Dans le présent mémoire, nous nous sommes proposés de réfléchir sur l’impact de la croissance économique et de l’inégalité des revenus sur la pauvreté. Mais, quel est l’intérêt de ce thème ? Quels problèmes suscite-t-il ? Que pensons-nous faire face à ces problèmes ? Enfin, quelles explications pourrionsnous donner a priori de ces problèmes ?
Pour répondre à ces interrogations, nous essayerons de poser d’abord la problématique de notre recherche avant de formuler les objectifs et les hypothèses qui la sous-tendent.
Paragraphe 1 : Problématique, objectifs et hypothèses de l’étude
I- Problématique de l’étude
Au Bénin comme dans de nombreux pays en développement, les programmes d’ajustement structurel mis en œuvre par le gouvernement avec l’appui des institutions financières internationales, s’ils ont contribué à améliorer la performance économique des Etats, ont malheureusement eu des effets néfastes sur le plan social : la pauvreté gagne du terrain et s’annonce de plus en plus persistante, et les inégalités ne font que croître à un rythme spectaculaire. C’est donc dire que les croissances observées au niveau du Produit Intérieur Brut (PIB) n’ont toujours pas permis d’infléchir la courbe ascendante de la pauvreté. Ainsi, la stratégie économique mise en place s’est révélée comme une source d’aggravation de la pauvreté.
Dans ce contexte, une attention particulière doit être accordée aux couches sociales les plus défavorisées de la population corrélativement au processus de croissance économique. A cet effet, les engagements pris par la communauté internationale d’œuvrer dans la lutte contre la pauvreté sous toutes ses formes d’ici 2015 attestent du caractère prioritaire de cette thématique. Par ailleurs, la relation entre croissance, inégalité et pauvreté est un thème récurrent en économie. Habituellement, le débat se focalise fondamentalement sur la nature de la relation entre croissance et inégalité, mais l’attention portée sur les stratégies de lutte contre la pauvreté a conduit à ajouter cette troisième dimension à la discussion.
Mais, force est de reconnaître qu’un certain nombre de problèmes surgissent dès lors qu’on cherche à aborder la question de la réduction de la pauvreté :
– difficulté d’établir un lien clair entre la croissance, l’inégalité et la pauvreté ;
– connaissance non approfondie des effets réels de la croissance économique ainsi que ceux de l’inégalité des revenus sur la pauvreté ;
– difficulté des pouvoirs publics d’arbitrer entre la croissance économique et les inégalités de revenus.
Face à ces problèmes, plusieurs questions importantes se posent ; notamment :
a) Comment interagissent entre elles la croissance économique, l’inégalité des revenus et la pauvreté ?
b) Quelle doit être la contribution de la croissance économique et de la redistribution des revenus dans l’accélération du rythme de réduction de la pauvreté ?
c) Les pouvoirs publics réalisent-ils toujours un arbitrage entre la croissance économique et la redistribution des revenus dans la lutte contre la pauvreté ?
Ce sont là quelques questions auxquelles la présente étude se propose d’apporter des éléments de réponse dans le cas du Bénin.
II- Objectifs et hypothèses
L’objectif principal de cette étude est de mesurer et d’analyser les effets de la croissance économique et de l’inégalité des revenus sur la pauvreté au Bénin.
Plus spécifiquement, l’étude vise à :
a) appréhender le lien entre croissance économique, inégalité des revenus et pauvreté au Bénin entre 2002 et 2004 ;
b) montrer que la croissance économique et la redistribution des revenus peuvent efficacement contribuer à réduire la pauvreté ;
c) examiner si, entre 2002 et 2004, il y a réellement eu arbitrage entre croissance et répartition des revenus dans la lutte contre la pauvreté au Bénin.
Par ailleurs, la présente étude repose essentiellement sur trois hypothèses spécifiques à savoir :
Hypothèse n°1 : La croissance économique est favorable à la réduction de la pauvreté.
Hypothèse n°2 : La redistribution de revenus constitue un facteur de réduction de la pauvreté.
Hypothèse n°3 : L’arbitrage entre croissance économique et redistribution de revenus n’est pas systématiquement réalisé au Bénin.
Les hypothèses de travail ayant été définies à la suite des objectifs formulés plus haut, il importe à présent de préciser la démarche méthodologique adoptée ainsi que les sources de données exploitées.
Paragraphe 2 : Démarche méthodologique et sources de données de l’étude
I- Démarche méthodologique
Compte tenu de l’objectif principal de l’étude, nous présentons ici la méthodologie d’analyse de l’impact de la croissance et de la redistribution des revenus sur la pauvreté. En fait, la mise en œuvre de cette méthodologie requiert auparavant le choix d’un indicateur de niveau de vie, la construction d’un seuil de pauvreté ainsi que le choix d’une mesure de la pauvreté.
