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Section 1 : Un état des lieux diversifié de la responsabilité civile médicale

Il est légitime qu’on puisse s’interroger sur les dispositifs en vigueur à l’étranger concernant la responsabilité civile médicale. En effet, il peut clairement s’agir d’une source d’inspiration et plus particulièrement d’un outil de comparaison pour faire évoluer le système français et ce, bien que les caractéristiques culturelles, économiques, sociologiques et juridiques diffèrent. Il faut effectivement tenir compte de la conception différente des pays européens sur le débat de la responsabilité civile médicale même s’il peut exister des points de convergence.

Une étude intéressante a été menée concernant les Etats membres du Conseil de l’Europe et a été présentée lors d’une Conférence à Strasbourg en juin 2008(160). Elle a permis de mettre en évidence la dimension européenne et même internationale de la problématique de la responsabilité civile médicale, cette dernière occupant une place différente dans la politique des Etats(161). En effet, l’une des premières observations ressortant de cette étude est la généralisation de l’augmentation des primes d’assurance en Europe, tout particulièrement en France et en Allemagne.

L’une des causes dégagées est l’augmentation des spécialités médicales à risque, à savoir la chirurgie, l’anesthésie-réanimation et la gynécologie-obstétrique. D’emblée, il est nécessaire de préciser que la constitution de cette étude s’est heurtée à de nombreux obstacles considérant que les terminologies en assurance, les garanties et les éléments déclencheurs de garantie diffèrent. Pour certains Etats, il a même été constaté une absence de données.

D’emblée, il convient de contrer une affirmation formulée à l’occasion de ladite conférence. En effet, Monsieur Christophe FOURCADIER, Agent général d’assurance, délégué de La Médicale de France, a considéré que « l’assurabilité de la branche médicale n’est sur le fond ni discuté ni discutable (…) [et] ne peut être mise en cause »(162). Or, l’ensemble des problèmes développé et l’objet même de cette conférence invalident ce raisonnement. Plusieurs points ont été abordés par les conférenciers. Tout d’abord, il a été fait un état des lieux concernant les différentes composantes du contrat d’assurance de responsabilité civile médicale (§1) puis un autre relatif à des éléments périphériques à celui-ci comme les sources de financement de l’assurance responsabilité civile médicale, le développement d’outils assurantiels et de marché (§2) afin de voir les solutions qui ont pu être expérimentées.

§1 : Des conceptions différentes du contrat d’assurance de responsabilité civile professionnelle médicale et de son fonctionnement

Les conférenciers précisent, avant tout que les systèmes européens connaissent tous des difficultés mais ce, à des niveaux différents.

Le point de convergence le plus important est le constat que les indemnités allouées aux victimes d’accidents médicaux sont élevées. Ailleurs, les indemnités sont souvent émises au titre d’une police d’assurance privée avec, pour alternative ou complément, des versements émis par des associations de professionnels de santé « à but non lucratif et plurisectorielles »(163). L’assurance des professions médicales est donc le fruit d’une initiative privée et non publique.

La question préalable à tout contrat est l’assurabilité du risque comme on a pu le voir. L’étude précise, à juste titre, que la « capacité de couverture et l’assurabilité du risque médical dépendent du régime de responsabilité en vigueur et plus spécifiquement de l’évolution de la notion de faute et de son appréhension par les juridictions ». Il s’agit bien de ce qu’on a démontré précédemment.

D’ailleurs, les auteurs ne manquent pas de noter que la présomption de l’erreur médicale tend à se substituer à la notion de faute, cette tendance s’observant notamment en France, en Allemagne ou encore en Espagne. A l’inverse, l’Islande a adopté un régime de responsabilité sans faute, à l’instar de l’ensemble des pays nordiques en Europe. De plus, il est précisé que la majorité des pays doit faire face à une augmentation de l’intensité et de la fréquence des sinistres ainsi qu’à leur indemnisation. Pour exemple, la Suède observe une stagnation des indemnisations allouées, preuve que le système de responsabilité sans faute adopté fonctionne. La différence de régime de responsabilité favorise donc plus ou moins les victimes d’accidents médicaux.

