L’article L.241-1 du Code des assurances est lié à l’article 1792 du Code civil, puisqu’il couvre la survenance de dommages de nature décennale pouvant engager la responsabilité prévue à l’article 1792 du Code civil. Par conséquent, étendre le domaine d’application de l’article 1792 du Code civil revient à élargir celui de l’article L.241-1 du Code des assurances. Nos futurs développements se fondent sur cette interaction des articles susvisés et porteront surtout sur le domaine d’application de la responsabilité des constructeurs.
Selon le Professeur Périnet-Marquet, la notion d’atteinte à la solidité de l’ouvrage et de l’impropriété à destination, a fait l’objet de cette interprétation extensive. Par exemple, la jurisprudence dans son pouvoir d’interprétation souverain, a retenu « un parquet qui grince dans une pièce, un écrou qui se desserre et qui cause une inondation(46)… ».
Il souligne l’interprétation déjà extensive des textes par la jurisprudence, avant la mise en place de la loi de 1978.C’est la raison pour laquelle le projet de loiSpinetta limitait la responsabilité des constructeurs, en cas d’impropriété à destination, « aux seuls dommages interdisant l’utilisation de l’ouvrage(47) ». Or, les sénateurs, souhaitaient à l’époque, que la jurisprudence soit conservée dans la loi et ont donc contestés cette conception trop restreinte de la loi et soutenue par le Gouvernement.
La notion d’ouvrage a également fait les frais de cette interprétation extensive. En effet, ont notamment été considérés comme ouvrage, des travaux sur existants ou le ravalement de façades.
Certains arrêts rendus par la Cour de cassation constituent, selon le professeur Hugues Perinet-Marquet, le fruit de « véritables innovations jurisprudentielles(48) ». En effet, la Haute Juridiction s’est permis une certaine liberté d’interprétation quant à l’esprit de la loi. Le plus connu des arrêts est celui rendu en 1991 par la première chambre civile de la Cour de cassation qui a totalement réinterprété la loi.
En effet, à l’époque, l’obligation d’assurance ne s’appliquait qu’aux « travaux de bâtiment ». Or, lors de cet arrêt, la jurisprudence avait fait entrer dans le champ d’application de l’assurance obligatoire des travaux de génie civile. La raison avancée était que ceux-ci avaient été exécutés à l’aide de « techniques de travaux de bâtiment(49). » Il en résulta une extension du champ d’application de l’assurance décennale obligatoire, qui ne coïncidait pas « tant avec la lettre de la loi qu’avec la volonté du législateur(50). »
Pourtant, s’est bel et bien sur ce fondement que les juges ont qualifiés d’ouvrage les revêtements de route et de trottoir et les ravalements de façade.
Les juges distinguaient les travaux qui avait une « fonction de construction » et ceux qui n’avaient qu’un rôle esthétique tel que la peinture ou un ravalement. Dans le premier cas, ils considéraient qu’il y avait un ouvrage, a contrario, dans le second cas, ils estimaient qu’il n’y avait pas d’ouvrage, ni d’élément d’équipement ni d’élément constitutif d’ouvrage, exception faite, du ravalement qui est considéré comme un ouvrage lorsqu’il a « une fonction d’étanchéité ou de protection thermique(51). »
Toutes ces exégèses ont abouti à une augmentation des contentieux jugée comme abusive. Il devenait nécessaire de freiner cette tendance afin de désengorger les tribunaux et les assureurs qui se retrouvaient à devoir indemniser de nombreux sinistres relatifs à des éléments qui, au départ, n’étaient pas censés entrer dans le champ d’application de l’assurance décennale obligatoire.C’est à cette période que sera mis en place le groupe de travail de 1997, missionné par le Directeur des Affaires économiques et internationales.
De nos jours, la jurisprudence est constante et considère comme des travaux de construction : « des travaux de réfection des canalisations de gaz réfrigérant de consoles d’un hypermarché, logées dans un caniveau conçu à cet effet et recouvert d’un dallage (critère de l’immobilisation) […] les travaux de rénovation dès lors qu’ils sont d’une certaine importance […] l’étanchéité d’un balcon d’un immeuble dans le cadre d’importants travaux de rénovation […](52) ».
In contrario, « les peintures extérieures ayant une vocation purement esthétique(53) […], la réalisation de drainage à proximité d’une construction préexistante(54)[…] (55)»
46 PERINET-MARQUET Hugues, « Un système en évolution », Colloque SMABTP du 14 octobre 2003, p.7.
47 Ibid.
48 PERINET-MARQUET Hugues, « Un système en évolution », Colloque SMABTP du 14 octobre 2003, p.8.
49 Ibid.
50 Ibid.
51 PERINET-MARQUET Hugues, « Un système en évolution », Colloque SMABTP du 14 octobre 2003, p.9.
52 KARILA Laurent et CHARBONNEAU Cyrille, « Droit de la construction : responsabilités et assurances », 2è éd., LexisNexis, 2011, p.125.
53 C.A, Paris, 23è ch., B, 7 avr. 2005.
54 CA, Paris, 19è ch., B, 12 oct. 2007.
55 KARILA Laurent et CHARBONNEAU Cyrille, « Droit de la construction : responsabilités et assurances », 2è éd., LexisNexis, 2011, op. cit., p.124.
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