La construction d’un profil de pauvreté exige le choix d’un indice adéquat du bien-être au niveau individuel, l’identification d’une ligne de pauvreté à partir duquel on peut définir des classes de ménages pauvres. La pauvreté étant une réalité multidimensionnelle et complexe, car, impliquant des aspects monétaires et non monétaires, il a été nécessaire d’opérer un choix, celui de la pauvreté monétaire, en raison des difficultés rencontrées jusque-là, à élaborer des indicateurs pertinents de pauvreté non monétaire.
Dans ce document, nous utiliserons les dépenses totales des ménages par équivalent adulte comme mesure de niveau de vie. Nous excluons l’approche revenue car, les revenus sont souvent largement sous-estimés dans la mesure où lors des enquêtes un grand nombre de ménages déclarent un revenu en dessous du niveau des dépenses.
En ce qui concerne l’estimation de la ligne de pauvreté, il existe deux grandes approches : l’approche absolue et l’approche relative. Mais, l’approche absolue suggérée par Ravallion et Bidani (1994) est largement acceptée, facile à comprendre et nécessite la classification ou la présentation des ménages selon leur niveau de revenu ou de consommation. Par contre, l’approche relative peut conduire à plusieurs valeurs de seuil de pauvreté et peut, dans ces conditions, ne pas fournir un ensemble de comparaisons cohérentes pour mesurer la pauvreté.
Après qu’un profil de pauvreté soit retenu, il s’agira d’analyser les effets de croissance et d’inégalité ainsi que l’interaction de ces effets sur la pauvreté. Pour y parvenir, nous baserons l’analyse sur la méthode statique de Kakwani (1993).
Ce choix que nous avons effectué au détriment de la méthode dynamique de Datt et Ravallion, se justifie par le fait que la mise en œuvre de cette dernière méthode nécessite la disponibilité de données strictement comparables sur plusieurs périodes de temps ; ce qui n’est pas toujours évident dans les pays en développement et plus particulièrement dans les pays d’Afrique subsaharienne tel le Bénin. Il importe de souligner que parmi les tentatives récentes de décomposition de la pauvreté, celles les plus rigoureuses sont d’une part, la méthode de Datt et Ravallion et d’autre part la méthode de Kakwani.
Pour estimer les différents indices de pauvreté, nous nous servirons du logiciel DAD(1), puis, nous consignerons dans des tableaux, les différents résultats que nous analyserons.
Enfin, pour boucler cette rubrique de notre étude, il importe de préciser les conditions devant être réunies pour conclure à la vérification de chacune des hypothèses de travail.
En effet, la vérification de l’hypothèse spécifique N°1 suppose que les élasticités par rapport à la dépense moyenne soient positives.
Avant de passer à l’hypothèse suivante, il nous semble nécessaire de faire remarquer que, la présente étude ne s’étant pas fixée pour objectif principal la dynamique des inégalités au Bénin, nous ne serions pas en mesure d’apprécier sur la base de nos résultats la baisse des inégalités de revenus qui pourrait résulter d’une redistribution. Mais, ce qui est certain et souligné par la plupart des travaux récents (Boccanfuso D. et Kaboré S.T., 2003 ; Bourguignon F., 2003 ; Balaro O. G., 2004), est que la redistribution des revenus représente un facteur de réduction de la pauvreté. Ainsi, la redistribution devrait conduire à une baisse de l’indice de Gini du fait du transfert d’une partie des revenus des riches vers les plus pauvres.
Dès lors, pour attester la vérification de l’hypothèse spécifique N°2, il suffit que, en valeur absolue, les élasticités par rapport à la dépense moyenne soient inférieures aux élasticités par rapport à l’indice de Gini.
Lorsque l’inégalité des revenus augmente de 1%, pour maintenir inchangé le niveau de la pauvreté, il faut un effort supplémentaire de croissance tout au moins proportionnel à la variation de l’indice de Gini. C’est dire que le taux marginal de substitution entre inégalité et croissance devrait être supérieur à l’unité pour présager d’une politique adéquate d’arbitrage. Ainsi, sera vérifiée l’hypothèse spécifique N°3.
II- Sources de données
Il existe actuellement au Bénin plusieurs sources de données (ELAM, ECVR1, ECVR2,…) pouvant être utilisées pour analyser l’impact de la croissance et des inégalités sur la pauvreté. Mais, la source la plus récente qui présente la structure des revenus et des dépenses de consommation des ménages, est celle relative à l’enquête sur le bien-être (enquête Quibb) réalisée par l’Institut National de la Statistique et de l’Analyse Economique (INSAE) en 2002, et qui a concerné 5350 ménages. Cette enquête constitue donc la principale source d’informations statistiques exploitées dans la présente étude pour estimer les différents indicateurs de pauvreté et d’inégalité. Un ajustement de cette base à l’aide de l’indice des prix à la consommation (IPC, base 2002), nous permettra de présenter la dynamique de la pauvreté entre 2002 et 2004.
1 DAD est un logiciel d’analyse distributive de la pauvreté conçue par le Centre International de Recherche et de Développement (IRDC-Canada) dans le cadre du programme d’analyse de l’impact des politiques macroéconomiques et d’ajustement.