Par ailleurs, concernant la couverture même d’assurance, la plupart des Etats prévoit une limitation, à la fois au niveau de l’étendue de la garantie que des plafonds de garantie. L’exemple des médecins libéraux est mentionné : leur assurance garantit en général les frais juridiques, les dommages financiers et/ou indemnités non financières accordées en cas d’engagement de la responsabilité civile professionnelle mais non les dommages et intérêts punitifs. A l’inverse, le Canada a privilégié comme élément déclencheur de la garantie la « base réclamation », appliquée sans limitation de garantie : un constat paradoxal est fait, celui du bon fonctionnement d’un tel système.

En effet, on pourrait penser que l’absence de limitation de garantie entraînerait un danger pour l’assureur. Le choix de la « base réclamation » est en général fait en Europe afin de limiter l’exposition aux risques et, du même coup, améliorer l’évaluation des risques. Pourtant, la « base fait dommageable » est préférée dans les pays nordiques dont le système parvient, le plus efficacement, à contrer les difficultés de la responsabilité civile médicale. Un compromis a été trouvé par certains Etats membres du Conseil de l’Europe au travers de contrats mixtes fournissant « une couverture en cas de contentieux provenant d’incidents susceptibles de s’être produits mais non encore signalés avant le changement de compagnie d’assurance du médecin »(164).

Cela permet clairement d’anticiper les contentieux ce qui offre une certaine sécurité aux médecins, spécialement aux libéraux exerçant des spécialités à risque : les « trous de garantie », problème majeur de la responsabilité civile médicale, sont largement atténués. Certains ont même opté pour une extension des délais de couverture, équivalent de notre garantie subséquente.

Une phase également importante ne doit pas être négligée est celle du financement de la couverture d’assurance et des indemnisations susceptibles d’être versées à la suite de sinistres.

§2 : L’existence de différents outils permettant l’effectivité du contrat de responsabilité civile professionnelle

Des outils de financement ont été mis en place afin de remédier au mieux à la difficulté d’assurance des professions médicales.
Concernant la hausse générale des primes, plusieurs solutions ont été envisagées pour la limiter. L’exemple du Canada est intéressant. En effet, son marché de l’assurance de responsabilité civile médicale est dominé par un système dit de « monopole mutuel avec capitalisation », la mutualisation et la capitalisation permettant d’être en mesure d’assumer des risques à développement long.

Le financement est assuré par une grande variété de professionnels ou encore par des coopérations de professionnels de santé exerçant des spécialités à risque comme les Berufgenossenschaften en Allemagne. Ces dernières préconisaient d’ailleurs de se conformer aux guides de bonnes pratiques émis par les assureurs. Leur but commun est évidemment la réduction des primes d’assurance.

Aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, pour des raisons culturelles, historiques et de spécificités du marché, des associations de défense des médecins, auxquelles ces derniers doivent adhérer, leur fournissent elles-mêmes une assurance. Elles sont ensuite remboursées par des captives de réassurance ou des réassureurs.

La couverture d’assurance peut également être prise en charge par des systèmes d’auto-assurance sous forme de groupes ou « trusts à prise de risque ». Leur présence s’explique par les raisons énoncées car la proposition d’assurance professionnelle par des compagnies est assez limitée dans ces pays. En effet, à l’instar de la France, les marchés européens enregistrent des pertes importantes entraînant la disparition d’assureurs sur le marché comme Saint-Paul qui s’est retiré des marchés américain et européen.

Le système d’assurance est organisé de manière particulière dans les pays nordiques. En Suède, depuis 1995, une compagnie publique d’assurance mutuelle s’est substituée aux assureurs privés pour assurer les professionnels de santé. En Finlande, afin de préserver la solvabilité des assureurs, ce qui est aussi une préoccupation française, des fonds de garantie, ayant la même finalité, sont créés.

