux éléments sont nécessaires pour que les juges du fond conclu à l’existence d’une faute intentionnelle : une faute volontaire et l’intention de causer le dommage tel qu’il est survenu. Si l’un fait défaut, a priori il n’y aurait pas de faute intentionnelle. Mais il est difficile de considérer que l’auteur de la faute avait la volonté de causer le dommage tel qu’il est effectivement survenu. C’est pourquoi la qualification de la faute intentionnelle, soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond, peut donner lieu à certaines divergences.
Qu’il s’agisse d’une faute intentionnelle ou dolosive, elles résultent toutes deux d’une faute volontaire. L’auteur de la faute doit avoir eu la volonté de commettre le dommage. Néanmoins, une distinction doit être faite entre faute dolosive et faute intentionnelle. La faute dolosive consiste en une inexécution volontaire du contrat, alors que pour retenir l’existence d’une faute intentionnelle un deuxième élément est nécessaire. Ainsi la faute intentionnelle sera caractérisée dès lors qu’il y a un geste volontaire générateur du dommage et l’intention de causer celui-ci tel qu’il est survenu. C’est ce qui a été jugé dans différents arrêts retenant l’existence d’une faute volontaire, mais ne suffisant pas à caractériser une faute intentionnelle au sens de l’article L113-1 du Code des assurances, l’auteur n’ayant pas voulu le dommage tel qu’il s’est produit.
En effet, dans un arrêt du 11 juillet 2012, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a considéré qu’il n’y a pas faute intentionnelle de l’entrepreneur qui choisit de construire, en toute connaissance de cause de l’inadaptation des fondations au sol d’assise. Il avait conscience de l’apparition future des désordres mais il n’a pas eu la volonté de causer le dommage tel qu’il est survenu. Le dommage était inéluctable, il y avait donc une absence d’aléa concernant les conséquences de son geste volontaire, mais le deuxième élément faisait défaut(69). De même pour un architecte qui avait violé délibérément une règle d’urbanisme dont il avait connaissance mais n’avait pas la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu(70).
Position reprise quelques mois plus tard par la deuxième chambre civile pour un architecte qui commet une faute d’imprudence en ne respectant pas le permis de construire et s’exposant en tout connaissance de cause à des réclamations. « La décision fautive de démolition totale du bâtiment ne suffisait pas à caractériser la volonté de l’architecte de causer le dommage tel qu’il est survenu », la faute intentionnelle n’a donc pas été retenue(71). Même chose pour la faute volontaire d’un expert-comptable dont l’intention de causer le dommage tel qu’il est survenu n’était pas démontrée(72).
Le 18 octobre 2012, la deuxième chambre civile, dans un deuxième arrêt, a adopté une position qui peut surprendre. Il s’agissait en l’espèce d’un concubin qui met le feu, probablement par vengeance, aux vêtements de sa concubine. Ce qui entraine des dommages à l’appartement loué, aux appartements voisins et aux parties communes de l’immeuble. La deuxième chambre civile abandonne le deuxième élément constitutif (le dommage tel qu’il est survenu) pour exclure la garantie de l’assureur pour faute intentionnelle(73). Alors que dans des cas similaires, pour un mari qui poursuit son épouse dans la rue et en cherchant à la poignarder, touche un passant(74) ou encore un homme qui incendie volontairement la porte de pallier de l’appartement de sa compagne, le feu se propage et atteint les parties communes de l’immeuble(75), la chambre civile a conclu à l’absence de faute intentionnelle telle que définit par l’article L113-1 du Code des assurances, il s’agissait d’une faute volontaire mais l’auteur n’avait pas l’intention de causer le dommage tel qu’il est survenu.
La chambre commerciale maintient une position classique de la faute intentionnelle en exigeant le maintien du deuxième élément de la faute intentionnelle. Selon elle, il est nécessaire de rechercher une faute intentionnelle subjective, c’est-à-dire que l’auteur avait non seulement la volonté de commettre l’acte mais également l’intention de causer le dommage tel qu’il est survenu(76). Dans cet arrêt il était question d’une clause contractuelle d’exclusion des dommages non aléatoires. Interprétait comme étant en contradiction avec l’arrêt de la deuxième chambre civile du 18 octobre 2012(77) qui prévoyait une clause d’exclusion contractuelle de la faute intentionnelle. Monsieur Luc MAYAUX aborde ces deux arrêts dans le Traité de droit des assurances et affirme que l’exclusion légale de la faute intentionnelle prévue par l’article L113-1 du Code des assurances peut être complétée par une clause d’exclusion conventionnelle. Ainsi, « dès lors que l’exclusion conventionnelle a un contenu plus large que l’exclusion légale, sous réserve que ce contenu soit formel et limité, rien n’interdit d’en faire application »(78).
