Peu avant le début du siècle dernier, des Etats fédérés ont commencé à mettre en place des lois relatives à la compensation des travailleurs, instaurant timidement une indemnisation forfaitaire des victimes, en échange d’un abandon de leurs droits de porter plainte pour « négligence » (I).
Ces adoptions ont cependant été progressives : elles n’ont pu prendre de l’ampleur et se généraliser que grâce à l’intervention de la Cour Suprême des Etats-Unis (II).
I. De premières démarches timidement amorcées
Avant même de parler de véritable « système d’indemnisation », quelques Etats ont tout d’abord commencé à adopter des « actes » visant à permettre aux travailleurs blessés à l’occasion de leur emploi d’actionner leur employeur en justice.
L’octroi d’une indemnité n’était alors envisageable que dans l’hypothèse où le salarié lésé parvenait à prouver une négligence ou une omission de l’employeur.
C’était à l’époque déjà une belle avancée : auparavant, aucune solution ne leur était offerte et ils devaient se contenter de supporter eux même les conséquences d’un accident potentiel. C’est en 1855(27) que le premier acte fut adopté.
Les précurseurs en ce domaine furent les Etats de Géorgie puis de l’Alabama qui adoptèrent à cette période des « Employers’ Liability Acts », que l’on peut tout naturellement traduire par le terme de « actes sur la responsabilité des employeurs ».
A partir de là, et ce jusqu’en 1907, 26 autres Etats américains passèrent des actes similaires. Ils ne permettaient cependant encore que peu de choses. Certes, il était reconnu à l’employé victime un droit de poursuivre son employeur en justice, mais s’il souhaitait réellement obtenir gain de cause, la preuve d’une faute commise par l’employeur était un préalable indispensable (acte de négligence ou acte d’omission(28)).
Les salariés se retrouvaient donc dans une situation semblable à celle d’un tiers à l’entreprise : la responsabilité était limitée à la négligence de ce dernier ou à la responsabilité d’une autre personne pouvant être tenue directement responsable.
Naturellement, ce premier cheminement a par la suite donné lieu à une seconde prise de conscience : celle de mettre en place un système permettant aux salariés d’obtenir plus facilement indemnisation de leurs préjudices, en allégeant notamment la charge de la preuve.
C’est l’Etat du Maryland qui fût le plus précoce dans cette démarche. En 1902, il adopta un acte offrant un fond d’assurance d’accident coopératif (pour reprendre l’appellation américaine : « cooperative accident insurance fund »).
Les autres Etats ont ensuite suivi, de telle sorte qu’en 1949, ils avaient tous plus ou moins mis en place un type de régime, appelé « Workers’ Compensation », originellement plutôt connu sous le nom de « Workman’s compensation ».
Cependant, cette avancée ne s’est pas faite sans difficultés.
Les premières lois instaurant des fonds d’indemnisation en faveur des victimes d’accidents industriels furent bien vite déclarées inconstitutionnelles.
En 1911, suite à l’adoption d’un tel fonds d’indemnisation par une loi de l’Etat de New York, la Cour d’Appel de New York City déclara l’acte associé inconstitutionnel.
Pour se faire, elle se basa sur le principe constitutionnel américain de « deprivation of property without due process of law »(29), que l’on pourrait traduire par un principe de « privation de propriété non réglementaire », ou de « non conforme aux conditions requises par la loi ».
Ce principe énoncé par le 14e Amendement de la Constitution Américaine serait alors de nature à empêcher l’existence de tels systèmes d’indemnisation forfaitaire des AT.
Si l’histoire s’arrêtait là, notre développement perdrait tout son sens et toute sa raison d’être. Il fallut peu de temps pour qu’un revirement de situation intervienne.
II. Une constitutionnalité rapidement p roclamée par la Cour Suprême
Dès 1917, la Cour Suprême américaine(30) réagit.
C’est par un arrêt NEW YORK CENTRAL RAILROAD Co. v/ WHITE31 du 6 mars 1917 que la Cour déclare constitutionnelle la loi préalablement adoptée par l’Etat de New York.
Brièvement, le raisonnement de la Cour Suprême est le suivant : le contexte économique a changé, du fait principalement de l’industrialisation qu’a connu le pays.
La multiplicité, la complexité ainsi que le caractère parfois totalement nouveau des accidents survenant à l’occasion du travail rendent alors impossible la tâche de prouver qui est réellement responsable de quoi.
Elle considère dès lors que le fait de faire peser l’entière charge de la preuve sur le salarié victime entraine à son égard un total déni de justice : il est impossible pour lui de prouver un quelconque manquement imputable à l’employeur ou à un tiers, et donc inconcevable de parvenir à la reconnaissance d’un droit à indemnisation.
Le mécanisme de l’indemnisation forfaitaire de tels incidents octroyée par un fonds mis en place à cet effet permet alors d’inverser la charge de la preuve.
En échange, le salarié n’a qu’un droit de recours limité et se contente de l’indemnisation automatique et limitée du fonds. C’est ce qu’on a appelé à l’époque « The Great Trade-off ». (voir infra).
La reconnaissance de la légalité et de la constitutionnalité de ces systèmes et de ces fonds d’indemnisation a donc permis une grande avancée sur le territoire américain.
C’était la condition sine qua non à ce qui allait se passer ultérieurement.
En effet, progressivement, chaque Etat a adopté son propre système afin de satisfaire aux besoins des salariés blessés au travail, chacun avec des spécificités propres.
On parle alors de « Workers’ Compensation » (WC), terme générique servant à désigner l’ensemble de ces mécanismes mis en place en faveur des travailleurs au travers des territoires.
Selon l’Etat, le salarié embauché sur ledit territoire ne pourra donc pas prétendre exactement aux mêmes prestations : les sommes forfaitairement prévues ne seront sensiblement pas les mêmes, les conditions de recours peuvent être différentes. Nous verrons cependant dans un paragraphe ultérieur que cette affirmation tend aujourd’hui à être progressivement remise en question, les divergences s’atténuant au fil du temps.
Par ailleurs, certaines catégories de salariés se retrouvent tout de même sur un pied d’égalité totale, quel que soit leur Etat d’origine.
En effet, le gouvernement fédéral a lui-même pu adopter des actes instaurant des régimes spécifiques pour des catégories salariales bien particulières : c’est là qu’entre en jeu le niveau fédéral pour instituer ses propres réglementations qui s’imposent à l’ensemble des Etats.
27 myfloridacfo.com/wc/history
28 En Anglais « negligent act » ou « omission ». Negligent act : manquement à exercer un degré de précaution considéré comme raisonnable selon les circonstances, ayant pour résultat de causer une blessure involontaire à une autre partie. Omission : manquement à faire un acte considéré, alors qu’il existe un devoir envers un tiers ou lorsque cet acte est requis par la loi (incluant « l’omission de prendre des précautions »). Sources : Thelawdictionnary.org
29 14ème Amendement de la Constitution Américaine acceptée par une convention réunie à Philadelphie le 17 septembre 1787, applicable depuis le 4 mars 1789 (modifiée par 27 amendements au total).
30 Cour suprême :Juridiction au sommet de la hiérarchie judiciaire, tribunal de dernier ressort. À la fois cour constitutionnelle et Cour judiciaire, elle est compétente dans tous les cas relevant de la Constitution, des lois et des traités. Instituée par l’article III de la Constitution. Siège à Washington. Supremecourt.gov
31 Supreme.justia.com/cases/federal/us/243/188/