Les compagnies d’assurance proposant une couverture d’assurance contre les erreurs médicales, dite «Assurance-patient » se doivent d’adhérer à un de ces fonds dit Centre d’assurances des patients qui fait notamment office de réassureur. Une particularité favorable autant aux victimes qu’aux professionnels de santé prévoit l’absence de plafond de garantie. Ce Centre intervient, comme le BCT français, dans le cas où un professionnel de santé s’est vu refuser une garantie par une compagnie d’assurance. Le fonds intervient également en cas de défaillance d’un assureur.

Ce centre est évidemment chapeauté par l’Autorité de surveillance des assurances, l’équivalent de notre Autorité de contrôle prudentiel. Cette Autorité a un droit de regard sur les clauses des contrats proposés ainsi que sur les primes. Au Danemark, il existe une obligation d’assurance malgré la prise en charge en dehors de toute faute pour les professionnels de santé libéraux depuis 2003.

Le même système est observé que pour la Suède. On note donc l’efficacité de ce système, d’autant plus que le contentieux est réglé quasi-systématiquement de manière amiable(165) ce qui permet notamment de réduire les primes. On peut également s’intéresser à la nature facultative ou obligatoire de l’assurance(166). Il existe une obligation d’assurance dans les pays nordiques depuis au moins les années 1990 mais d’origines différentes, législative, déontologique. Le problème de la responsabilité civile médicale avait donc été perçu assez tôt, la réaction n’en a été que plus bénéfique.

Concernant le système d’indemnisation, l’organisation diffère selon les Etats membres du Conseil de l’Europe. On peut trouver des mécanismes d’indemnisation mixte, à la fois privée et publique. Au Royaume-Uni, est instauré un système d’indemnisation dit discrétionnaire : il s’agit d’un « arrangement relatif à une indemnisation qui n’oblige pas juridiquement le prestataire de soins de santé à régler les frais et dépens résultant d’un évènement incertain », arrangement mis en place au sein d’un groupe de médecins entre les membres le composant. Si le lien de causalité n’est donc pas établi, ledit groupe accepte de prendre en charge conjointement les indemnisations en cas de contentieux auquel l’un d’eux serait confronté.

Dans les pays nordiques, le système étant fondé sur l’indifférence à l’égard de la faute et bien qu’il y existe une obligation d’assurance, la prise en charge, en cas de contentieux, est assumée par un groupe d’assureurs considérant qu’un assureur seul n’aura ni la capacité ni la solvabilité adéquates pour y faire face. En France, on a d’ailleurs créé temporairement le GTAM et le GTREM. Cependant, comme évoqué précédemment, il ne s’agissait que de solutions temporaires.

Une solution démontrant un très bon fonctionnement est celui des pays nordiques avec un système sans égard à la faute dit « régimes compensatoires sans blâme ». Il est intéressant d’en expliquer le fonctionnement général. En Suède, en cas de contentieux, le financement des indemnisations se fait automatiquement par le biais d’un fonds public ce qui permet une indemnisation plus rapide et à moindre coût par rapport à une procédure contentieuse. Le rapport évoque jusqu’à 35% de frais en moins. Les organismes assurant le fonctionnement du fonds identifient les risques et alertent les professionnels afin de réduire les sinistres.

Cela épargne donc un travail en amont par les professionnels de santé exerçant des spécialités à risques qui peuvent davantage se consacrer à corriger leurs pratiques. Cependant, plusieurs inconvénients ont été mis en évidence. Le fonds public constitue clairement pour les victimes un organisme solvable ce qui a tendance à accroître les indemnisations et à endetter celui-ci. De plus, il existe un risque de déresponsabilisation des professionnels de santé. Dès lors, il a été décidé d’instaurer un système hybride avec un financement partiel de ces derniers. Il faut préciser que seuls les accidents médicaux qui auraient pu être évités sont pris en charge par le fonds public.

Une autre de solution a été envisagée dans les pays nordiques et également en France : celle d’approfondir la relation avec le patient en insistant sur la communication de l’information au patient et ce, pour recueillir de sa part un consentement éclairé et réfléchi. La fréquence de contentieux relatifs à l’information du patient en France a été un des déclencheurs de cette pratique.

