La gestion du risque et la tarification des assureurs reposent sur la modélisation du risque, or ce système n’est pas fiable. La modélisation des risques aboutit à la création de différents scénarios qui peuvent se contredire. De plus, certains sinistres n’ont pas été prévus comme les tempêtes Martin et Lothar et le cyclone Katrina. Ce manque de fiabilité des modélisateurs ne concerne pas que les risques climatiques, mais l’ensemble des risques comme les attentats terroristes de septembre 2001. Les prévisions et l’ampleur des pertes n’ont pas été correctement évaluées pour ces sinistres. Comment faire pour contrôler la
crédibilité des scénarios notamment quand plusieurs d’entre eux se contredisent ? C’est sur cette question que les assureurs européens se sont penchés, afin de mieux appréhender ce risque. (§1)
Le risque climatique, qui est source de difficulté, est également transformer, par les acteurs en une véritable opportunité. Ainsi, les assureurs et les entreprises météo-sensibles vont se servir du risque climatique pour pouvoir vendre leurs produits, c’est ainsi que le risque climatique est utilisé à des fins de marketing. Les courtiers se sont également penchés sur le problème du risque climatique et plus précisément sur le manque de neige. La filiale de Gras Savoye a ainsi mis en place un produit unique permettant aux exploitants de remontées mécaniques de se couvrir contre l’aléa d’exploitation. (§2)
§1. La création d’outils de l’industrie européenne de l’assurance
Les assureurs souhaitent avoir une meilleure prévisibilité quant à la survenance d’un risque climatique. Ils ont élaboré deux nouveaux outils l’un qui permet d’avoir une évaluation plus juste des conséquences d’une tempête en Europe, permettant ainsi une meilleur réactivité des services d’assurance (B), l’autre permet aux assureurs et réassureurs de pouvoir plus se fier aux modélisateurs du risque (A).
A/ Périls, une évaluation plus réaliste du risque de tempête
Pour pouvoir contrôler la fiabilité des modèles utilisés, il est nécessaire d’avoir des données tangibles sur les sinistres comme le coût du sinistre dans la zone sinistrée, la granularité et l’intensité. Or ce sont ces données qui manquent aux assureurs et aux concepteurs de modèle. Ces derniers établissent leur modèle à l’aide des données qui sont délivrées par les réassureurs tel que Munich Ré. Or, les réassureurs ne délivrent que des informations globales sans rentrer dans les détails. Ainsi, ils délivrent des montants globaux des pertes assurées par sinistre et non les montants supportés par tel pays ou telle région. C’est pour cela que les modélisateurs ne peuvent pas totalement refléter la réalité car les données sur lesquelles ils se fondent sont
imprécises.
C’est face à ce constat que les Chief Risk Officers des compagnies d’assurances et de réassurances européennes (Allianz, Axa, Munich Re, Swiss Re et Zurich Financial Services) ont décidé de créer une société dont l’unique activité est de fournir ces données tangibles et précises pour le risque de tempête. C’est ainsi qu’en 2009 est née la société « Périls ». Elle recueille les données concernant les dommages subis après un sinistre mais également les données d’exposition face au risque de tempêtes. Ces données ne concernaient que le risque tempête. Depuis 2011 et 2012 elles concernent également le risque d’inondation et de tremblement de terre(82).
Ces données sont recueillies auprès d’une soixantaine d’assureurs situés dans neuf Etats Européen dont la France. Une fois ces données acquises, Périls calcule la perte que va subir le marché en dommage et dans la zone sinistrée. La zone géographique sinistrée, sur laquelle la société Périls se base, équivaut à un département. Ces résultats sont alors plus précis que ceux qui sont fournis par les réassureurs. Ces informations constituent une base de données permettant aux assureurs de vérifier la validité des modèles et de mieux adapter la tarification de ces risques. Cette base de données permet également de choisir une meilleure couverture en réassurance. En effet, avant Périls, les assureurs évaluaient leurs besoins de couverture au regard des scénarios établis par les modélisateurs. Or, selon les modèles, le montant de couverture passait du simple au double. Les souscripteurs devaient s’en contenter et choisir un montant sans être sûr. Grace à Périls, les modèles et les évaluations des sinistres sont plus réalistes. De plus, il faut souligner que la création de Périls permettra également aux assureurs de mieux se conformer à la nouvelle réglementation, Solvabilité II, concernant la transparence entre les risques supportés et les fonds propres(83).
