En France comme à l’étranger, des politiques sanitaires d’amélioration de la qualité du système de santé et de gestion des risques ont été mises en place notamment concernant les professions médicales dites à risque exercées en libéral. De nombreux efforts ont été faits au sein des différentes spécialités que sont la chirurgie, l’anesthésie et la gynécologie-obstétrique. Les progrès sont présents (§1) mais non uniformes selon la spécialité (§2). Ils se sont surtout ressentis pour la catégorie des anesthésistes puis pour les chirurgiens. Enfin, les gynécologues-obstétriciens libéraux connaissent encore, malgré une réduction des sinistres, des difficultés à s’assurer.
§1 : Un accès privilégié des anesthésistes à l’assurance
L’anesthésie est la spécialité qui a su le plus rapidement et le plus efficacement faire face à la crise de la responsabilité civile médicale(80). Cette réactivité s’est exprimée au travers de la prévention et la gestion des risques organisées par les anesthésistes libéraux, constitués en syndicats et aidés par des associations. En parallèle, les assureurs ont su remettre à l’ordre du jour la prévention et la gestion des risques comme action complémentaire de celles de professionnels de santé.
Dès 1982, a été créée la SFAR, syndicat professionnel. Depuis 1988, un de ses objectifs innovants est la « sécurité de tous les gestes effectués par les anesthésistes-réanimateurs »(81). Ce but sous-entend la volonté de l’association de protéger ses adhérents des accidents médicaux et ce, par la mise en oeuvre de différents moyens. Un premier élément significatif permet de rendre compte de la réactivité de la profession face à la crise de la responsabilité civile médicale. Selon le rapport 2010 de la MACSF-Sou médical, les dispositifs de gestion des risques mis en place par la profession a permis une réduction des primes à 7 000€ dès 2004. Ce même rapport montre qu’en 2010, les anesthésistes-réanimateurs constituent la spécialité la moins exposée au risque d’accidents médicaux avec 9, 5% de mise en cause contre 10, 1% pour les obstétriciens et 24.3% pour les chirurgiens. Parallèlement, on peut voir la confirmation de ses éléments par le compte rendu de l’année 2010 établi par la SFAR(82). De 2008 à 2010, la sinistralité a progressivement baissé bien qu’une légère hausse de 18% à 18, 2% ait été constatée entre 2009 et 2010.
A titre de comparaison, la sinistralité concernant les chirurgiens était de 44% en 2009. Une des causes de la sinistralité moins élevée des anesthésistes-réanimateurs est le fréquent partage de responsabilité entre l’anesthésiste et le chirurgien. Il ne faut cependant pas oublier que l’anesthésie-réanimation peut connaître de lourds sinistres, ceux-ci étant d’ailleurs en baisse. En effet, le sinistre le plus élevé en 2010 était de cinq millions d’euros contre sept millions d’euros en 2009.
L’ensemble de ces données chiffrées permet d’avoir un aperçu de l’amélioration de la situation de la spécialité à risque qu’est l’anesthésie-réanimation. Cette baisse de sinistralité et son impact bénéfique notamment sur les primes(83) résultent de la mise en oeuvre de dispositifs de prévention et de gestion des risques.
La gestion des risques résulte de l’action commune de la SFAR et de l’association Anesthésie, Réanimation, Risques et Solutions (ARRES) qui, grâce à l’aide de médecins-conseils ont développé des outils efficaces. Plusieurs exemples ont fait leurs preuves : l’analyse systématique des sinistres des adhérents, la mise en place de conférences d’experts, l’organisation de formation pour les adhérents(84). Aux Etats-Unis, l’American society of anaesthesiologists a également expérimenté ces outils et est parvenue à une modération des primes d’assurance(85).
La notion centrale qui guide cette politique de gestion du risque est l’évitabilité du risque : quels sont les risques, les accidents que les professionnels peuvent éviter ? Pour mener cette action de prévention, la profession a également été soutenue par les assureurs et courtiers. Par exemple, le courtier français Branchet exigeait que « tout assuré gynécologue-obstétricien suive une journée de sensibilisation au risque d’accident »(86). S’en est suivie une diminution des primes d’assurance mais aussi une assurabilité plus étendue du risque médical.
L’évitabilité du risque(87) repose notamment sur trois piliers impliquant les acteurs de santé. La connaissance du risque suppose au préalable un recueil d’informations sur les évènements dits indésirables graves, ceux porteurs de risques répertoriés par la Haute autorité de santé ou encore l’action de l’Observatoire des risques médicaux créé par la loi n°2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie. L’analyse des données constitue l’étape suivante. On en dégage des recommandations, mises en oeuvre ensuite pour donner toute son effectivité à la gestion des risques.
Par ailleurs, l’amélioration de la situation des anesthésistes a été facilitée par la mise en place d’un corpus de « best practices » qui contenait un ensemble de procédures techniques pour améliorer les risques et limiter l’augmentation des cotisations(88). On peut donner l’exemple d’une recommandation de la SFAR relative à la surveillance des patients en cours d’anesthésie(89) détaillant les différentes étapes à suivre pour s’assurer de la bonne exécution de l’acte médical.