Par ailleurs, les pays nordiques ont opté pour un système d’ « offre anticipée » qui n’est ni plus ni moins une gestion amiable des contentieux, méthode qui s’est avérée très efficace(167).

Une alternative expérimentée aux Pays-Bas peut être mentionnée. Celle-ci est centrée sur la victime puisque cette dernière doit contracter une assurance dite « assurance directe au premier tiers ». Cette solution est certes limitée mais intéressante. Il s’agit d’une assurance au bénéfice des victimes d’erreurs médicales qui leur fournirait une indemnité dans ce cas. Aucune référence ne serait faite à la responsabilité du médecin. A l’étranger, elle est utilisée pour les expériences médicales mais on pourrait, par analogie, l’appliquer aux victimes d’accidents médicaux en général.

En France, existe déjà une garantie accidents de la vie qui pourrait adopter ce rôle mais les cotisations seraient élevées. Pour équilibrer les intérêts en présence, la victime n’aurait à s’assurer que ponctuellement, concernant des actes médicaux nécessitant l’intervention de professionnels de santé exerçant des spécialités à risque. Le professionnel de santé exerçant une spécialité à risque s’assurerait, lui, de manière permanente comme c’est le cas actuellement.

Selon F. Ewald, rejoignant la théorie exposée par Monsieur Vincent Heuzé(168), estime qu’il revient au patient de se couvrir et non au professionnel de santé(169). Cela est critiquable car le patient et le médecin sont tous deux parties prenantes au contrat médical. Dès lors, il conviendrait d’envisager le compromis exposé précédemment.

Un florilège de solutions peut être observé à l’étranger concernant le système d’assurance des professions médicales à risque. On peut se demander si certaines d’entre elles sont transposables en France, certaines ayant déjà été mises en oeuvre.

160 Le défi toujours plus grand de la responsabilité médicale : réponses nationales et européennes, Les implications économiques des indemnités liées à la responsabilité médicale : système d’assurance et d’indemnisation, Conférence à Strasbourg des 2 et 3 juin 2008, Jürgen SIMON et Brigitte JANSEN, professeur de droit et de bioéthique à l’université de Lüneburg en Allemagne et professeur à l’université de Madras en Inde, p. 91 et s.
161 Voir Annexe n°13.
162 Le défi toujours plus grand de la responsabilité médicale : réponses nationales et européennes, Assurer les professions médicales : une obligation légale pour les médecins et services de santé ?, Christophe Fourcadier, p. 188.
163 Le défi toujours plus grand de la responsabilité médicale : réponses nationales et européennes, Les implications économiques des indemnités liées à la responsabilité médicale : système d’assurance et d’indemnisation, Conférence à Strasbourg des 2 et 3 juin 2008, Jürgen SIMON et Brigitte JANSEN, professeur de droit et de bioéthique à l’université de Lüneburg en Allemagne et professeur à l’université de Madras en Inde, p. 91 et s.
164 Le défi toujours plus grand de la responsabilité médicale : réponses nationales et européennes, Les implications économiques des indemnités liées à la responsabilité médicale : système d’assurance et d’indemnisation, Conférence à Strasbourg des 2 et 3 juin 2008, Jürgen SIMON et Brigitte JANSEN, professeur de droit et de bioéthique à l’université de Lüneburg en Allemagne et professeur à l’université de Madras en Inde, p. 97.
165Idem.
166 Comité européen des assurances, La responsabilité des professions médicales et son assurance en Europe, hors-série, mai 199, p.24.
168 Voir supra, n°112.
169 Le défi toujours plus grand de la responsabilité médicale : réponses nationales et européennes, Les implications économiques des indemnités liées à la responsabilité médicale : système d’assurance et d’indemnisation, Conférence à Strasbourg des 2 et 3 juin 2008, Jürgen SIMON et Brigitte JANSEN, professeur de droit et de bioéthique à l’université de Lüneburg en Allemagne et professeur à l’université de Madras en Inde, p. 97.

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