On assiste à un revirement de position pour la deuxième chambre civile qui revient vers une conception plus classique. Elle a jugé, le 28 février 2013, que « l’assuré n’avait pas eu la volonté de créer les dommages tels qu’ils étaient survenus » et que « la faute n’avait pas fait disparaitre tout aléa » ainsi « l’assureur ne caractérisait ni une faute intentionnelle, ni une faute dolosive »(79). De plus elle précise que lorsque le contrat est souscrit au nom d’une personne morale, la faute intentionnelle du souscripteur s’apprécie en la personne du dirigeant de droit ou de fait de celui-ci. La qualification de la faute intentionnelle est au coeur d’une valse-hésitation de la jurisprudence.
Dans un arrêt récent, la dernière position de la deuxième chambre civile fut de considérer « (…) qu’il n’est pas établi que l’assuré a manifesté son comportement fautif dans le but de parvenir à la réalisation du dommage et que l’assureur n’était pas fondé à dénier sa garantie) son assuré en invoquant sa faute intentionnelle (…) »(80). Quant à la troisième chambre civile, elle vient de censurer la décision d’une cour d’appel qui avait exclue la garantie de l’assureur en raison de l’existence d’une faute intentionnelle en se fondant sur le caractère aléatoire qui avait été retiré par cette faute, alors que les éléments ne suffisaient pas à caractériser la volonté de l’assuré de causer le dommage tel qu’il est survenu(81).
Depuis 2011, la jurisprudence avait parfois retenue l’existence d’une faute intentionnelle lorsque l’assuré avait la volonté et la conscience de mettre à la charge de son propre assureur les conséquences qui résulteraient de ses fautes(82). Il était retenue une faute intentionnelle différente de celle définit par la conception classique. Dans l’arrêt du 14 juin 2012(83), la deuxième chambre civile avait exclue la garantie de l’assureur au motif que le dirigeant avait commis une faute intentionnelle, en mettant volontairement et consciemment à la charge de son assureur les conséquences de ses fautes, se sachant couvert pour celles-ci. Autrement dit, le dirigeant n’aurait commis la faute que parce qu’il se savait protégé. Il s’agissait donc d’une faute intentionnelle incompatible avec l’aléa. On aurait pu penser ici que la Cour de cassation fixait un nouvel élément caractérisant la faute intentionnelle. Mais il n’en est rien, il semble ici qu’elle a simplement dû innover face à la difficulté d’appliquer la définition classique de la faute intentionnelle pour pouvoir exclure la garantie de l’assureur(84).
La loi pose une interdiction d’ordre public d’assurer la faute intentionnelle. Ainsi, dès lors que les éléments nécessaires à caractériser une faute intentionnelle sont réunis, l’assureur doit refuser sa garantie.
69 Cass. Civ. 3e, 11 juillet 2012, n°11-16414 et 11-17043, publié au bulletin.
70 Cass. Civ. 3e, 11 juillet 2012, n°10-28535, 10-28616 et 11-10995, publié au bulletin
71 Cass. Civ. 2e, 18 octobre 2012, n°11-13084, non publié au bulletin.
72 Cass. Com. 30 octobre 2012, n°11-20591, n°11-21846, non publié au bulletin.
73 Voir supra (46) ; note J.KULLMANN, RGDA n°2013-01, p.62.
74 Cass. Civ. 1er, 10 décembre 1991, n°90-14218, non publié au bulletin ; note J.KULLMANN, RGAT 1992, p.366 ; note R.MAURICE, RGAT 1992, p.506.
75 Cass. Civ. 1er, 29 octobre 1985, n°84-14039, publié au bulletin ; note J.BIGOT, RGAT 1986, p.37.
76 Cass. Com. 20 novembre 2012, n°11-27033, non publié au bulletin.
77 Cass. Civ. 2e, 18 octobre 2012, n°11-23900, non publié au bulletin.
78 L.MAYAUX, « Le risque assurable », extrait du Traité de droit des assurances, t. III, le contrat d’assurance, sous la direction de J. BIGOT, 2e éd. 2013, à paraitre.
79 Cass. Civ. 2e, 28 février 2013, n°11-28247, non publié au bulletin.
80 Cass. Civ. 2e, 18 avril 2013, n°12-19122, non publié au bulletin.
81 Cass. Civ. 3e, 29 mai 2013, n°12-20215, non publié au bulletin.
82 Cass. Civ. 2e, 30 juin 2011, n°10-23004, publié au bulletin ; confirmé par arrêt du 16 février 2012.
83 Cass. Civ. 2e , 14 juin 2012, n°11-17367, publié au bulletin ; note J.BIGOT, RGDA 2012, p.1021.
84 http://www.argusdelassurance.com/reglementation/legislation/la-faute-intentionnelle-bras-arme-de-l-assurabilite.61591