B/ Coventéo, une évaluation du dommage avant la tempête
Le groupe COVEA a mis en place un outil de management en créant Coventéo. Coventéo est un outil permettant d’évaluer les conséquences des sinistres importants comme les sinistres climatiques. Il utilise les prévisions météorologiques de 440 stations de météo ainsi que des paramètres tels que l’occupation du sol et son relief pour déterminer la répartition et le coût d’une tempête ainsi que le nombre de déclaration. Ces données permettent principalement de mettre en place en amont la gestion du sinistre. En effet, grace à l’évaluation du nombre d’expertises, l’assureur peut avertir ces prestataires et les mobiliser. Il permet également de prévenir les assurés, mais seulement ceux qui se trouvent dans la zone la plus exposée. Les assurés peuvent ainsi prendre toutes les mesures nécessaires afin de protéger leur patrimoine et surtout leurs vies.
Ainsi, cet outil permet d’alerter les assurés face au risque, et de mettre en place en amont les ressources et personnels nécessaires pour pouvoir indemniser rapidement et correctement les sinistrés. C’est ainsi que le risque climatique commence à être mieux maitrisé. Cette volonté d’appréhender ce risque se traduit également la création de nouveaux produits.
§2. L’élaboration de nouveaux produits
L’appréhension du risque climatique peut être une source d’opportunité pour les acteurs. Les entreprises dépendantes du risque climatique, les assureurs et les courtiers ont relevé le défi du risque climatique en créant des produits basés sur ce risque. Gras Savoye a mis en place un nouveau produit, afin d’apporter une solution concrète aux acteurs du tourisme d’hiver face au risque de manque de neige(A). Ce produit est un véritable succès. Quant aux entreprises météo sensibles, avec ou sans la collaboration des assureurs, elles vont se servir du risque climatique dans le but d’attirer et de fidéliser les clients. (B)
A/ Nivalliance et le risque neige
Les exploitants des stations de ski sont dépendants du climat. Leurs résultats d’exploitation sont liés au niveau de neige qu’il y a eu pendant la saison. Or, selon les années comme en 1994, 2000, 2002 et 2003 le niveau d’enneigement n’était pas suffisant, provoquant ainsi une diminution du chiffre d’affaires pour les exploitants. Cette situation est assez proche de celle des exploitants agricoles, dans le sens où il suffit d’un orage ou de la grêle avant la récolte pour que tout s’écroule. Cependant ces derniers peuvent compter sur le fonds de calamité agricole. C’est ainsi que dans les années quatre-vingt dix, l’Etat et le Syndicat National des Téléphériques Français ont collaboré pour essayer de mettre en place un fonds neige. Or ceci n’a jamais abouti.
Face à ce constat, Gras Savoye a alors saisi l’opportunité, en créant une assurance mutualisée des aléas d’exploitations pour les exploitants des stations de ski. Nivalliance, a pour but de couvrir les pertes liées à des aléas d’exploitations comme le manque d’enneigement, en créant une solidarité entre les exploitants de basse ou haute altitude, de grande ou petite taille. Se pose alors la question de l’intérêt de ce produit par rapport à un contrat classique perte d’exploitation. L’intérêt de Nivalliance réside d’une part dans le fait que le montant de la prime est faible et d’autre part, de l’étendue des causes de
perte d’exploitation. Les exploitants sont attirés par ce produit car il prend en compte une diversité des causes de perte d’exploitation. Il ne s’agit pas que du manque de neige mais également de l’excès de neige, coupant ainsi les accès aux stations, créant des avalanches. Il couvre aussi les pertes d’exploitation causées par les grèves externes, ainsi que le risque d’un changement de calendrier de vacances scolaires.
La seconde différence est le coût, dans le contrat ‘individuel’ perte d’exploitation, la prime est fixée entre 7% et 10% du chiffre d’affaires, alors que dans le contrat Nivalliance, la prime est fixée entre 0,35% et 0,75% du chiffre d’affaires. La calcule de la prime s’effectue à travers trois tranches en fonction de l’exposition de l’exploitant au manque de neige. La couverture est déclenchée à partir d’une baisse de 20 % du chiffre d’affaires. Ce contrat a rencontré un véritable succès, il est souscrit par 250 exploitants des Alpes, des Pyrénées, du Massif central, des Vosges et du Jura, dont les 20 plus gros exploitants. Ceci a contribué au succès de ce produit. Ainsi, la première année de sa mise en place, en 2001, le montant des primes s’élevait à 3,30 M€. De plus, grace à la création de ce contrat permettant une meilleure mutualisation de l’aléa perte d’exploitation, l’Etat a supprimé la taxe parafiscale des remontées mécaniques. Ce modèle de gestion du risque est entrain d’être introduit dans différents pays comme la Suisse, l’Italie, L’Autriche…(84).