Les solutions trouvées à l’amélioration de la situation des anesthésistes-réanimateurs ont, du fait de leur efficacité, été étendues aux autres spécialités à risque(90) grâce notamment à la participation de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES), devenue la Haute autorité de santé depuis, dont l’une des missions est la réalisation d’études relative aux connaissances scientifiques et professionnelles « en matière de stratégies diagnostiques et thérapeutiques en médecine ». Cette mission est réalisée avec l’avis des professionnels de santé(91).
§2 : L’accès timide des chirurgiens et des gynécologues-obstétriciens à l’assurance
A l’image de ce qui précède, les gynécologues-obstétriciens se sont organisés en syndicats pour améliorer leur gestion des risques. Le SYNGOF en est un exemple. De même, a été créé en septembre 2007 GYNERISQ. Il s’agit d’une association professionnelle, créée par le SYNGOF et le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) et chargée d’organiser la gestion des risques de cette profession et veiller « à la sécurité médicale des patients et juridique des praticiens »(92). Les éléments concrets de la gestion des risques pratiqués par GYNERISQ sont notamment la validation automatique de l’évaluation des pratiques professionnelles, la déclaration d’évènements porteurs de risque dits EPR afin d’en cerner les facteurs. Un référentiel dit Référentiel Risques Spécialité Gynécologie Obstétrique a été établi et permet de corriger des situations à risque dites prioritaires par des actions correspondantes. On peut donner un exemple : une liste décrivant les situations à risque mentionne la complication hémorragique lors d’une intervention chirurgicale gynécologique ou obstétricale. Le remède proposé est la mise en oeuvre d’un protocole de surveillance postopératoire.
Le rapport 2010 MACSF-Sou médical fait mention de la répartition des mises en cause par spécialité, l’obstétrique ayant la quatrième place derrière les chirurgiens avec 52 mises en causes contre 125 pour ces derniers. Pourtant, le nombre de condamnations concernant ces deux spécialités sont à peu près équivalent en 2010 avec 60% de condamnations.
Concernant les chirurgiens, ORTHORISQ est un organisme de gestion des risques créé pour la sous-spécialité de chirurgie orthopédie. Elle pratique les mêmes méthodes que GYNERISQ.
Il est difficile de comprendre le décalage existant entre les spécialités quant à la gestion de leurs risques respectifs et à la réussite toute particulière des anesthésistes notamment quant à la réduction des primes d’assurance. Les arguments qui peuvent être avancés sont la spécificité du risque obstétrique et donc une plus grande difficulté de réaction face à un risque difficilement maîtrisable. Cela se ressent sur l’accès à l’assurance et les primes proposées par les assureurs. Il ne faut cependant pas nier les efforts faits et leur (lente) efficacité.
Depuis 1928, la Confédération des syndicats médicaux français, premier syndicat médical français permet la réunion des efforts des trois spécialités à risque évoquées.
On comprend que la difficulté d’accès à l’assurance de ces spécialités n’est pas complètement résolue puisque, dans une question écrite de Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret, à l’actuelle ministre des affaires sociales et de la santé, du 12 juillet 2012 relative aux conditions assurantielles des obstétriciens, anesthésistes et chirurgiens libéraux, celui-ci se demandait « quelles dispositions nouvelles [le Ministère] compte prendre pour apporter une solution à l’insécurité juridique de ces praticiens tant concernant les primes élevées que les risques importants de contentieux »(93). Une telle interrogation témoigne de l’actualité encore brulante du problème d’un accès uniforme à l’assurance.
On peut donc voir que l’assurabilité du risque médical est toute relative tout comme l’accès des professions médical à risque à l’assurance. Cette situation semble se dégrader au profit d’une assurabilité forcée mettant en difficulté les professionnels de santé exerçant des spécialités à risque, victimes à leur tour des accidents médicaux.
80 Rapport Johanet, 31 janvier 2011, p. 12, site www.sante.gouv.fr.
81 Site www.sfar.org.
82 Idem.
83 Voir supra, p. 16.
84 Rapport de l’IGAS, L’assurance en responsabilité civile médicale, 2007, p. 48.
85 Rapport de l’IGAS, 2004.
86 Idem n°61.
87 Idem n°61.
88 La problématique d’assurance pour les professions à risque, Olivier Muraire, Stéphane Penet, site www.ffsa.fr :http://www.ffsa.fr/webffsa/risques.nsf/b724c3eb326a8defc12572290050915b/8c6b1a769ec15090c125729c003ca25c/$FILE/Risques_68_0007.htm.
89 Mise en ligne le 10 avr. 2007, http://www.sfar.org/article/11/recommandations-concernant-la-surveillance-des-patients-en-cours-d-anesthesie.
90 Quatre acteurs sans scénario commun, in Revue Risques, Dr J-F. REY, mars 2004, n° ISBN 2-912916-63-1.
91 Les rôles de l’ANAES dans la régulation du système de santé français, Y. Matillon, P. Loirat et b. Guiraud-Chaumeil, ADSP, Volume 32, janv. 2002.
92 Le projet des URML pour résoudre le problème de la responsabilité civile médicale, Réconcilier Droit et soins, 2003.
93 Question écrite n°00592 de Jean-Pierre Sueur, Journal Officiel du Sénat du 12 juillet 2012, p. 151, site www.senat.fr.