Les ouragans et les tempêtes tropicales représentent des menaces récurrentes pour les Etats-Unis, puisque ceux-ci frappent presque chaque année les régions côtières situées dans le golfe du Mexique et l’océan Atlantique. La saison des ouragans débute généralement en juin et se termine en novembre, touchant généralement les états du Texas, de la Louisiane et de la Caroline du Nord. Les ouragans représentent donc un risque naturel habituel sur le territoire américain, et la vulnérabilité des côtes est sensée être connue, d’autant plus que certaines villes comme la Nouvelle-Orléans sont particulièrement exposées au risque (cette ville a été construite dans une région marécageuse, en dessous du niveau de la mer et à proximité d’un fleuve sujet aux crues imprévisibles et violentes).
Pourtant, trois grandes failles du système américain ont été mises en exergue au cours des dernières années, et en particulier en 2005 après le passage des ouragans Katrina et Rita. L’ouragan Katrina fut l’un des plus dévastateurs que les Etats-Unis aient connu, puisqu’il a généré plus de 1,7 millions de réclamations auprès des assureurs, dont près de la moitié dans l’état de la Louisiane, représentant des milliards de dollars de réparation. L’ouragan Katrina tua près de 1300 personnes, en a déplacé des millions d’autres, et en a laissé des centaines sans abris et sans travail(82).
Tout comme la France, les Etats-Unis sont globalement très mal préparés aux catastrophes naturelles de grande ampleur, malgré la survenance quasi habituelle de ces phénomènes. De plus, en matière de prévention des risques et de gestion des crises, nous devons noter que, côté américain, le poids du fédéralisme joue un rôle plus que négatif. Par ailleurs, les organismes publics sensés intervenir en cas de catastrophe tels que la FEMA semblent malheureusement démontrer leur grande inefficacité(83).
§1 : L’insuffisance des exercice de prévention
A la suite du passage de l’ouragan Georges en 1998, une réflexion sur un exercice de simulation est née aux Etats-Unis.
En décembre 2003, l’administration du Président Bush avait demandé au département de la sécurité intérieure (Department of Homeland Security) de recenser les menaces les plus graves pour la sécurité du pays. En premier lieu figurait bien évidemment le risque d’attentats terroristes, puis ensuite celui des catastrophes naturelles et en particulier les ouragans. Au printemps 2004, l’administration Bush décide donc de mettre au point un exercice de simulation, baptisée « Hurricane Pam exercise ». Cet exercice prévoyait notamment de modéliser sur ordinateur un ouragan de catégorie 4 et d’en étudier les effets afin d’élaborer des réponses réalistes et efficaces par les différents responsables gouvernementaux et les services d’urgence. Joué en juillet 2004 pendant 8 jours, cet exercice a été suivi par de nombreux responsables américains, que ce soit le Pentagone, la Garde Nationale ou encore les gardes côtes(84).
Cet exercice était censé représenter une première discussion sur la manière de faire face à un désastre. D’ailleurs, l’exercice Pam et les travaux des différents intervenants ont débouchés en Janvier 2005 sur le « Southeast Louisiana Catastrophic Hurricane Plan », sensé être une première étape vers l’élaboration d’un plan de prévention global destiné à être approuvé et appliqué par tous, que ce soit au niveau local qu’au niveau fédéral. Pourtant, les enseignements tirés du « Hurricane Pam exercise » n’ont pas véritablement donné lieu à des mesures pratiques. Un certain nombre de problèmes soulevés lors de la simulation n’ont pas été pris en compte par la suite, comme par exemple : le retour des habitants dans les villes sinistrées, l’hébergement provisoire des réfugiés ou encore l’insuffisance de vivres de la FEMA(85).
§2 : Le fédéralisme, un handicap majeur
La France et les Etats-Unis sont deux états très différents sur de nombreux aspects et en particulier en ce qui concerne l’organisation politique du pays. Alors que la France est un état centralisé, les Etats-Unis ont toujours été un pays fédéral, dans lesquels les pouvoirs sont strictement indépendants et répartis sur plusieurs échelles.
La gestion des catastrophes relève traditionnellement des attributions des gouverneurs et des pouvoirs locaux, qui bénéficient de l’aide de l’administration fédérale en cas de besoin. Le gouvernement fédéral ne joue, en effet, qu’un rôle secondaire en la matière, et se contente de satisfaire les besoins que les états fédérés et les gouverneurs locaux ne sont pas en mesure de combler. L’Etat fédéral doit cependant toujours veiller à respecter la sacro sainte souveraineté des états et à ne pas interférer dans les directives données par les gouverneurs de chaque état. Cette conception de la répartition des pouvoirs, issue de la Constitution américaine, s’illustre parfaitement dans la gestion des crises qui touchent les Etats-Unis. De manière générale le gouvernement fédéral est chargé d’assurer la défense, la politique étrangère et le commerce extérieur, alors que les autorités locales prennent en charge les troubles civils et les atteintes à la sécurité publique.
Lors du passage de l’ouragan Katrina en 2005, c’est justement cette répartition des pouvoirs due au fédéralisme américain qui a été pointé du doigt. En effet, l’évacuation des villes est une responsabilité qui appartient aux seules autorités municipales, et ne peut être exercée par des autorités supérieures. En France au contraire, en cas de crise, le préfet dispose du pouvoir de se substituer de force au maire et de prendre à sa place des mesures qui s’imposent pour préserver la sécurité publique(86).