C’est ainsi qu’un risque climatique peut être transformé en une véritable opportunité, satisfaisant tant les « victimes », qui voient leurs préjudices économiques diminuer, que l’Etat qui n’a pas à créer un Fonds National. Cette opportunité a également été saisie par les entreprises et les assureurs.
B/ Une approche marketing du risque climatique
Une nouvelle approche du risque climatique voit le jour depuis quelques années. Les entreprises et assureurs vont se servir de ce risque afin de promouvoir de nouveaux produits. C’est sur cette approche que la filiale voyage de Munich Ré propose de nouvelles garanties aux voyageurs, depuis 2010, afin de faire face aux fermetures des aéroports en cas de force majeure, comme la neige. L’assuré qui ne peut pas prendre son avion car il a été annulé ou reporté, se voit dédommager sur ses frais de réacheminement. De plus, s’il doit rester dans l’aéroport, il reçoit une indemnité qui lui permet de couvrir ses frais de première
nécessité, d’hébergement et de restauration. Cette assurance prend ainsi en charge les dépenses à concurrence de 80 euros par nuit et avec un maximum de cinq nuits. Cette assurance est incluse dans les produits multirisques et assistance pour les voyageurs(85). Les entreprises touristiques adoptent également cette stratégie marketing. Ainsi, le Club Med, propose depuis 2003, un avoir de 50€ par jour et par personnes si le domaine skiable est ouvert au moins de 50%. Cet avoir est à utiliser sur un prochain séjour et à des dates déterminées. Ainsi, cela permet au voyagiste de transformer un risque, le manque
de neige, en une opportunité marketing(86).
Le voyagiste Jet Tour, fait de même, il offre à ses clients un avoir de 150 euros s’il pleut plus de 18 heures, entre 9h00 et 18h00, pendant leurs séjours de sept nuits(87). Le secteur du tourisme n’est pas le seul à profiter de cette opportunité, le secteur de l’énergie aussi. En effet, Aon et Metnext ont mis en place un produit nommé Assurance Grand Froid pour les clients de l’énergéticien Poweo. Ainsi, grace à cette assurance, dont la souscription s’élève à 4€ par mois, l’assuré est couvert contre un hiver trop rigoureux et il se voit rembourser une partie de sa facture d’électricité. Concrètement, Metnext, filiale de météo France a élaboré des seuils spécifiques selon les 22 régions de la France. Si la température est en dessous de ce seuil Poweo verse 1€ à son client. Ce dernier n’a rien à faire, il n’a pas à établir une déclaration de sinistre, la gestion revient à l’assureur Aon. Dans tous les cas le client est satisfait : si l’hiver est rude, Aon lui rembourse une partie de sa facture et si l’hiver est doux, la facture est réduite(88).
L’ensemble de ces entreprises mettent en place ces offres en recourant à une couverture : les dérivés climatiques(89). Cet aléa climatique est donc une source d’opportunité pour les acteurs en mettant en place différents produits. Pour autant, cette meilleure appréhension ne peut porter tous ses fruits et évoluer que si l’Etat y met du sien.
82 DUFRÊNE.C, Une banque de données européennes sur les tempêtes est née, L’argus de l’assurance, 2009, p12.
83 HITZ.L, L’assurance tempête européenne vers plus de transparence, L’argus de l’assurance, 2010, http://www.argusdelassurance.com/actualites/l-assurance-tempete-europeenne-vers-plus-de-transparence.46648.
84 La solidarité à l’égard des petites stations soumises à un fort aléa climatique, http://www.senat.fr/rap/r02-015-1/r02-015-193.html
85 BOSSO,F, Cat’nat : L’Européenne d’assurance emboite le pas, 2010, L’argus de l’assurance, http://www.argusdelassurance.com/actualites/cat-nat-l-europeenne-d-assurances-emboite-le-pas.43955
86F OURNEAUX S, HOLZ R, MORENO M, CARLE J, MARTEAU D, La Gestion du Risque Climatique, Economica, 2004, p 103
87 Voir supra
88 TUFFERY.S, Des dérivés climatiques grand public, L’Argus de l’assurance, 2008, p 16-17.
89 Voir infra Chapitre 2, page 70 .