Dans le cas particulier de la ville de la Nouvelle-Orléans qui fut très sévèrement touchée par l’ouragan Katrina, le maire, Ray NAGIN a tardé à imposer l’évacuation obligatoire de la ville. Ce dernier avait d’abord préféré appeler à une simple évacuation volontaire, laquelle n’a été effectuée que ne manière imparfaite. C’est finalement sous la pression du gouverneur de l’état de Louisiane, Kathleen BLANCO, que Ray NAGIN décida de donner l’ordre d’évacuation. Cet ordre n’est intervenu que 24 heures avant que l’ouragan ne frappe la ville, et le maire a ensuite refusé de faire procéder à l’évacuation de force des milliers d’habitants qui n’obéissaient pas à l’ordre d’exécution. Il était en effet convaincu que l’ouragan épargnerait la Nouvelle-Orléans au dernier moment.
De plus, force est de constater que les états fédérés ne disposent pas de moyens techniques et logistiques nécessaires pour faire face aux catastrophes telles que les ouragans Katrina et Rita. En Louisiane par exemple, les responsables du centre des opérations de la ville de Bâton Rouge ne sont que très mal préparés à gérer une catastrophe de grande ampleur. Ces derniers ne disposent au total que de 40 personnes correctement formées, ce qui est largement insuffisant pour diriger un grand nombre d’opérations de secours.
Au niveau de l’Etat fédéral, les responsables n’ont tout d’abord pris la menace au sérieux. La plupart des responsables de haut rang étaient d’ailleurs en vacances au moment des faits : que ce soit Georges Bush, Dick Cheney ou encore Andrew Card. La cacophonie fut d’autant plus grande lorsque l’ouragan frappa les divers états de la côte, puisque la disparition quasi-intégrale de tous les moyens de communication a empêché la compréhension de la situation par l’administration fédérale. Ce n’est que 30 heures après la catastrophe qu’un premier rapport fut rédigé afin de rendre compte du drame qui s’est joué dans le Golfe du Mexique.
§3 : L’affaiblissement de la FEMA
Depuis plusieurs années déjà, la FEMA fait l’objet de vives critiques. Un inspecteur général de la sécurité intérieure américaine avait déjà été chargé d’établir un rapport sur l’activité de la FEMA à la suite des ouragans ayant frappé la Floride en 2004. Selon ce rapport, l’agence américaine ne disposait pas d’un système efficace afin de suivre le personnel, les matériels et les équipements envoyés dans la zone sinistrée. Ces faiblesses furent confirmées en 2005 par un audit de la FEMA, mené par un cabinet de consultants privé (Mitre Corporation). Cet audit décrit notamment une agence en morceaux, mal dirigée, qui ne dispose pas d’un état major et d’un budget suffisant.
Lors du passage de l’ouragan Katrina, la FEMA a en effet procédé à de nombreux choix peu stratégiques, comme par exemple l’entreposage des réserves de nourriture et de médicaments dans des zones beaucoup trop éloignées du lieu de la catastrophe. En outre, ces réserves étaient bien insuffisantes en comparaison à celle qui avaient pu être prévues lors de l’exercice Pam de 2004. Cette erreur de préparation a été lourdement reprochée à la FEMA, qui s’est vue incapable d’assurer le soutien logistique de la crise et satisfaire aux demandes qui lui étaient faites. La FEMA a ensuite essuyé un nouveau coup dur lorsqu’elle a du prendre en charge la gestion des morts, dont le bilan fut particulièrement lourd en Louisiane, puisqu’elle a mis plus de 10 jours avant d’installer une morgue.
Cette agence américaine s’est donc vu attirer la foudre de nombreux américains, qui lui ont reproché de n’avoir pas su gérer dignement et efficacement cette crise alors qu’elle aurait dû y être préparée. Il a notamment été reproché à l’administration Bush d’avoir concentré le budget américain sur la lutte antiterroriste au détriment d’autres menaces, comme celles que représentent les catastrophes naturelles. En effet, après les attentats du 11 septembre 2001, le gouvernement fédéral a fait le choix de faire fusionner la FEMA à l’intérieur d’une nouvelle « super agence » chargée de regrouper l’ensemble des outils nécessaires pour combattre le terrorisme : le « Department of Homeland Security », regroupant en tout 22 agences. La FEMA a ainsi perdu son lien direct avec le Président, qui était une clef de son efficacité.
A la suite de la gestion désastreuse de l’épisode Katrina par la FEMA, Michel Brown, directeur de la FEMA au moment des faits, fut licencié. Cela a marqué la volonté du gouvernement Bush de dédouaner l’administration fédérale des reproches qui lui ont été fait, en faisant peser le poids de la culpabilité sur Brown et son rôle à la tête de la FEMA(87).
82 BUCKLEY P : American for insurance reform report : « the insurance industry’s troubling response to hurricane Katrina”, 2006.
83 STEIGER E. : « L’ouragan Katrina : les leçons d’un échec : les faiblesses du dispositif de la sécurité intérieure des Etats-Unis », www.diploweb.com, Janvier 2008.
84 Hurricane Pam, www.globalsecurity.org
85 LONGLEY R : « FEMA’s Pam’ simulation Foretold katrina disaster », www.usgovingo.about.com
86 Article L2215-1 du Code général des collectivités territoriales : « le représentant de l’Etat dans le département peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d’entre elles, et dans tous les cas où il n’y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publique ».
87 COOPER C & BLOCK R: « Disaster: Hurricane Katrina and the failure of Homeland security », Times Books, 2006, p 105.
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